Est-ce qu’on peut faire confiance aux sagas?
Église de Glaumbær , Glaumbær, nord de l’Islande. Selon la « Saga des Groenlandais », Gudrid y fonda un couvent, mais cette information pourrait être le résultat d’un remaniement de texte effectué au 13e siècle. , B. Wallace,
Les sagas sont rédigées dans un style si direct et avec des mots tellement simples qu’elles ont été initialement considérées comme des observations réelles et objectives qui avaient été faites au moment des évènements. Cependant, il y a une soixantaine d’années, les spécialistes des sagas ont commencé à réaliser que la situation n’était pas aussi simple. Ils ont d’abord mis en valeur les qualités littéraires des sagas. Ensuite, la notion que les sagas n’étaient que de la fiction littéraire en partie construite sur le modèle des romans européens du Moyen Âge a commencé à se répandre. Puis une nouvelle théorie empruntant à l’une et à l’autre des hypothèses a fait surface. Même si les sagas étaient un portrait des évènements à l’ère des Vikings, on croyait qu’elles étaient le reflet des coutumes, de la culture matérielle et des évènements de la période où elles avaient été rédigées, c’est-à-dire une période qui se situe après l’ère viking. Aujourd’hui, de nouvelles recherches historiques et folkloriques ont démontré que le cœur des sagas représente réellement l’ère viking, mais que leur contenu a été influencé par des considérations politiques et personnelles datant des treizième et quatorzième siècles. Selon l’opinion de plusieurs personnes, il est très difficile de distinguer les faits de la fiction dans les sagas. C’est alors qu’il faut faire appel à l’archéologie.
Les archéologues ont commencé à faire des recherches approfondies en Islande et ils ont réuni une multitude de renseignements sur l’architecture, la culture matérielle, le style de vie, l’économie et l’environnement. Il est de plus en plus évident qu’une grande partie des descriptions de l’ère viking présentées dans les sagas correspond à la réalité. Il est aussi évident, cependant, que les sagas ne sont pas des récits linéaires. Certains évènements ne sont pas dans le bon ordre. Les récits ont été simplifiés et il est fort probable qu’il manque la moitié des renseignements. Dans certains cas, deux ou trois emplacements ont possiblement été fusionnés en un et il semble y avoir méprise sur les noms ici et là.
Le format des histoires s’inspire de la tradition orale, fondement des sagas du Vinland. Les phrases sont courtes et simples. Certaines expressions se répètent : « Leif a alors parlé… ». Lorsque les pensées du conteur dérivent vers un sujet différent, l’ordre des évènements change en conséquence. Par exemple, lorsque les Scandinaves capturent deux garçons sur le chemin du retour au Groenland, l’histoire de ce qui leur est arrivé est racontée avant la description du retour comme tel.
Toutes les sagas islandaises ont une caractéristique en commun : on ne peut se fier aux directions d’un endroit à un autre. Un spécialiste des sagas a relevé que dans le district de Snæfellsnes, en Islande, là où « La saga d’Eirik le Rouge » a initialement été écrite, le « sud » veut dire l’« est » et c’est encore le cas aujourd’hui. Le reste des sagas contient aussi de telles confusions. Si on lit les sagas en se référant à une carte de l’Islande et que l’on compare la carte avec les descriptions des explorations dans les sagas, on remarque qu’à peu près tout est faux. Ces détails rendent l’emplacement du Vinland encore plus mystérieux.
« La saga d’Eirik le Rouge » est un exemple de la façon dont les sagas islandaises ont été influencées par des motifs politiques et personnels ultérieurs. Au treizième siècle, il y avait un mouvement pour faire canoniser l’évêque Bjorn Gilsson. L’évêque, un descendant en ligne directe de Thorfinn Karlsefni et de Gudrid, était mort en 1162. Pour appuyer cette demande de canonisation, il fallait démontrer que l’évêque avait des ancêtres vertueux, importants et extraordinaires. Cela pourrait expliquer pourquoi l’histoire de Karlsefni et Gudrid est devenue plus impressionnante et remarquable dans « La saga d’Eirik le Rouge » que dans « La saga des Groenlandais ».
« La saga des Groenlandais » comporte, elle aussi, certaines altérations. Elle raconte que Gudrid et Karlsefni se sont installés dans le domaine de Karlsefni à Glaumbær dans le nord de l’Islande et que Gudrid y a construit un couvent. D’autres documents indiquent que le domaine de Karlsefni n’était pas situé à Glaumbær mais à Reynisnes. Cependant, lorsque « La saga des Groenlandais » a été écrite, au treizième siècle, Glaumbær était plus important que Reynisnes.
Les mots utilisés dans les sagas renferment parfois plus de renseignements qu’il n’y paraît à première vue. Dans « La saga des Groenlandais », lorsque Leif dit : « je vais maintenant donner un nom à cette terre », cela ne veut pas seulement dire qu’il a inventé un nom. Donner un nom à une terre était un acte officiel de prise de possession. En donnant un nom à Helluland, Markland et Vinland, Leif revendiquait ces territoires pour lui-même. Lorsque Leif est d’accord pour prêter ses bâtiments du Vinland aux dirigeants de l’autre expédition, sans toutefois leur donner, il veut dire que le Vinland est sa propriété et qu’une part des profits réalisés au Vinland lui revient.
Chapitres de livres
- Ólafur Halldórsson, Les sagas du Vinland, Approaches to Vínland: A conference on the written and archaeological sources for the Norse settlements in the North-Atlantic region and exploration of America, 2001
- Helgi Þorláksson, Un regard contemporain sur les sagas du Vinland , Approaches to Vínland: A conference on the written and archaeological sources for the Norse settlements in the North-Atlantic region and exploration of America, 2001
- Þorsteinn Vilhjálmsson, La navigation et le Vinland, Approaches to Vínland: A conference on the written and archaeological sources for the Norse settlements in the North-Atlantic region and exploration of America, 2001