Un regard contemporain sur les sagas du Vinland
Guðríðr Þorbjarnardóttir au couvent de Reynistaðr
Guðríðr Þorbjarnardóttir est un personnage important de « Grœnlendinga saga » et elle l’est encore plus dans « Eiríks saga rauða’s », dans lequel elle tient le rôle principal. Ólafur Halldórsson prétend de façon assez convaincante que les origines et les détails biographiques de Guðríðr, tels que décrits dans cette saga, sont une pure invention. Dans « Grœnlendinga saga », elle arrive au Groenland, comme par surprise, mariée à Þórir, un marchant norvégien naufragé (Olafur Halldórsson 1986:239-246). La tradition orale ne disait probablement pas si elle était islandaise ou norvégienne. Pourtant, même si on ne sait rien de ses origines, elle est le personnage central de la saga avec son mari, Þorfinnr karlsefni.
Pourquoi les deux sagas accordent-elles tant d’importance à Guðríðr? L’explication qui revient le plus fréquemment est que, à la conclusion des deux œuvres, Guðríðr est identifiée comme étant l’ancêtre de trois évêques islandais du douzième siècle. Ce qui est également le cas de Þorfinnr, qui est décrit comme l’ancêtre des mêmes évêques et qui est également un personnage important dans « Grœnlendinga saga ». L’importance du rôle de Guðríðr dans « Eiríks saga rauða’s » est remarquable et demande plus d’explications. L’établissement du couvent à Reynistaðr en 1295 pourrait être une bonne raison. À la fin du processus de copie ou d’écriture de « Eiríks saga rauða’s », Haukr Erlendsson mentionne que ses propres ancêtres remontent à Guðríðr et il nomme Hallbera Þorsteinsdóttir, l’abbesse de Reynistaðr, avec qui il partageait le même arrière-grand-père. Il mentionne que l’abbesse est aussi une descendante de Guðríðr (Hauksbók 1892-1896, 444; Sagorna, 81). Réfléchissons sur les raisons qui ont poussé Haukr à faire de tels rapprochements; il a bien dû y avoir plusieurs autres femmes nobles à cette époque faisant partie de la nombreuse descendance de Guðríðr.
Le fait est que le couvent de Reynistaðr a été fondé par l’évêque Jörundr Þorsteinsson de Hólar et par la richissime Hallbera. Haukr l’a peut-être considérée comme une sorte de Guðríðr, et considéré que cette dernière était sa prédécesseur à Reynisnes (ou Reynines). Tout comme elle, Hallbera était à la tête de Reynisnes (connu sous le nom de Reynistaðr). D’autres auront possiblement remarqué les parallèles entre Hallbera et Guðríðr et cela pourrait avoir été la cause de l’expansion du rôle de Guðríðr's dans « Eiríks saga rauða’s ». Il est tout à fait probable que « Eiríks saga rauða’s » ait été considérée comme une lecture appropriée pour les bénédictines de Reynisnes et ait même été un guide pour les femmes nobles. Après tout, selon la saga, Guðriðr a toujours été chrétienne, s’est comportée avec circonspection et a vécu une vie à la fois respectable et digne dans un monde dangereux. Bien que certains pensent que « Eiríks saga rauða’s » a probablement été rédigée par quelqu’un qui connaissait Snæfellsnes dans l’ouest de l’Islande, il se pourrait que les origines de la saga si situent plus au nord et soient reliées à la fondation de Reynistaðr.
« Grœnlendinga saga » soutient que Guðríðr « est allée au sud », ce qui voudrait dire qu’elle « a fait un voyage à Rome » et, à la fin de sa vie, elle est devenue religieuse et ermite dans sa résidence au Skagafjörðr. Étrangement, on ne fait aucune mention de ce fait dans « Eiríks saga rauða’s ». De plus, « Grœnlendinga saga » affirme que Guðríðr a vécu à Glaumbær dans le Skagafjörðr et non pas à Reynisnes où le couvent a été construit à une époque ultérieure. […] Il est vrai que les descendants de Þorfinnr et de Guðríðr ont vécu à Reynisnes, mais selon nos renseignements, la ferme de Glaumbær n’appartenait pas à cette famille. En fait, et cela est intéressant, la ferme de Glaumbær n’est devenue le siège du chef que dans les années 1280. À l’ère Sturlung, un riche fermier y vivait (Hallr Þorsteinsson dans la saga de Sturlunga), mais rien n’indique qu’il était parent avec les familles des chefs. Aux environs de 1285, Glaumbær était le lieu de résidence de Hrafn Oddsson, le chef séculaire le plus important en Islande, et il a été suivi de Hrafn Jónsson, qui y a aussi vécu. Il était certainement le petit-fils de Hrafn Oddsson. Hrafn Jónsson, connu sous le nom de Glaumbæjar-Hrafn, était un individu qui détenait un grand pouvoir; il était l’homme le plus important au Skagafjörðr vers 1315 (Biskupa sögur 111:162, 339, 340, 391, 394). Il est tentant de voir la référence à Glaumbær dans « Grœnlendinga saga » comme une tentative de valoriser la ferme et d’encenser ses occupants. Si « Grœnlendinga saga » est la plus ancienne des deux sagas, comme le pensent plusieurs chercheurs malgré le manque de preuves, il est possible de bâtir le scénario suivant : « Eiriks saga rauða » a été écrite à la demande de quelqu’un qui croyait que l’instauration du couvent à Reynisnes était une bonne raison de mettre en évidence le rôle de Guðríðr, dont le nom pouvait aider à établir une histoire prestigieuse pour le nouvel édifice et pourrait également servir à promouvoir la réputation de l’abbesse Hallbera, la fondatrice. « Grœnlendinga saga » a ensuite été modifiée pour refléter cette croyance : Reynisnes a été remplacé par Glaumbær et les éléments tels que l’église de Glaumbær, la prise du voile par Guðríðr et son « voyage dans le sud » ont été ajoutés au texte.
La prophétie sur Guðríðr portant sur « le rayon éclatant », relatée dans « Eiríks saga rauða’s », a sa contrepartie dans « Grœnlendinga saga » et trouve peut-être sa source dans la présumée vita de l’évêque Björn Gilsson. Comme l’a mentionné le lauréat islandais du prix Nobel de littérature, le romancier Halldór Laxness, il s’agit de la seule référence monastique ou cléricale dans « Grœnlendinga saga », et elle semble correspondre au ton de « Eiríks saga rauða’s » (1969:46). La formulation de la prophétie est semblable : « bjart folk » dans « Grœnlendinga saga », et « yfir ættkvíslum þínum mun skína bjartur geisli » [Sur toutes les branches de ta famille brillera un rayon éclatant] dans « Eiríks saga rauða’s ». De toute évidence, cette prophétie est importante dans « Eiríks saga rauða’s »; on en parle deux fois, ce qui pourrait nous amener à penser qu’elle faisait partie de l’œuvre originale. […]
Bibliographie
Hauksbók. 1892-1898. Eds Eirikur Jónsson and Finnur Jónsson, Hauksbók udgiven efter de arnamagnæanske håndskrifter no. 371, 544 og 675, 4° samt forskellige papirs-håndskrifter. Copenhagen: Kongelige Nordiske Oldskrift-selskab.
Olafur Halldórsson. 1978. Greenland í miðaldaritum. Reykjavik: Sögufélag. 1985. 'Formáli', Eiriks saga rauda. Texti Skálholtsbókar AM 557 4 to, 333-400.
Olafur Halldórsson ed. Viðauki við Islenzk fornrit 4. Reykjavik: Hið islenzka fornritafélag. 1986. 'Lost tales of Guðríðr Þorbjarnardóttir.' Sagnaskemmtun. Studies in Honour of Hermann Pálsson. Ed. Rudolf Simek, Jónas Kristjánsson, Hans Bekker-Nielsen. Wien: Hermann Bohlaus Nachf.