L’économie des Maritimes au XIXe et début du XXe siècles
L’histoire économique des provinces maritimes est complexe pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Des années 1840 aux années 1890, les Maritimes connaissent une forte période de transformation économique et d’industrialisation caractérisée par un cycle de croissances économiques et de replis. S’ensuit une grave période de régression industrielle et de contraction économique pendant les trois premières décennies du XXe siècle. Pendant toute la période, les communautés acadiennes se trouvent toujours en position de désavantage par rapport à la majorité anglo-protestante qui les entoure.
Au milieu du XIXe siècle, des financiers de Grande-Bretagne et de l’Amérique du Nord britannique (c’est-à-dire des colonies qui deviendront le Canada en 1867) investissent massivement dans les Maritimes. La région est alors en transition. Pendant la première moitié du XIXe siècle, la Grande-Bretagne avait favorisé les importations de ses colonies et imposait des tarifs sur les importations étrangères, ce qui avait consolidé Halifax et Saint-Jean dans leurs positions de plaques tournantes de l’industrie du transport et de l’entreposage. Le passage de la Grande-Bretagne vers le libre-échange a incité les magnats des finances des Maritimes à investir dans le développement de l’industrie de la transformation des ressources naturelles qui auparavant auraient été transportées directement en Europe.
L’agriculture se spécialise aussi. Malgré le manque général de bonnes terres agricoles à bas prix, les régions se tournent vers des productions spécifiques et des monocultures. Par exemple, c’est dans les années 1870 que la culture intensive de la pomme de terre émerge sur l’Île-du-Prince-Édouard et celle de la pomme dans la vallée de l’Annapolis en Nouvelle-Écosse.
À la même époque, la transformation de l’industrie du transport, qui passe des grands navires de bois aux bateaux de fer et d’acier, a des effets très néfastes sur la foresterie partout dans les Maritimes. Seules les régions qui peuvent spécialiser leurs productions dans le bois fin, ou trouver des débouchés spécifiques pour leurs produits, réussissent à survivre dans ce domaine. Seul le Nouveau-Brunswick conservera une industrie du bois à grande échelle, surtout parce que ce bois est transformé et utiliser dans la construction des chemins de fer et des maisons de la province.
Les pêcheries changent aussi. Du XVe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, les pêcheries constituent la principale exportation des côtes atlantiques de ce qui devient le Canada. C’est dire combien les changements dans cette industrie peuvent affecter l’économie de toute la région. Au début des années 1870, les grandes compagnies qui possédaient des quasi-monopoles sur la pêche industrielle, comme Charles Robin & Sons en activité depuis le XVIIIe siècle, font faillite. Les pêcheurs qui auparavant étaient des employés de ces compagnies se trouvent sans accès à un bateau et sans débouchés. Les prises se diversifient aussi. Alors qu’historiquement les poissons de fond comme la morue constituaient la majorité des prises, les fruits de mer, notamment le homard, prennent de plus en plus de place. Avec la diversification des prises, vient aussi l’émergence d’une industrie de la conserve, qui facilite l’exportation.
Le seul secteur qui va réellement bien pendant les années 1870 est le charbon que l’on mine en quantité fabuleuse au Cap Breton et qui est nécessaire à la production de l’acier, lui-même essentiel à l’industrialisation
Les années 1870 sont aussi difficiles parce que la transformation de l’économie est lente. Les choses tournent pour le mieux avec l’élection du gouvernement fédéral de John A. Macdonald en 1878. Jusqu’à sa démission en 1896, Macdonald met en place sa Politique Nationale, un plan économique visant le développement industriel de tout le Canada. Le plan consiste en une série de mesures spécifiques, dont l’imposition de tarifs douaniers de 30% sur les textiles, le fer, l’acier, le charbon et le pétrole étrangers. Le gouvernement fédéral finance aussi la construction de chemins de fer pour faciliter le transport des produits manufacturés de la périphérie (comme les Maritimes) vers les grands centres économiques (au Québec et en Ontario), et subventionne aussi directement les industries manufacturières comme notamment celle de l’acier en Nouvelle-Écosse.
Le résultat est une croissance économique et industrielle fulgurante et sans précédent. Avec environ 20% de la population totale du Dominion du Canada, les Maritimes des années 1890 possèdent 8 des 23 usines de filage de coton, 2 des 7 manufactures de corde et cordage, 3 des 5 raffineries de sucre et les deux manufactures d’acier du pays. La région s’urbanise, alors que la population se déplace vers les centres industriels des provinces dont Saint-Jean, Moncton, Sydney et Halifax.
Malheureusement, cette croissance économique est totalement artificielle. La fin de la politique nationale de Macdonald est un parfait désastre pour les Maritimes. Les produits ne trouvent plus de marché avec la fin des tarifs douaniers, les coûts de transports explosent sans subvention et la région vit une période de désindustrialisation. La fin des investissements mènent à la fermeture d’usines, au déménagement des institutions financières vers Montréal et Toronto et à l’exode massif de la population vers les États-Unis et l’Ontario. Le ralentissement économique ne s’arrêtera pas et, même avec la brève reprise pendant la Première Guerre mondiale, et les choses iront de mal en pis jusqu’à la fin des années 1930. Il va s’en dire que la Grande Dépression des années 1930 frappera particulièrement fort les Provinces maritimes.
Toutes les classes sociales et tous les groupes ethniques sont affectés par le ralentissement économique, mais de manière et dans des proportions différentes. Depuis la période des retours de la Déportation au tournant du XIXe siècle, l’économie acadienne était totalement dépendante sur la géographie de ses établissements. Alors que la majorité des Acadiens étaient fermiers avant la Déportation, depuis le XIXe siècle, il existe plusieurs économies acadiennes.
Les hauts et les bas économiques affectent les Acadiens aussi. Lorsqu’un secteur économique est affecté, les régions acadiennes spécialisées dans celui-ci, en particulier parce que pendant la période, les Acadiens sont plus souvent des employés de grandes compagnies que des exploitants propriétaires. Pour la majorité des Acadiens de la Nouvelle-Écosse, l’agriculture sert uniquement d’activité de subsistance. Chaque ménage a son potager, quelques petits champs de foin, quelques bêtes à corne pour le lait et les labours, des poules pour les œufs, des cochons pour la boucherie et des moutons pour la laine.
La foresterie est importante avant 1890 dans les régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse, non seulement parce que l’on chauffe au bois, mais parce que les navires sont encore construits en bois. Jusqu’à la transition vers les vaisseaux de fer, la construction navale est un secteur très important des régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse, dont particulièrement la Baie Sainte-Marie. Avec le déclin de l’industrie, les chantiers ferment ou se transforment pour ne construire que des petits et moyens bateaux de pêche. Cette activité est d’ailleurs l’activité économique par excellence des Acadiens des Maritimes. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Acadiens sont surtout des employés des grandes compagnies, mais leur effondrement les mène à d’abord acquérir leurs propres bateaux et surtout à se regrouper en coopératives pour financer les activités de pêche et la transformation des prises. Plusieurs de ces coopératives fondées dans les années 1920 et 1930 sont encore en opération aujourd’hui sous une forme ou une autre.
Lectures supplémentaires:
Alexander, David. "Economic Growth in the Atlantic Region, 1880-1940", in Acadiensis Reader, vol. 2, Atlantic Canada After Confederation, 2nd éd., P. A. Buckner et David Frank, dirs. Fredericton : Acadiensis Press, 1988 : 134-163.
Forbes, E. R. et D. A. Muise, dirs. The Atlantic Provinces in Confederation. Toronto : University Toronto Press, 1997, surtout les deux premières parties.
Ross, Sally et J. Alphonse Deveau. Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, hier et aujourd’hui. Halifax : Nimbus Press, 2001.
Histoire ou entrevue orale