Les relations avec les étrangers
Au milieu du XIXe siècle, il y a très peu de routes qui traversent le territoire des Provinces maritimes et celles qui existent sont des routes de terre et de gravier sur lesquelles on cahote en carriole ou en char à bœufs. Les voies de communication les plus pratiques restent les voies navigables. Le Nouveau-Brunswick en particulier profite d’un réseau élaboré de bateaux vapeur qui sillonnent les affluents et confluents du fleuve Saint-Jean qui traverse tout le territoire du Nord au Sud. En Nouvelle-Écosse, les vapeurs rejoignent les villes et les villages par la mer, profitant du fait que la province est composée d’une péninsule et de l’Île du Cap Breton. Les vapeurs y arrivent aussi de la côte atlantique et d’Europe, transportant avec eux des millions de dollars de marchandises et des centaines de milliers d’immigrants et d'émigrants. À partir des années 1870, des lignes de chemin de fer traversent déjà amplement les Maritimes, facilitant d’autant le transport des ressources et des personnes.
Malgré une très grande amélioration des transports, les villes et les villages des Maritimes restent des localités remarquablement isolées. Nouvelles, journaux et télégraphes y circulent facilement, mais une majorité de la population native des Maritimes reste en place dans sa communauté d’origine, à moins qu’elle n’émigre pour de bon. En somme, les populations des communautés sont relativement stables et surtout homogènes.
Pour ces communautés, un étranger est toute personne qui ne vient pas de la région, qui n’est pas apparenté à quelqu’un de la région, qui est né dans un autre pays ou qui n’est pas de la même origine ethnique que la majorité vivant dans la région. Pour un Acadien de Clare, un « Anglais » d’Halifax ou même de Digby est un étranger. Lorsqu’un Irlandais débarque dans le port d’Halifax ou de Saint-Jean, il est un étranger, d’autant plus s’il est pauvre, malade ou sans famille. Pour un Anglo-Protestant de Woodstock au Nouveau-Brunswick, un Acadien fraîchement débarqué de Caraquet est un étranger, d’autant plus qu’il est aussi un membre d’une minorité considérée comme en tout point inférieure. En effet, pour la majorité anglo-protestante des Maritimes à l’époque, la langue anglaise et la religion protestante sont des attributs de civilisation et de supériorité et ne pas les posséder est un signe patent d’infériorité qui mérite la condescendance, sinon le mépris. Bref, à moins d’avoir des liens solides avec la communauté, des liens familiaux ou de la propriété, on est un étranger.
Il va sans dire que lorsque Jérôme échoue à Sandy Cove, il constitue l’archétype de l’étranger : il débarque de nulle part, personne ne le connaît et ne peu jurer de son caractère, il ne parle pas la langue (il ne parle pas du tout) et en plus il est sans ressource et handicapé. Lorsque les résidents du Digby Neck développent la certitude que Jérôme est Italien, donc Catholique, il est essentiel qu’on l’envoie « chez ses semblables. » Les Acadiens de Clare sont Catholiques, soit, mais ils ne sont pas Italiens. C’est donc chez le Corse Jean Nicolas qu’on l’envoie.
Au XIXe siècle, les « étrangers » et les immigrants récents dans les Maritimes ont bien du mal à s’intégrer. Certains, comme Jean Nicolas, ne s’intégreront jamais vraiment et quitteront la région pour s’en retourner dans leur pays d’origine, ou pour poursuivre plus loin. Ce sera le cas de la majorité des nouveaux venus provenant de la Grande-Bretagne et d’Irlande. En effet, dans le recensement du Canada de 1871, plus de deux millions de citoyens indiquent les Îles britanniques comme lieu d’origine. En passant par les ports d’Halifax ou de Saint-Jean, ils ont fait leur chemin vers l’Ontario, l’Ouest canadien ou même les États-Unis. Néanmoins, les plus pauvres de tous les immigrants – dont les Irlandais arrivés entre 1845 et 1850 échappant à la Grande Famine – sont extrêmement mal reçus dans les Provinces maritimes, en particulier s’ils sont catholiques. On ne compte plus les incidents, allant de la simple bataille de rue à l’émeute meurtrière, qui ont confronté les résidents protestants et les nouveaux arrivants catholiques dans les années 1840 et 1850.
Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle dans les Maritimes, la charité chrétienne exige qu’on s’occupe des plus démunis parmi les nouveaux arrivants, mais rien ne demande qu’on leur fasse confiance ou qu’on n’est pas peur d’eux. Les étrangers sont suspects. Ils ne sont pas membres de la communauté et cette dernière n’est pas responsable d’eux ou de leurs actes.
Lectures supplémentaires:
See, Scott W. Riots in New Brunswick : Orange nativism and social violence in the 1840s. Toronto : University of Toronto Press, 1993.
Carrigan, D. Owen. "The Immigrant Experience In Halifax, 1881-1931". Canadian Ethnic Studies, 1988 20(3): 28-41.
Histoire ou entrevue orale