Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse et de Clare au XIXe siècle
Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse ont eu une très longue pente à remonter depuis la fin des déportations en 1763. Des plus de 12 000 Acadiens qui ont été exilés à partir de 1755, quelques 2000 reviennent dans les Maritimes pendant les décennies suivantes. Leur persévérance et surtout une fertilité hors pair leur assurent une croissance démographique hors du commun. En Nouvelle-Écosse, la population se multiplie par huit entre 1800 et 1871. À l’époque où Jérôme arrive en Nouvelle-Écosse, la population acadienne est composée d’environ 33 000 âmes, soit un peu moins de 10% des 387 800 habitants de la province. En 1881, on compte 41 219 Acadiens pour environ 373 000 membres de toutes les autres ethnies confondues. Le recensement de 1901 répertorie 45 161 acadiens dans la province, soit une augmentation de près de 37% en trente ans. Néanmoins, cette croissance fulgurante cache de grandes difficultés économiques, politiques et sociales.
Lorsque les Acadiens reçoivent le droit de revenir en Nouvelle-Écosse en 1764, ils reviennent pour trouver leurs biens confisqués, leurs maisons rasées et leurs propriétés habitées par des colons venus d’Europe ou des 13 Colonies. En 1768, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse leur accorde des concessions dans la région de Clare. Les Acadiens ne possèdent pas ces terres; on ne leur donne que le droit d’y résider. Ce n’est qu’entre 1771 et 1773 que les Acadiens de la Nouvelle-Écosse acquerront le droit de posséder leurs terres.
Les premiers habitants de la Baie Sainte-Marie s’installent dans la portion de Clare entre les villages de Saint-Bernard et la Pointe-de-l’Église. La grandeur des lots qui sont accordés est en fonction de la grandeur des familles. Le chef de famille reçoit 80 acres, plus 40 acres par autres membres de la famille. Au milieu des années 1770, une trentaine de familles sont déjà installées. La première expansion du [[italic]]township[[/italic]] de Clare a lieu dans les années 1780, où les villages de Petit-Ruisseau jusqu’à Meteghan sont fondés par la deuxième génération d’Acadiens dans la région. Les descendants des premiers arrivants se répartiront les terres de la troisième section qui s’étant jusqu’à Rivière-aux-Saumons en 1804 et 1850. Clare accueille dès sa fondation une plus grande population acadienne que partout ailleurs en Nouvelle-Écosse et cette concentration démographique assurera que la Baie Sainte-Marie demeure encore aujourd'hui la région acadienne la plus homogène de la province. C’est aussi dans cette région que le taux d’assimilation vers la langue anglaise est le plus faible. Les autres régions acadiennes de la Nouvelle-Écosse (Argyle, Chéticamp, l’île Madame, Pomquet, etc.) sont plus petites, plus isolées et moins homogènes que Clare.
À l’époque de Jérôme, les Acadiens sont des Néo-écossais de second ordre. Non seulement vivent-ils dans des régions relativement isolées, mais leurs droits linguistiques sont quasi inexistants. En 1864, la Nouvelle-Écosse vote une loi imposant l’anglais comme seule langue d’enseignement dans la province. Entre 1885 et 1902, l’accès à l’enseignement de base en langue française augmentera quelque peu, malgré le manque flagrant d’enseignants et de manuels scolaires. En 1930, les Acadiens de la Nouvelle-Écosse auront accès à l’enseignement bilingue, c’est-à-dire quelques cours en français, surtout au début du primaire, afin de faciliter l’apprentissage de l’anglais et l’assimilation.
Il en est de même en politique. Bien que Simon d’Entremont de Argyle est le premier député acadien élu en Nouvelle-Écosse en 1836, il demeure longtemps l’exception qui confirme la règle. Avant l’époque de Jérôme, les Acadiens sont politiquement isolés dans leur province car la majorité d’entre eux ne sont pas assez riches pour financer une carrière politique, ne parlent pas assez bien l’anglais et n’ont pas assez d’éducation pour justifier une carrière politique. Avec les années 1880-1890, la croissance d’institutions d’éducation supérieure acadiennes et la fondation de journaux acadiens de langue française vont mener à la Renaissance acadienne, une période de prise de conscience nationale acadienne où ils réclameront leurs droits et deviendront une entité politique à respecter. Les grandes institutions acadiennes de la Nouvelle-Écosse se concentrent alors à la Baie Sainte-Marie, dont le Collège Sainte-Anne fondé en 1890, la plus ancienne maison d’éducation supérieure et aujourd’hui la seule université de langue française en Nouvelle-Écosse.
À l’époque de Jérôme, l’économie de Clare est basée également sur la pêche et la foresterie. À la fin du XIXe siècle, la pêche commence à prendre plus de place au détriment de l’industrie du bois dont la demande baisse depuis la disparition des navires de bois. Néanmoins, la construction navale, spécialisée dans les bateaux de pêche de petit et moyen formats, demeure une industrie viable à Clare jusqu’à ce jour, en particulier à Meteghan. On pêche plus les poissons de fond comme la morue que les crustacés, mais l’industrie de la conserve qui fait alors son apparition profitera de la croissance du marché du homard en boîte au début du XXe siècle. Les familles exploitent presque toutes une petite ferme, mais les terres de la région de Clare ne sont pas propres à bien plus qu’une agriculture de subsistance. Les touristes commencent à affluer dans la région, surtout pour profiter des ressources naturelles de chasse et de pêche. De plus, une petite industrie d’élevage de visons et de martres fait son apparition au début du XXe siècle. Malgré tout, les temps sont durs et des milliers de familles entières quittent la Nouvelle-Écosse pour les centres industriels des Maritimes, d'Ontario et des États-Unis. En analysant les recensements, il apparaît que de décennie en décennie, plus de personnes quittent les Provinces maritimes entre 1860 et 1930 qu’il en arrive ou en naît. Il en est de même pour lesA Acadiens, bien qu’ils partent en moins grands nombres : autant de gens ont quitté Clare qu’il y en a qui sont nés pendant la période. En fait, la croissance acadienne en Nouvelle-Écosse est presque annulée par l’émigration.
Malgré ce « Second Exode », la population de la Nouvelle-Écosse grandit et prend de plus en plus sa place. Le mystère de Jérôme permet au monde entier de prendre conscience de la présence acadienne dans la région de Clare à la fin du XIXe siècle et de démontrer que les Acadiens ne sont pas disparus avec la Déportation.
Lectures supplémentaires:
Daigle, Jean, dir. L’Acadie des Maritimes. Moncton : Chaire d’études acadiennes/Université de Moncton, 1993.
Ross, Sally et J. Alphonse Deveau. Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, hier et aujourd’hui. Halifax : Nimbus Press, 2001.