Aurore — Le mystère de l'enfant martyre
   
 
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COUR DU BANC DU ROI.      ) Siégeant à Québec le 19 avril,1920.
JURIDICTION CRIMINELLE. )

PRESENT: L'honorable Juge L. P. Pelletier.

LE ROI.

- vs –

MARIE-ANNE HOUDE.

Sur accusation de meurtre.

PREUVE DE LA PART DE LA DEFENSE.

DOCTEUR ALCEE TETREAULT de la Cité de Montréal, médecin, âgé de 40 ,ans, étant dûment assermenté sur les Saints Evangiles dépose ainsi qu'il suit:

INTERROGE PAR MTRE FRANCOEUR DE LA PART DE L'accusée.

Q. Vous êtes médecin pratiquant à Montréal Docteur ?

R. Je pratique à St Jean de Dieu.

Q. L'Hôpital de St Jean de Dieu ?

[Une série de questions au sujet des qualifications professionnelles de ce médecin]

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Q. Avez-vous examineé l'accusée Marie-Anne Houde ?

R. J'ai examiné Marie-Anne Houde Samedi et Dimanche.

Q. L'avez-vous examinée en compagnie du Docteur Prévost qui vient d'être entendu ?

R. Je l'ai examinée Samedi en compagnie du Docteur Prévost, du Docteur Paquet et du Docteur Fortier. Dimanche je l'ai examinée en compagnie du Docteur Prévost.

Q. Vous avez entendu le Docteur Prévost et les questions que je lui ai posées il y a un instant ?

R. Oui ,Monsieur.

Q. (Par la Cour) La question hypothétique.

Q. Tous les faits établis en cette cause ici ---- pouvez vous nous dire ce que vous pensez de la condition mentale de l'accusée, en tenant compte de ces faits et les constatations que vous avez faites personnellement au cours des examens que vous venez de mentionner ?

R. En supposant vrais les faits allégus à la Cour, les cruautés exercées par Madame Gagnon sur l'enfant Aurore Gagnon, cruautés ayant été pour ainsi dire plus sérieuses surtout dans les derniers trois mois, la première idée qui a surgi dans mon esprit a été plutôt que cette personne était une malade et présentait un état mental anormal. Les renseignements que j'ai pu recueillir par l'interrogatoire de l'inculpée à la prison sur son histoire personnelle, renseignements qui ont été ensuite établis par le père et le frère de l'accusée, certains renseignements qu'à l'âge de douze ans elle aurait eu une méningite.............

Par la Cour.- Ca n'est pas prouvé ça ?

R. C'est le père Monsieur le Juge...........

Par la Cour.- Le père a dit qu'on lui avait raconté cela ?

R. Si j'ai bien saisi toute à l'heure le père dans la

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boite aurait dit que le médecin aurait dit que son enfant ..................

Mtre Lachance.- Le médecin a dit ça aux gens de la famille.

Par la Cour.- C'est une preuve de oui-dire qui ne vaut absolument rien.

Mtre Francoeur.- Le père a constaté qu'elle souffrait de maux de tête.

Par la Cour.- Je suis obligé de dire là-dessus que c'est une preuve de oui-dire qui ne vaut rien. Le père nous a dit que tout ça c'était passé pendant son absence et qu'on lui a raconté cela à son retour. Vous ne pouvez pas vous baser sur ces faits là alors.

R. J'étais sous l'impression, Monsieur le Juge, que le père et le frère savaient ça personnellement.--- d'ailleurs c'est un renseignement que m'adonné aussi l'inculpée. Je lui ai demandé dans votre jeune âge avez vous déjà souffert de maladies sérieuses. Sans aucune suggestion de ma part elle a répondu tout de suite: A l'âge de douze ans j'ai souffert de méningite. J'ai dit: Par quoi est-ce que cela s'est manifesté ? Elle dit: J'ai eu des gros maux de tête et j'ai eu des douleurs dans les reins. Nécessairement, je me suis dit: Je vais tâcher de faire confirmer ce fait: Savoir qu'elle aurait eu à douze ans une méningite et j'ai demandé à ce qu'on me fasse établir ce fait là et je croyais que le père l'avait établi toute à l'heure même si je me rappelle bien je ne sais pas si c'est le frère ou bien...

Par la Cour.- On n'a pas posé la question au frère ?

R. Dans tous les cas je me baserai comme ça simplement sur les données fournies par l'inculpée. Elle m'a dit, d'après l'interrogatoire que je lui ai fait subir

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qu'elle avait souffert de méningite, et que ça s'était caractérisé par des maux de tête et des moments, des douleurs lombaires, des douleurs dans le dos. Quatorze ans elle m'a dit qu'elle avait présenté un autre fait: Une inflammation de poumon, et qu'elle aurait été règlée à ce moment là. Ensuite elle se serait mariée vers l'âge de dix-sept ans, tout en ayant souffert chaque fois que ses menstruations apparaissaient. Devenue enceinte je lui ai demandé s'il n'y avait pas quelques changements qui survenaient chez elle, et encore à cette questionlà elle m'a répondu qu'elle n'était pas la même dans son état de gestation que lorsqu'elle n'était pas enceinte. Alors je lui ai demandé par quoi est-ce que cela se manifestait. C'est là certains troubles de caractère ont été énoncés, et je crois que certains troubles aussi ont été énoncé toute à l'heure par le frère de l'inculpée qui l'a remarqué lui-même lors de sa première grossesse je crois. Madame- Gagnon avait présenté à ce moment, c'est à dire au cours de sa première grossesse des troubles plus marqués du côté de son caractère. Elle devenait en ce moment plus irritable. Le mari lui-même que j'ai interrogé Dimanche, Monsieur Gagnon,---- je lui ai demandé: Est-ce que Madame Gagnon au cours de sa dernière grossesse, sa grossesse prééédente présentait des troubles particuliers ? Il m'a dit que lorsqu'elle a porté le premier enfant, l'enfant qui vit je crois aujourd'hui, elle a présenté des troubles, mais pas bien manifeste, mais que cette fois ici, l'enfant qu'elle porte actuellement, il a remarqué des troubles réellement pas considérables mais une modification absoluede son caractère. Il dit

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qu'elle n'était plus la même qu'autrefois. Il dit que ça ne sert à rien de vouloir raisonner avec elle, que plus il raisonne avec elle pire elle est, alorsqu'il en est arrivé à la conclusion qu'il est préférable pour lui de ne pas vouloir la pousser à bout. En amenant aucune cause de provocation, il pensait rendre service à sa femme.Maintenant ces faits là m'ont été admis par le mari. Alors, sachant d'un autre côté d'après les faits rapportés que cette personne là a eu de nombreuses couches dans un espace de temps très court, je crois qu'il n'y a pas lieu.......... qu'on peut croire que l'état mental de cette personne a pu subir le contre coup de ces gestations nombreuses.---- et pourquoi a-t-elle pu subir le contre coup de ces gestation nombreuses, je le baserais sur le fait qu'à l'âge de douze ans elle aurait eu une méningite amenant les troubles dans le développement ultérieur de ces fonctions intellectuelles. Dans les premiers âges de la vie, le cerveau pour ainsi dire n'est pas rendu à son complet développement et une tare semblable, telle que la méningite, peut certainement entraver l'évolution normale des facultés intellectuelles ou du moins creer chez cette personne une pré-disposition soit au délire, au point de vue intellectuel ou soit du côté moral et surtout du côté de l'activité des tendances qui peuvent aller pour ainsi dire---- qu'on peut qualifier de tendances perverses, tendances tout à fait malidives par conséquent---- alors c'est comme ça que je peux expliquer certains faits que cette femme est supposée avoir accomplis à l'égard de son enfant, de cette enfant, Mademoiselle Aurore Gagnon. J'ai interrogé le petit bonhomme aussi, Gérard, et le

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petit Géarard a confirmé des faits que Monsieur Francoeur a donnés en même temps qu'il a allégué des faits que je considère absolument révoltant, prétendant que sa mère, prenant un tisonnier, le faisant rougir, et le passant quelque peu- dans l'eau froideet soulevant les jupes d'Aurore brulait la peau de cette enfant, et d'après ce que dit l'enfant, on voyait la fumée. On ne peut pas croire qu'une personne présentant la plénétude de ses facultés intellectuelles puisse infliger un tourment semblable, surtout lorsque je ne vois pas de motif, de mobile apparent---- il fallait que cette personne là pour moi soit dénuée complètement de tout sentiment. Ce fait m'a été confirmé par le petit Gérard.

Par la Cour.- C'est prouvé par trois témoins ?

R. Alors cette manière d'agir, qui est pour moi pathologique indique en même temps un trouble du côté de son jugement. Cette personne ne savait pas proportionner la peine à infliger à une enfant qui pouvait être récalcitrante, lui infliger une punition appropriée à l'offense Elle ne le pouvait pas, pourquoi ? Parce que pour moi elle se trouvait dans ce moment là dans un état d'infériorité au point de vue de al résistance, par rapport à sa gestation, par rapport à sa grossesse. Alors pour moi il me semble qu'il y a la des tendances à des actes révoltants, à des actes anormaux, et cela prouve ne même temps que son jugement était défectueux et ne lui permettait pas de réaliser la gravité des actes qu'elle commettait elle-même---- et même si je me rappelle bien ce qu'a dit le petit Gérard elle allait jusqu'à faire accomplir par une autre enfant---- je crois que Gérard m'a dit que Marie-Jeanne sur l'instigation de sa mère faisait souffrir Aurore.

Mtre Francoeur.- C'est prouvé dans la cause ?

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Par la Cour.- Elle est seule à le dire, mais elle le dit ?

Q. A quelle conclusion en arrivez vous sur le rapport de la responsabilité de l'accusée souffrant des troubles que vous venez de mentionner ?

R. Bien, mon opinion est que Madame Gagnon présente un état mental défectueux du côté de son jugement et du côté de ses actes, et je crois que cette personne là ne peut pas être considérée responsable parfaitement, avec connaissance de cause sur ces actes de cruauté là.

Q. L'accusée, lorsque vous l'avez examinée, a-t-elle pu inventer ces symptômes que vous avez constatés---- a-t-elle pu inventer ces déclarations qu'elle vous a faites ?

R. Bien, je ne crois pas qu'elle a pu inventer le fait qu'à l'âge de douze ans elle a souffert de méningite, parce que je lui ai simplement posé la question suivante: Madame, avez vous souffert dans votre jeune âge de maladie sérieuse ? Si elle avait voulu inventer elle aurait pu le dire des maladies courantes, la rougeole, la scarlatine, quelque chose de semblable, mais elle a répondu spontanément; J'ai souffert à l'âge de douze ans de méningite. Ensuite je luiai posé la question pour savoir lorsqu'elle était enceinte si elle avait des malaises ? Elle m'a répondu: J'ai des maux de tête fréquents; j'ai des maux de rein considérables et il m'arrive d'entendre des bourdonnements, il m'arrive d'entendre des sons, des voix, il m'arrive même parfois que j'entends mon nom être prononcé---- sans que je lui ai suggéré cette questionllà. Alors je suis pour ainsi dire forcé d'admettre ce fait là jusqu'à preuve du contraire.

Q. Depuis que vous êtes médecin en chef de l'Hôpital St Jean de Dieu ou il y a comme vous l'avez dit toute à l'heure de deux à trois mille patients, avez-vous rencontré des cas de cette nature ?

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R. Exactement semblables à celui-ci, non, je ne peux pas dire.

Q. Mais est-ce que vous avez à l'Hôpital à l'heure qu'il est des malades qui ont des tendances à la cruauté ?

R. Nous en avons.

Q. Beaucoup ?

R. Ce ne sont pas des cas excessivement frappants, mais nous en avons.

Q. Des femmes ?

R. Nous avons des cas, des jeunes filles qui ont des tendances du côté des actes qui sont réellement désordonnés-, et qui sont maintenues dans notre hôpital par rapport à leurs actions, j'ai dit, pour ainsi dire, rien ne peut modifier un tempéremment spécial, ni même des rigueurs excercées sur elles. A un moment donné---- nous avons par exemple des fois des malades qui au point de vue surintellectuel ne présentent pas de délire caractérisé intellectuel---- elles n'ont pas de conceptions fausses mais elles présentent en outre du côté de leur activité et un peu du côté de leur humeur. Ainsi, à la ----------- suite de petites contrariétés parfois, soit de la part des religieuses ou de la part des garde-malades ces personnes là se disent: je ne mangerai plus. Elles cessent de manger, malgré les demandes réitérées des religieuses, ------------------- et des conseils répétés du médecin sur la gravité de la chose qu'elles veulent commettre sur elles-mêmes, malgré toutes ces choses là elles refusent complètement de manger. De même qu'il y en a.....................................

Q. (Par la Cour) Est-ce que vous n'avez pas entendu parler qu'il y a actuellement des centaines de personnes qui jouissent de leur raison, qu'on appelle des Sinn-Feiners en Irlande et qui se laissent mourir de faim ?

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R. Oui, oui Monsieur le Juge mais pour moi ces personnes là obéissent à un mobile. Ces personnes ont un mobile, ont une cause pour eux pour laquelle elles sont prètes à se sacrifier, à vouloir même se laisser mourir, mais chez des malades un petit reproche n'est pas suffisant pour expliquer un refus semblable. Les GAVONS, elles font des efforts pour résister---- nous leur donnt des sérums, nous leur injectons- sous la peau des quantités de liquide considérable---- c'est excessivement douloureux---- il me semble qu'il serait beaucoup plus logique pour ces personnes là de manger, que de se faire traiter de la sorte pour qu'on ne souffre pas de les laisser mourir.

Q. (Par la Cour) Est-ce parce qu'elles sont folles ?

R. Exactement Monsieur le Juge, parce que elles sont folles.

Q. (Par la Cour) Ces malades là on les interne ?

R. Oui ,Monsieur.

Q. (Par la Cour) Celles qui présentent ces caractères là, n'est-ce-pas, au point de vue du jugement, de la raison ?

R. Au point de vue des actes.

Q. (Par la Cour) Et on les garde là ?

R. Au point de vue des actes.

Q. Avez-vous dans l'asile des malades au point de vue mental qui raisonnent sur tout excepté sur un point ?

R. Certainement.

Q. Avez-vous beaucoup de ces malades là ?

R. Nous avons chez nous des malades chez qui il faut une observation excessivement longue pour pouvoir découvrir le délire, et même bien souvent ce sont des malades qui sont excessivement dangereux---- le Docteur Devlin est là qui pourra vous le dire d'ailleurs---- il est parfois excessivement difficile de faire jaillir, de raire ressor-

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ressortir ce délire., chez certains persécutés---- ces gens là vous causer avec eux une heure, une après-midi--- vous avez l'intuition qu'ils sont malades mais vous ne pouvez pas arriver à avoir une preuve du fait sans de multiples examens parfois.

Q. Et vous constatez qu'ils raisonnent très bien sur une foule de sujets ?

R. Sur une foule de sujets.

Q. Comme des personnes ordinaires ?

R. Certainement.

Q. Et que à d'autres points de vue ils sont atteints de troubles mentaux ?

R. Ils sont réellement atteints d'aliénation mentale.

Q. Et ils sont gardés dans vos asiles ?

R. Oui.

Q. (Par la Cour) Est-ce dans cette catégorie que vous placez l'accusée ?

R. Non,Monsieur le Juge.

Q. (Par la Cour) Est-ce que vous en avez de cette catégorie dans vos asiles ? dela catégorie de l'accusée ?

R. Bien si je me place au point de vue de la réaction, de l'acte, si je me place au point de vue de l'activité maladive de certaines personnes, de la réaction maladive, nous en avons. Nous ne pouvons pas avoir un cas spécial---- il y a une infinité de formes de maladies mentales qui ont un caractère propre à elles---- vous avez la manie, la mélancolie.....................

Q. Considerez-vous que dans ce cas ici l'accusée aurait plutôt sa place dans votre asile ou dans un asile semblable ?

R. Toujours en supposant ces faits là et en me basant sur sa méchanceté dans l'époque de ses grossesses et ses

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variations de caractère, je suis porté à croire que la place de cette personne serait dans un hôpital.

Q. Dans un asile d'aliéenés ?

R. Oui ,Monsieur.

Source: ANQ, TP 999, 1960-01-3623, 1B 014 01-04-004B-01, Cour du banc du roi, assises criminelles, district de Québec, Déposition du Dr Alcée Tétreault, procès de Marie-Anne Houde pour meurtre, avril 19, 1920, 11.

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