Le Devoir, vendredi 28 septembre 1984 ARTS ET SPECTACLES Louison Danis remarquable Aurore, l’enfant martyre,entre la curiosité et le malaise Robert Aurore, l’enfant martyre de Léon Petitjean et Henri Rollin, texte reconstitué par Alonzo Le Blanc. Mise en scène de René-Richard Cyr, décor de Louise Campeau, costumes de Danièle Lévesque, éclairages de Claude Accolas, musique de Michel Smith. Avec Louison Danis (la marâtre), Adèle Reinhardt (Aurore). Daniel Simard (le père), Suzanne Champagne et Gildor Roy (les voisins). Jean-Louis Roux (le curé), Roger Léger (le juge), Thomas Graton (Gérard), Jean-Guy Viau et Alain Fournier (les avocats de la Couronne et de la Défense). Une production du Théâtre de Quat’sous. À l’affiche jusqu’au 28 octobre. La curiosité va pousser bien des gens à aller voir Aurore, l’enfant martyre au Quat’sous. A ce chapitre le succès est assuré. Au théâtre québécois il est rarissime que l’on ressorte des malles quelqu’ancienne défroque théâtrale que ce soit. Le répertoire tiendrait dans une valise-à-main, quelques mélodrames usés sur les planches de l’Arcade, quelques boulevards copiés gauchement, des textes désuets de Deyglun, Desprez, des drames bourgeois d’Yvette Mercier-Gouin. Tout, avant Gélinas, va du pareil au même, un théâtre primaire et gauche. Mais il y le cas de ce mélodrame de Petitjean et Rollin, exemple-type d’un théâtre populaire qui a eu cours dans la première moitié du siècle. Le seul fait qu’il ait été joué environ 6,000 fois (un record inégalé) justifie qu’on y revienne, quand ce ne serait que pour constater l’immense chemin parcouru depuis. Au Quat’sous, le metteur en scène René-Richard Cyr avait la délicate tâche de redonner vie à ce mélodrame construit à la va-comme-je-te-pousse. Cyr est relativement peu intervenu sur la facture du mélodrame, sinon qu’il a entre-mêlé les scènes du martyre dans la cuisine et les scènes du procès. Cela donne une dynamique que la version originale n’avait pas. Petitjean et Rollin plaquait d’abord une demi-heure de martyre (beurrée de savon, tisonnier, mains sur le poèle, etc…) pour ensuite édifier le public avec un procès type théâtre français de patronage. En plus d’aérer ainsi la représentation par ce chassé-croisé cuisine-procès, Cyr fait quelques ajouts qui donnent à la représentation un encadrement plus qu’une propulsion dramatique. Au début le juge fait une mise en garde contre ce genre de spectacle (un article de l’époque), puis Cyr fait lire à la marâtre une lettre trouvée aux Archives nationales où celle-ci recommande à la maitresse d’école d’être sévère avec Aurore, puis, la plus intéressante des initiatives de Cyr, il a écrit un texte final où la marâtre s’interroge sur ses actes, n’allant pas jusqu’à l’aveu mais dressant son bilan au bord des larmes. René-Richard Cyr, donc, dépoussière le mélodrame, l’encadre, le représente de façon contemporaine à notre théâtre réaliste. Mais il ne parvient pas vraiment à distancier l’œuvre elle-même il ne réussit rien de plus qu’une reproduction du drame dans des circonstances nouvelles. Or, l’entreprise de ressortir Aurore de ses poussières aurait eu plus de pertinence dans une approche plus critique, une écriture plus libérée, quelque chose qui s’éloigne du fait pour approcher le sens. Le public va demeurer sans doute dans un état de malaise. Pourquoi nous amener ainsi à exercer un voyeurisme (quoiqu’on n'ait pas chargé l’aspect spectaculaire du martyre) à travers un produit théâtral nettement déficient. Une espèce de honte devant le simplisme d’une telle dramaturgie du pauvre s’empare du spectateur exigeant. Cyr aurait pu, à ce niveau, prendre des distances plus grandes. Questionner ce type de représentation et cette manière de reprendre un fait divers sans effort intellectuel. Ceci dit, il faut souligner la très forte performance de Louison Danis dans le rôle de la marâtre. Une interprétation majeure qui vaut à cette comédienne la plus formidable prestation de ce début de saison. Grâce à elle la mise en scène de Cyr passe tout de même (malgré les réserves), car ce personnage très fort, qui s’ancre dans sa détermination et son aveuglement, porte toute la pièce. Sans Louison Danis ce spectacle serait très faible. À la fin, dans ce texte ajouté par Cyr, elle est d’une intensité remarquable. Adèle Reinhardt est très juste dans Aurore. Jeau-Louis Roux aussi dans la peau d’un curé sombre et inquiétant. Gildor Roy et Suzanne Champagne font des voisins très crédibles, très vifs, c’est du coté de la magistrature que rien ne va. Le juge de Roger Léger n’a pas de consistance. L’avocat de la Couronne de Jean-Guy Viau joue faux, et Alain Fournier en avocat de la défense va on ne sait où dans ses intentions. Somme toute une distribution inégale. Source: Robert Lévesque, "Aurore, l'enfant martyre, entre la curiosité et le malaise," Le Devoir (Montréal), septembre 28, 1984.
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