Personne ne connaît son nom: Klatsassin et la guerre de Chilcotin
   
 

Brown à Raycroft

Sam. 18/63

Murray Raycroft
Lillooet
18 fév. 1863

Monsieur,

Je me permets de faire appel à Votre Excellence à propos d’un sujet urgent et important. Votre Excellence est sans nul doute au courant que la population indigène aux environs de Lillooet souffre depuis deux mois d’une épidémie de petite vérole. Cette maladie a fait de terribles ravages parmi elle, décimant des familles entières, et a de fait converti leurs camps en cimetières. On estime jusqu’à 150 le nombre de décès dans ce seul voisinage. M. Elliott vous a certainement entretenu des efforts des citoyens de Lillooet pour soulager les malheureux, mais dont le taux de succès ne pouvait être autre que celui escompté en de telles circonstances défavorables : des patients très éloignés l’un de l’autre et une température très froide depuis plusieurs jours. Néanmoins, environ un cinquième des personnes atteintes ont survécu. Parmi ces survivants, plusieurs enfants, au nombre de six et âgé de trois à sept ans, sont maintenant orphelins. Le sort de ces pauvres petits est une question qui nous tient tous [énormément] à coeur. Certains suggèrent de les envoyer dans les villages indiens où leur propre peuple prendra soin d’eux. Je regrette de le dire, monsieur, mais c’est d’avoir une trop haute opinion de la générosité des indigènes. Bien qu’ils soient affectueux envers leurs propres rejetons et ceux de leurs parents, ils refusent tout contact avec ceux d’un étranger. Ces enfants n’ont aucun ami; Votre Excellence comprendra certainement que de les imposer à d’autres familles indiennes équivaut simplement à s’en débarrasser. Il y a deux semaines, un bébé d’environ un an, dont les deux parents étaient morts de la petite vérole, a été confié à deux hommes préposés aux visites et aux soins des malades. Ils l’ont gardé une semaine, après quoi, comme ils ne pouvaient à la fois faire leur travail et s’occuper de lui, il fut conduit à un camp siwash. Là, j’ai demandé à une jeune femme, dont le propre enfant avait été emporté par la maladie, de prendre en charge le bébé. Je l’ai encouragée par des considérations sacrées et séculières, lui disant que si l’Être suprême lui avait enlevé son rejeton, il lui en donnait maintenant un autre; puis je lui ai remis de l’argent et lui en ai promis encore. Ce fut en vain. Le lendemain, l’enfançon était mort. Comme il était en parfaite santé la veille au moment de mon départ, j’ai dû me rendre à l’évidence que la négligence était seule responsable de son trépas.

Cet épisode et bien autres dont j’ai eu connaissance m’ont convaincu qu’il est inutile de s’attendre à ce que les indigènes adoptent les orphelins. Puisque ces derniers dépendent de nous, je crois que nous devons faire quelque chose pour eux, sans rien espérer toutefois de la part des citoyens qui ont déjà souscrit près de $500 pour soigner les Indiens malades (l'argent est déjà tout dépensé et le comité s’est endetté). Leur patience et leurs moyens sont à bout. Dans une telle situation, mon seul espoir réside dans la générosité et la compassion de Votre Excellence envers les infortunés. En leur nom, je me permets donc de vous demander assistance. Le cas est certainement urgent; ces pauvres orphelins sont abandonnés. Le Tout-Puissant ne nous les a-t-il pas confiés? Pouvons-nous échapper au devoir de les soigner et les éduquer? Pouvons-nous les expulser de nos hôpitaux et les abandonner à une mort certaine? Je suis sûr que Votre Excellence ne permettra pas une chose pareille. Alors, pouvez-vous m’aider à fonder un petit orphelinat pour eux ici-même?

Nous avons déjà une cabane assez grande pour les accueillir tous les six et ne requerrons qu’une matrone pour s’occuper d’eux. Des fonds seront nécessaires pour leur entretien; on m’assure que $100 par mois devraient être suffisants, $50 pour le salaire de la femme et $50 pour les provisions. Si Votre Excellence nous alloue ce montant, pour les premières années du moins, je ferai tout mon possible afin que l’établissement devienne éventuellement indépendant, du gouvernement tout au moins. Je crois sincèrement que vous estimez possible de nous accorder cette aide précieuse qui, en plus de pourvoir aux besoins des enfants, sera le premier effort concret dans ce coin du pays envers l’éducation des gens dont nous nous sommes emparés des terres « non point par notre propre main ou notre propre bras mais par ton Bras et la lumière de ta Face » .

Je demeure, avec le plus profond respect, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.
R. Lundin Brown

Source: BCA, Colonial Correspondence, GR-1372, F214, Mflm B-1311, R.C. Lundin Brown, Lettre à Murray Raycroft, 18 février 1863.

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