Article sur un Italien mutilé et abandonné
Nous n’avons jamais pu apprendre si le gouvernement de la province a fait les démarches nécessaires pour traduire en justice les personnes coupables d’avoir laissé, quelque part sur la côte, le pauvre Italien estropié envoyé de Chipman, c. de Q. Peut-être juge-t-on que de punir ceux qui ont participé à une telle atrocité contre l’humanité n’est pas du devoir du gouvernement. Nos lois, ou plutôt notre façon de les appliquer, font que trop souvent la poursuite d’auteurs de crime devient une façon pure et simple d’assouvir une vengeance personnelle, la loi étant plutôt impuissante jusqu’à ce qu’un individu en active les rouages. Toutefois, dans un cas comme celui-ci, quand le crime est d’une telle nature que de le laisser impuni jette la honte sur la province tout entière, les « avocats de la Couronne » devraient en prendre connaissance sans tarder. Le Halifax Express a nommé cette histoire « un cas de barbarie qui marquera la province d’une vile réprobation générale, à moins que des démarches soient entreprises immédiatement pour punir adéquatement les vils scélérats qui sont impliqués dans cette affaire » et a ajouté –
Il est rare que nous ayons à rapporter un acte si barbare, et nous espérons que ciel et terre seront remués afin de juger rapidement et sévèrement toutes les personnes impliquées. Cette affaire nécessite que le gouvernement agisse immédiatement pour que la province puisse être complètement lavée de la honte qui rejaillit sur elle à cause des gestes de quelques-uns des siens.
Le Christian Messenger, un journal baptiste publié à Halifax, contient le récit de l’abandon sur la côte de la Nouvelle-Écosse d’un homme qui, nous en sommes convaincus, pourrait être, selon la description donnée, le pauvre Italien. Le récit qui nous est d’abord parvenu racontait qu’il avait été laissé près de Little River, dans l’État du Maine. Peut-être que les dirigeants de cette paroisse ont imité l’atroce exemple des gens de Chipman et que, sans faire de distinction entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, ont renvoyé l’homme chez les « Blue Noses » qui l’avaient jeté sur leur rivage. Le sort de ce pauvre Italien, qui a donc tour à tour été la victime de la barbarie des « Blue Noses » et des Yankees, est des plus pitoyables. La lettre qui suit est celle qui a paru dans le Messenger.
Monsieur,
Lors d’une visite à Sandy Cove, j’ai entendu dire qu’un homme, dont les jambes avaient été coupées un peu en bas des genoux, avait été retrouvé non loin de là, sur le rivage de la baie de Fundy, où il avait été laissé par une ou des personnes inconnues avec seulement quelques morceaux de pain et un petit ballot de vêtements. On m’a aussi raconté qu’il ne parlait pas anglais et n’avait rien pu dire à son sujet. Impatients de le rencontrer et, si possible, de pouvoir en apprendre davantage sur cette étrange histoire, le révérend J.C. Morse et moi-même sommes partis à sa recherche. Après une courte marche, nous sommes arrivés à la maison où l’on prend soin de lui, et avons trouvé Matteo (Matthew – je crois que c’est ainsi qu’il souhaitait que nous comprenions son nom) assis dans l’embrasure de la porte, ce qu’il restait de ses membres inférieurs dénudés et offerts à la vue de tous. Ses moignons étaient parfaitement guéris. L’amputation semblait avoir été pratiquée par des mains expertes. Nous n’avons pas pu apprendre la raison de cette perte, ni comment ni d’où il était venu. À en juger par certains mots que nous avons réussi à lui faire prononcer, je crois qu’il est originaire d’Espagne ou d’Italie.
Après une excursion le long du rivage à la recherche de spécimens géologiques, je suis allé voir Matteo et, croyant que si le nom de son pays était mentionné, il démontrerait des signes de reconnaissance, j’ai crié Hispania! Hispania! Son visage s’est illuminé de joie et, en inclinant la tête, il a prononcé sise, ce qui je crois, à partir de ce que j’ai observé, signifie « oui ». De la même façon, j’ai dit Italia! Italia! Il a secoué la tête et a répondu non.
M. George Albright, la personne qui a trouvé l’inconnu impotent et abandonné et qui en prend encore soin, m’a appris qu’environ dix jours avant le 18 septembre (le jour où nous avons eu cette conversation), deux goélettes (aux voiles en pointe), ont jeté l’ancre à Sandy Cove, sans qu’aucune d’elles n’aient, autant que l’on sache, communiqué avec les habitants de l’endroit. Au matin, les deux bateaux avaient disparu. Mais il semble certain que l’inconnu ait été amené par l’un d’eux et laissé, faible et impotent, sur la plage. Cependant, on ne sait pas si le pauvre homme s’est estropié dans l’armée ou la marine – fédérale ou confédérée – et donc retourné à terre; ou s’il a été débarqué, étant considéré comme une charge aussitôt qu’il a commencé à se rétablir; ou encore si, par manque de volonté de prendre soin du pauvre handicapé, on l’a exclu de ces conditions paisibles et privilégiées; mais l’auteur soupçonne cette dernière hypothèse d’être la bonne. L’homme ne semble pas être du type soldat – rien en lui ne laisse croire qu’il ait fait la guerre, sauf la perte de ses jambes. Le pauvre semblait abruti lorsqu’on l’a trouvé, à cause des médicaments, de la terreur ou du froid (il était resté sous la pluie) et est demeuré ainsi durant quelques jours. Lorsque nous l’avons vu, il semblait – selon ce que M. Albright nous a dit – mieux et plus enclin à observer et à communiquer, du moins à essayer, qu’il ne l’était auparavant. Vu sa faiblesse, il ne serait pas surprenant que la peur et le froid l’aient plongé dans un état de stupeur. Le pauvre homme avait eu une mauvaise toux, mais elle semblait se résorber lorsque nous l’avons vu. Je crois qu’il avait un peu moins de trente ans. Ce sont les enfants de M. Albright qui l’ont découvert étendu sur le rivage; ils l’ont dit à leur père, mais il a cru que c’était impossible alors il n’y a pas porté attention, jusqu’à ce que sa vieille mère aille vérifier et revienne en informer son fils. Quelques heures de plus au froid auraient pu lui être fatales. De quelle barbarie, inhumanité, cruauté et injustice ont fait preuve ceux qui ont agi ainsi! La crainte de Dieu avait-elle abandonné leur âme? Ou l’amour du prochain, avait-il quitté leur cœur? Nous espérons que les responsables d’un acte si méchant, lâche, abominable et vil soient découverts et qu’on leur fasse comprendre le mal qu’ils ont fait à cet homme, à la Nouvelle-Écosse, à l’humanité et au Christ; -- qu’ils se repentent et qu’ils apprennent dorénavant à s’acquitter de leurs devoirs de charité chrétienne envers leur prochain dans le besoin.
Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les plus sincères,
George Armstrong
Bridgetown, 28 sept. 1863.
Étrangement, après qu’un homme de la ville nous ait remis le Messenger, nous avons reçu la lettre suivante en provenance de Chipman, c. de Q. : --
Monsieur,
Pourriez-vous indiquer à un simple lecteur si des actions ont été entreprises dans l’affaire du pauvre Italien? Le gouvernement a-t-il disculpé la province des stigmates qui lui avaient été infligés par une poignée de ses habitants? Une enquête a-t-elle été menée pour traduire les coupables en justice? Selon la rumeur qui court ici, le percepteur de la paroisse se serait enfui, mais il aurait seulement suivi les instructions du commissaire des pauvres de la paroisse et, bien qu’il soit sans aucun doute coupable d’un crime immonde, ceux qui ont eu recours à ses services doivent être traduits en justice. À titre d’exemple de la manière dont les lois foncières sont observées par ici, j’ai entendu dire que ledit percepteur n’avait pas prêté serment et qu’il percevait une capitation de 25 cents au lieu de 15, le montant fixé. Peut-être qu’il importe peu que la justice soit invoquée pour régler une telle bagatelle, mais lorsque la vie d’un homme, d’un pauvre infirme privé de ses deux jambes et incapable d’exprimer ses besoins en langue anglaise, est mise en péril par des proches du gouvernement qui respectent la loi, il est temps que leur conduite soit signalée.
Recevez, Monsieur, etc.,
UN CONTRIBUABLE DE CHIPMAN, C. DE Q.