La Presse, 24 avril 1920, p. 13 AUX ASSISES DE QUEBEC LE PROCES DE TELESPHORE GAGNON SERA PLUS LONG QU'IL NE DEVRAIT A CAUSE D'UN JURE, UN SEUL, QUI NE PEUT PARLER NI COMPRENDRE LE FRANCAIS Il n'a pas été possible de former un jury exclusivement français pour le procès du mari de la marâtre.- Le premier témoin entendu est le docteur Marois. LE JUGE DESY OBLIGE GAGNON A SE TENIR DEBOUT A L'AUDIENCE (Du correspondant de la PRESSE) POUR UN SEUL JURE QUI NE SAIT PAS LE FRANCAIS Jusqu'à la dernière minute on avait espéré réussir à former un jury composé exclusivement de personnes de langue française, mais par une anomalie provenant de la procédure qu'il faut suivre en pareil cas, on n'a pas pu réussir. Le sort en est jeté. Il va falloir répéter en anglais tous les témoignages qui seront entendus au cours de ce procès et il va falloir subir deux ou trois discours de plus en anglais à la fin du procès. Il s'agissait de savoir si le juré John Reed qui a déclaré ne pas comprendre un seul mot de français serait admis à faire partie du jury qui va juger Télesphore Gagnon. Ni le juge, ni les avocats de la Couronne, ni les avocats de la défense, n'ont pu avoir un moyen pour empêcher que M. Reed ne fut accepté et ce dernier dut être assermenté comme membre du jury. Le juré John Reed est enfin admis et il faut en prendre son parti. Le procès durera deux fois plus longtemps qu'il n'eut duré si le jury eut été composé exclusivement de personnes de langue française. LES MEMBRES DU JURY Le jury se compose donc ainsi: Herménégilde Dubuc, de Saint-Antoine de Tilly; Xavier Simard, de Sainte-Anne de Beaupré; Philippe-T. Blainey, de Saint-Marc des Carrières; François Beaumont, de Sainte-Catherine de Portneuf; Charles Bégin, de Saint-David; Michel Martel, de Saint-Ambroise de Lorette; Adjutor Thibaudeau, de Sainte-Christine de Portneuf; Edouard Chalifour, de Beauport; Joseph Leduc, de Donnacona; Adélard Blanchet, de Saint-Edouard de Lotbinière; Thomas Dowd, comprenant bien le français et John Reed, pour qui il faudra répéter les interrogatoires, témoignages, plaidoiries, etc., ce citoyen ne sachant pas un seul mot de français. M. Fitzpartick, l'un des avocats de la Couronne, explique en français d'abord, puis en anglais, les faits de la cause. Et le procès commence. M. Francoeur réclame pour l'accusé le privilège de s'asseoir. Le juge Désy n'y consent pas pour le moment. Il verra plus tard! A suivre sur la page 47 AUX ASSISES DE QUEBEC Suite de la page 13 LE DOCTEUR A. MAROIS Le premier témoin entendu est le médecin autopsiste du gouvernement et professeur de médecine légale et de toxicologie à l'Université Laval. Le Dr Marois rapporte le résultat de l'autopsie qu'il a pratiquée du cadavre d'Aurore Gagnon. Ce rapport est exactement le même que celui soumis par le même témoin dans le procès de la femme Gagnon. Le Dr Marois n'a rapporté aucune lumière nouvelle sur l'autopsie qu'il a faite. Il répète que le corps d'Aurore Gagnon était littéralement couvert de blessures. Répondant à M. Francoeur, le Dr Marois admet qu'il n'a pas fait l'examen de la moelle épinière. Il ne considère pas que cela était nécessaire dans les circonstances. Il était convaincu que, dans ce cas, la seule cause de la mort était due uniquement à l'infection causée par les nombreuses blessures. Il reste convaincu qu'il était impossible qu'il y eut lésion de la moëlle épinière. Tous les organes de la victime étaient normaux, sauf l'estomac dont les membranes étaient un peu rougies. Il n'y avait aucune fracture du crâne. Au-dessus de la blessure à l'oeil, toute la peau était décollée. On avait l'impression qu'il y avait un flot entre la peau et le crâne. On exhibe au témoin quelques instruments: manche de hache, fouet, et on lui demande de dire s'il croit que les blessures qu'il a constatées sur la personne d'Aurore ont pu être causées par ces instruments. Le témoin répond que cela est possible. Le Dr Marois répète que l'enfant a été traitée à l'Hôtel-Dieu du 16 septembre au 17 octobre 1919 pour une plaie ulcéreuse au pied, et qu'elle en est sortie guérie. Il est longuement interrogé par M. Francoeur et par le juge sur la blessure à l'oeil. Il dit que les soins qui, selon la preuve faite, ont été donnés à l'enfant, étaient ceux que l'on est accoutumé d'apporter en pareil cas à la campagne. Le Dr Marois déclare que la plus petite égratignure peut causer l'infection et entraîner la mort. A 3 hr. 45 l'audience est suspendue pour dix minutes. LE MEDECIN DE FAMILLE Le Dr Lafond, de Saint-Jacques de Parisville, qui a assisté à l'autopsie du cadavre d'Aurore Gagnon, corrobore le témoignage du Dr Marois. M. Fitzpatrick l'interroge ensuite sur les soins qu'il a donnés à Aurore Gagnon l'été dernier. Il était le médecin de la famille. C'est lui qui a procuré des soins à Aurore Gagnon en août dernier pour une plaie au pied. Il l'a soignée jusqu'au 14 septembre alors qu'il a conseillé aux parents de l'enfant de l'envoyer à l'hôpital après avoir constaté que les pansements prescrits étaient négligés. Il n'a revu ensuite l'enfant que le 12 février, jour de la mort. Il a alors constaté qu'il n'y avait rien à faire pour sauver la vie de cet enfant. Il croit que les blessures qu'il a constatées ont dû être produites par des instruments contondants. D'après l'apparence des blessures, la petite Aurore Gagnon paraissait n'avoir reçu aucun traitement. Répondant à M. Francoeur, le Dr Lafond dit qu'il n'a fait que tâter le poulx de la fillette, laquelle était sans connaissance. Le poulx était imperceptible. Il n'y avait rien à faire et le témoin n'a rien tenté. C'est Marie-Anne Houde, la marâtre, femme de l'accusé qui lui a demandé de traiter Aurore en septembre dernier. Il a fait six visites et il a constaté que les pansements qu'il avait prescrits étaient négligés. Le 9 février dernier, il a envoyé deux onces de teinture d'iode chez les Gagnon, à la demande de la femme de l'accusé. Il ne se rappelle pas qu'entre août dernier et la date de la mort d'Aurore, il ait envoyé d'autres médicaments chez les Gagnon. A 4 h. 25 la Cour s'ajourne à ce matin (samedi) à dix heures. Il est entendu que la Cour siégera aujourd'hui toute la journée et que la défense ne commencera pas à faire entendre ses témoins avant lundi. Source: Correspondant La Presse, "Aux Assises de Québec. Le procès de Télesphore Gagnon sera plus long qu'il ne devrait à cause d'un juré, un seul, qui ne peut ni parler ni comprendre le français," La Presse (Montréal), avril 24, 1920.
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