Seymour à Newcastle, no 720 mai 1864 Au moment où Votre Excellence recevra cette dépêche, vous aurez déjà pris connaissance du massacre, par des Indiens, de 14 hommes faisant partie d’un groupe de 17 Européens à Bute Inlet dans la colonie. Le départ du dernier navire postal de Victoria à San Francisco s’est fait à un moment où il m’a été impossible d’y faire transférer à son bord les lettres de New Westminster. Je profite donc de la première occasion pour faire rapport des circonstances entourant cet événement, au meilleur de ma connaissance, et pour rapporter les démarches entreprises afin de prévenir des pertes de vie additionnelles et pour traduire les meurtriers en justice. 2. L’ouverture d’une route à partir de la source de Bute Inlet jusqu’aux mines d’or de Cariboo est un des projets les plus populaires auprès de certains capitalistes de l’île de Vancouver. Ce projet n’a pas généré beaucoup de soutien dans notre colonie dans la mesure où la route, si elle est construite, dévierait la circulation de New Westminster et entraînerait une baisse de revenus des péages des grandes routes rivales, la Yale-Lytton et la Douglas-Lillooet, routes pour lesquelles des sommes d’argent ont été dépensées. Dernièrement, la route de Bute Inlet a généré très peu d’intérêt même à Victoria et cette entreprise est tombée entièrement entre les mains d’un spéculateur privé, M. Alfred Waddington. 3. Celui-ci a envoyé plusieurs expéditions à Bute Inlet et il était devenu très familier avec le territoire que la route devrait traverser et aussi, croyait-il, avec les Indiens qui l’occupent. Les relations entre les autochtones et les Blancs semblaient satisfaisantes. Les hommes qui construisaient la route et qui revenaient à chaque nouveau printemps étaient de plus en plus confiants de recevoir un accueil chaleureux à leur retour. En 1863, les Blancs avaient troqué leurs armes contre des fourrures avec les Indiens et, cette année, M. Brewster et son groupe étaient arrivés sans grande protection. Il n’y avait qu’un seul fusil pour 17 hommes. 4. Dans la soirée du 29 avril, les hommes se sont installés pour la nuit en toute sécurité. Ils avaient même négligé de poster un garde, précaution habituelle dans les bois. Au traversier de la Homathco, à 30 milles de la source de Bute Inlet, un sapeur avait été laissé en charge. Neuf milles plus haut, douze hommes dormaient sur la route; et, deux milles plus loin, il y avait M. Brewster et les trois derniers travailleurs. Les trois survivants provenant tous du groupe de douze hommes, ma connaissance des faits entourant le massacre se limite à ce qu’ils ont vu. 5. Avant le lever du jour, le 30 avril, les Indiens ont attaqué les travailleurs, des hommes fatigués et totalement incapables de se défendre. Le moment était bien choisi. Pas un Blanc n’était éveillé et ceux qui l’ont été soudainement par le son des tirs de mousquet et les cris de guerre ont trouvé que la première volée tirée aux portes de leur tente avait tué la presque totalité de leurs compagnons. Pour s’assurer de leur victoire, les Indiens ont abattu la tente sur ceux que les premiers tirs avaient épargnés et les ont attaqués à coups de couteaux à travers la toile. 6. Il ne fait aucun doute que le groupe de M. Waddington aurait été exterminé si ce n’eût été du fait qu’une des tentes avait été montée à deux pas des rives escarpées de la rivière Homathco qui coule lentement à cet endroit. Moseley, après avoir vu les hommes qui dormaient de chaque côté de lui être tués, s’est jeté par-dessus la rive et a été transporté sain et sauf par le courant. Peterson, le bras gauche fracassé par une balle, a suivi son exemple et a également été transporté dans un endroit sécuritaire. Buckley, poignardé sur les deux côtés, ayant reçu un coup de crosse de mousquet sur la tête, s’est évanoui dans les buissons, qu’il avait atteint d’un pas chancelant, et a été laissé pour mort. Tard en après-midi, il a repris conscience et a réussi le lendemain matin à rejoindre le traversier à Homathco. Il y a trouvé Moseley et Peterson, mais la maison du passeur était vide. Il y avait du sang à l’intérieur et sur la route, où un corps lourd avait été traîné jusqu’à la rive. Le chaland avait été poussé à la dérive, le plus petit bateau brisé en morceaux. Il semble que le massacre ait été planifié de longue date et tous les moyens pris pour empêcher la fuite de quiconque aurait échappé accidentellement à l’attaque nocturne. Des Indiens en bons termes avec les Blancs se sont joints aux trois hommes et leur ont relaté que Smith, le passeur, avait été tué par des Indiens chilcotins le soir précédant le massacre général. Ils avaient aussi été témoins de la destruction totale du petit groupe qui dormait près de M. Brewster, le contremaître, peu de temps avant le massacre du grand groupe. 7. Les trois Blancs ont été amenés en canoë sur la Homathco au site de la ville de Bute Inlet. De là, ils ont été transportés à Nanaimo dans l’île de Vancouver et sont arrivés à Victoria le 11 mai. 8. J’ai devant moi les dépositions prises par le magistrat de police dans cette ville. Elles ne montrent aucune cause de la haine mortelle des Chilcotins. Les témoins ont déclaré n’avoir fait aucune provocation, ne pas avoir forcé les femmes ou maltraité les hommes. La cause de cette tuerie reste inconnue et les déposants ne pouvaient que présumer que la cupidité pouvait en être la cause. Mais cela semble un motif insuffisant. Les objets de petite valeur, les vêtements de travail et les pauvres provisions des constructeurs n’auraient offert que peu d’attrait pour la perpétration d’un crime si terrible. Certaines personnes disent que le groupe de Waddington a peut-être offensé les Chilcotins en bâtissant une route dans leur territoire sans leur en demander la permission. Mais cela ne tient pas en raison du fait que les auteurs du massacre étaient, croit-on, les mêmes Chilcotins qui les assistaient dans leur travail. D’autres ont émis la supposition que les événements précédant le départ de Sir James Douglas ont induit les Indiens à croire que les Blancs ont été laissés sans dirigeants. Peut-être. Nous savons que les tribus plus civilisées sur le Fraser ont pensé qu’elles avaient été laissées sans protection ou ami. 9. L’hypothèse la plus plausible m’a été présentée verbalement par Moseley. Il y aurait peut-être eu un différend entre Smith, le passeur, et certains Indiens. Smith était un homme violent et de tempérament inégal. La dispute peut avoir dégénéré en coups et les coups auront causé la mort. La peur du châtiment pourrait être apparue. D’où le fait de lancer le corps dans la rivière et de pousser le chaland à la dérive. Pour dissimuler le premier meurtre, le massacre général aurait été entrepris. Cette dernière hypothèse suggérerait que les Indiens entretiennent une plus grande crainte du pouvoir des Blancs que je n’ose l’imaginer. Tout n’est que supposition sur les motifs qui ont provoqué ce triste incident. 10. Le site de la ville de Bute Inlet et le territoire que traverse la route pour les trente premiers milles sont occupés conjointement par les Indiens des tribus Cayoosh et Ludataw qui, estimons-nous, sont amis des Anglais. Le territoire est ensuite occupé par une petite tribu, issue des Chilcotins, et leur chef, Pellot, a été vu prenant une part active dans la décimation des Blancs. Derrière les montagnes Cascades, où réside la petite tribu, se trouve la majorité des Chilcotins qui occupent un beau territoire ouvert vers le nord qui mesure environ 150 milles par 120 d’est en ouest. Une terrible querelle existait jusqu’à tout récemment entre les Chilcotins et les Indiens de la côte, les Cayoosh et les Ludataw, mais M. Waddington avait réussi, il y a deux ans, à réconcilier les tribus et il s’était établi une paix relative entre eux bien qu’il subsistât encore une certaine méfiance. 11. D’après les preuves dont je dispose, il semble évident que les seuls Indiens impliqués dans le massacre ont été les membres de la petite tribu issue des Chilcotins sous Pellot. Aucun étranger n’a été vu par les survivants. La tuerie a été perpétrée par les seize hommes qui depuis quelques semaines s’occupaient des corvées dans le camp. L’endroit où les Blancs ont péri est situé dans une région isolée et accidentée. Le seul accès passable est la route de M. Waddington et cette route est inaccessible aux assassins qui seraient exposés à une exécution sommaire de la part des Indiens de la côte. Ils ne peuvent rester là où ils sont. Il n’y a là aucun moyen de subsistance. Ils auront donc traversé les montagnes et les torrents vers le territoire de leur tribu parente. La saison de la pêche attire des milliers d’Indiens vers les lacs du territoire des Chilcotins et nous savons, avec une assez grande précision, où se trouvent les meurtriers. 12. Les démarches que j’ai entreprises à ce moment sont les suivantes. J’ai envoyé M. Brew, le magistrat de police de New Westminster, avec un groupe de 28 agents spéciaux à Bute Inlet à bord du Forward. Ces hommes sont des volontaires qui ne sont pas habitués à la vie dans les bois et ils sont armés de fusils et de revolvers. M. Brew recueillera le plus de renseignements possible des Indiens de la côte et leur demandera assistance. Il se dirigera avec son groupe vers le lieu du massacre qui est à trente-neuf milles de Bute Inlet. Il vérifiera d’abord s’il y a des survivants du groupe de M. Waddington. Il sera alors au terminus de notre route, la scène de l’incident. M. Brew réfléchira sur ce qui doit être fait et, principalement, s’il est possible d’avancer dans ce territoire si difficile jusqu’aux plaines situées de l’autre côté de la montagne. Il m’enverra un message urgent et demandera du renfort si l’expédition devait se poursuivre plus loin. Heureusement, il y a quatre mois de provisions à la source de Bute Inlet, mais je ne vois pas comment les hommes, une fois arrivés dans les plaines, fatigués après avoir traversé les montagnes et lutté pendant près de trois semaines en territoire impraticable, et leur nombre possiblement réduit par la maladie, pourraient établir une véritable base d’opération avec assez de provisions pour survivre. Une retraite forcée par les montagnes pourrait entraîner un nombre d’incidents désastreux que j’ose à peine imaginer. Je pense donc que le groupe de M. Brew ne pourra pas aller plus loin que l’endroit où les communications sont assurées. 13. L’envoi d’une expédition d’Alexandria qui voyagera dans la région du haut Fraser est mon meilleur atout pour assurer la capture des meurtriers et l’application de la loi. Les prairies s’étendent presque jusqu’au fleuve, on peut transporter des vivres pour les hommes et l’herbe est abondante pour les chevaux. M. William Cox, un des commissaires de l’or de Cariboo, commandera une force d’environ 50 hommes – des agents de police qui ont prêté serment puisque nous voulons procéder de façon légale – et qui constituera une force redoutable qui sera en sécurité dans les plaines contre toute attaque des Indiens. J’ai dû laisser une grande liberté d’action à M. Cox, mais il est présumé qu’il partira immédiatement pour les quartiers d’Alexis, le grand chef de la tribu chilcotin, qu’il lui montrera son mandat et lui expliquera que la loi de la Reine doit suivre son cours. Sa demande de rétribution sera accompagnée de ma proclamation qui offre une prime de 50 £ pour la capture de chaque meurtrier. J’ose espérer que sa mission aura du succès. Je ne vois pas d’autres façons de traiter cette affaire. Lorsque Votre Excellence apprendra que le salaire des hommes de M. Cox sera le même que celui qui est versé aux travailleurs des mines de Cariboo et que toutes les marchandises seront achetées aux prix exorbitants qui ont cours là-bas, vous verrez que je sacrifie une large portion des finances de la colonie pour maintenir son honneur et appliquer la loi. 14. Je souhaite insister auprès de Votre Excellence sur le fait qu’il ne s’agit pas – à ce stade – d’une guerre. J’ai rejeté toutes les offres d’assistance qui me viennent d’au-delà de la colonie de la part d’hommes qui désirent se venger. Mon seul désir est d’obtenir justice. Conséquemment, nous n’avons envoyé sur le terrain que des magistrats et des agents de police. De l’aide extérieure pourrait être requise en dernier recours. Pour le moment, Alexis reconnaîtra plusieurs visages familiers parmi le groupe de M. Cox et il verra des visages amicaux mais déterminés. 15. On a perdu beaucoup de temps à mettre en place les dispositions nécessaires pour imposer notre autorité. Mais pas par ma faute. Je veux que l’on comprenne clairement que je ne me plains pas de quiconque dans le rapport suivant. 16. Les distances que devront parcourir M. Cox et son groupe sont immenses et j’ai bien peur de ne pouvoir faire part des résultats satisfaisants à Votre Excellence avant au moins trois mois. J’espère sincèrement être en mesure de le faire à l’expiration de ce délai. Toutefois, il reste un pénible incident dont je n’ai pas encore fait part. Six des hommes du groupe de M. Waddington ont été envoyés par Bentinck Arm pour commencer les opérations à partir de l’autre côté de la chaîne des Cascades. Leur parcours les a inévitablement mis en contact avec les meurtriers de leurs compagnons. Ceci était connu de Victoria. Pourquoi a-t-on attendu deux jours avant de communiquer avec moi? 17. J’aborderai avec Votre Excellence la vulnérabilité de cette colonie dans une autre dépêche en date de ce jour. Dans notre situation actuelle, une insurrection indienne pourrait se transformer en un combat pour notre existence qui serait mené on ne sait trop comment par des colons et des mineurs contre une écrasante population autochtone. Veuillez agréer etc. Sir F. Rogers ABd 22 juillet M. Fortescue Que faire et quoi dire. La première question était dans une dépêche que j’ai envoyée de façon plutôt hâtive hier. Je présume que les soldats ne seront pas envoyés, mais qu’on pourrait écrire à l’amirauté pour affirmer que, bien que M. C. reconnaisse la pertinence de donner instructions à l’amiral Denman de ne pas envoyer d’officiers ou d’hommes lors d’expéditions vers l’intérieur du territoire, il espère que des ordres seront transmis à l’effet que les deux canonnières qui ont été envoyées spécialement pour la protection de la C.-B. se déplaceront de façon à être disponibles à cette fin en cas d’urgence, soit pour le transport de personnes ou de messages, soit pour des démonstrations sur la côte en supposant que de telles démonstrations soient nécessaires, ce qui paraît peu probable à ce moment-ci. Ensuite, concernant ce qui doit être dit, j’écrirais à M. Seymour exprimant mes regrets, approuvant la rapidité et la fermeté avec lesquelles il a agi, lui envoyant une copie de la lettre du commandant à l’amirauté et exprimant le souhait qu’aucune action n’entravera la chaleureuse collaboration qui devrait exister entre lui-même et l’amiral de la station, exprimant l’allusion au fait qu’il ne doive pas parler « de donner ordre » aux navires de SM, citant avec approbation les passages marqués exprimant la satisfaction qu’il soit pleinement conscient des conséquences qu’entraînerait une guerre contre les Indiens pour la colonie et confiant qu’il sera particulièrement attentif à éviter toute mesure qui pourrait transformer en une guerre tribale un acte de violence isolé commis par une bande de meurtriers. Ajouter que M. Cardwell a conscience des frais encourus par la colonie à la suite des opérations, mais qu’ils sont encourus exclusivement dans l’intérêt de la colonie et qu’ils sont en grande partie le résultat du haut taux de profit réalisé par ses habitants. Conséquemment, ces frais peuvent difficilement être considérés comme motifs de réclamation. Écrire au gouverneur Kennedy que M. Cardwell a reçu de la Colombie-Britannique un compte rendu de ce regrettable massacre et qu’il apparaît que la première nouvelle du premier meurtre (celui du passeur Smith) est arrivé à Victoria le 5 avril, que des nouvelles authentiques du massacre général ont été reçues le 11 et qu’aucune démarche n’a été prise par le Gouvernement pour faire part de nouvelles si importantes au Gouvernement de la colonie concernée jusqu’au départ du navire postal le vendredi 13 à la mi-journée, selon son horaire régulier. Remarquer également qu’il est ajouté qu’au moment où ce délai est survenu, il était connu de Victoria qu’un groupe de travailleurs était en route dans une direction qui l’amènerait probablement en contact avec les auteurs du massacre, s’il n’était pas rappelé, et en fait que cela s’est peut-être produit, et demander des explications. Je ne vois pas comment cette requête au gouverneur Kennedy pourrait être évitée bien que j’aie peur que cela ne soit pas bien reçu et que cela n’améliore aucunement la situation qui prévaut entre lui et M. Seymour. [FR] 28 juillet 1864 M. Cardwell Écrire à l’amirauté et au gouverneur Seymour tel que proposé? Mais je doute de la nécessité de demander au gouverneur Kennedy une explication sur le fait qu’il n’ait pas envoyé les nouvelles du massacre par une des canonnières au gouverneur Seymour. CF 27 Au gouverneur Seymour comme ci-dessus. À l’amirauté exprimant qu’aucune ingérence n’était délibérée en ce qui concerne les pouvoirs des officiers de la marine et souhaitant que de tels ordres seront donnés de temps à autre à leurs officiers dans le but d’assurer une protection efficace des personnes et de la propriété, etc. Au gouverneur Kennedy, demandant quelles mesures ont été prises pour la sécurité des travailleurs des chantiers routiers? Rédiger la dépêche en essayant d’éviter, autant que possible, les objections mentionnées par Sir FR. EC 29 Source: Great Britain Public Record Office, Colonial Office Records, CO 60/18, p. 273, 6959, Frederick Seymour, Lettre à Newcastle, no 7, sent 20 mai 1864, received 22 juillet 1864.
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