La Tribune, 1er octobre 1920 p. 1 SES JUMEAUX ARRACHERENT LA MARATRE A LA POTENCE Un grand quotidien de Montréal donnait, hier soir, la version qui suit au sujet de la commutation de peine de la femme Gagnon - « C’est pour mes enfants, je le sais, qu’on a fait cela, c’est pour mes enfants, pour mes deux petits jumeaux, ce n’est pas pour moi, c’est pour eux seulement qu’on a fait cela. » C’est par ces paroles que Marie-Anne Houde, femme du bagnard Télesphore Gagnon, a accueillie en sanglotant l’heureuse nouvelle de la commutation de sa sentence de mort en emprisonnement à perpetuité. Cette nouvelle a été communiquée, mercredi soir, à la condamnée à mort par l’hon. J. N. Francoeur, son défenseur, vers neuf heures et quart. M. Francoeur fut informé de la chose par son associé professionnel, M. Thomas Viens, qui était allé plaider la cause de la femme Gagnon auprès du gouvernement fédéral. Ce fut, dit-on, une rude bataille chez les ministres. Le plus grand nombre d’entre eux étaient favorable à la commutation, mais le ministre de la justice, l’honorable C. J. Doherty, y était absolument opposé. L’opinion du ministre Le ministre de la justice voulait que la justice suivit son cours. Il prétendit que les magistrats qui président un procès doivent être les meilleurs juges dans les circonstances. Or, dans le cas de la femme Gagnon, le juge Pelletier a fait une charge terrible contre l’accusée. Le ministre de la justice croyait que le gouvernement ne pourrait pas faire preuve de clémence après une charge telle que celle qui avait été faite contre la femme Gagnon. Inutile violence Cette affaire pourrait bien avoir pour résultat de mettre fin à ces charges violentes prononcées par les juges des Assises contre les accusés, charges qui ne sont plus des résumés de la preuve, comme le veut la loi, mais qui sont plutôt des réquisitoires à fond de train contre les prévenus. Cette coutume a été abolie en France, et elle pourrait bien l’être ici avant longtemps. Pour les douze jurés Le cabinet fédéral a siégé jusqu’à [[manque]]heures 30, et l’arrêté ministériel ordonnant la commutation de la peine de mort n’a été signé qu’à 7 heures 15 par le gouverneur général. L’une des [[manque]] qui ont le plus contribué à cette décision est que, sur les douze jurés qui ont rendu un verdict de culpabilité contre la femme Gagnon, dix ont signé la requête demandant la commutation de la peine de mort. [[manque]] les signataires se trouve le président du jury, M. Huot, de Québec. Depuis la condamnation à mort de la femme Gagnon, les journaux de Québec et d’ailleurs ont été remplis de lettres, en « Tribune libre », les unes clamant la peine capitale contre cette femme, les autres implorant la clémence, à cause de son irresponsabilité. Ses enfants la sauvent Il est à remarquer que depuis quelques temps, les personnes les plus favorables à l’exécution ont changé d’idée surtout depuis que cette femme a donné naissance à deux jumeaux dans la prison de Québec. Quand l’honorable J.-N. Francoeur a annoncé l’heureuse nouvelle à la femme Gagnon, dans sa cellule à la prison, ce fut une scène indescriptible. La malheureuse tenait dans ses bras l’un de ses jumeaux. Elle éclata en sanglots, et fut durant plusieurs minutes dans l’impossibilité de proférer une seule parole. L’une de ses principales préoccupation, dit M. Francoeur, était que ses jumeaux fussent confiés à l’institution de la crèche. Elle eut préféré mourir, en sachant que ses deux enfants allaient être confiés à de bonnes familles qui les élèveraient bien. « Je mourrais contente si je savais cela », disait-elle. Le sort des enfants Nous savons pertinemment qu’une famille de Québec était prête a adopter les deux enfants jumeaux de la femme Gagnon aussitôt après l’exécution. Il est même probable que cette famille adoptera ces enfants, aussitôt que leur mère sera partie pour aller passer le reste de ses jours au pénitencier de Kingston. Elle ne cessait de répéter, hier : « C’est pour mes enfants que je suis contente. Ce n’est pas pour moi, c’est pour mes enfants ». Hier après-midi, elle reçut la visite d’un de ses frères et elle ne cessait de lui répéter qu’elle ne désirait vivre que pour ses enfants. Depuis trois semaine, la femme Gagnon n’a presque pas dormi ni mangé. Depuis cinq jours, elle n’avait ni dormi ni mangé. Le gouverneur J.-B. Carbonneau, de la prison de Québec, est du nombre de ceux que réjouit la nouvele de la commutation de la peine de mort. « Il faut, nous disait-il, avoir été témoin de ce qui s’est passé ici, depuis quelques semaines, pour juger de la satisfaction que cette nouvelle nous cause. Tous les préparatifs pour l’exécution étaient terminés, mais nous attendions avec espoir le résultat des démarches faites pour sauver cette femme de la potence ». Prête à mourir Durant la journée d’hier, la femme Gagnon a pleuré. Elle avait confiance à cause de ses enfants, mais elle pleurait quand même. Elle s’était préparée à la mort. Elle avait passé plusieurs heures avec le R. P. Lefebvre, s. j., et avec le chanoine Charles Beaulieu, aumônier de la prison. Elle fit son sacrifice, mais elle conservait toujours l’espoir de vivre, grâce à ses deux petits enfants qu’elle gardait toujours près d’elle, comme un bouclier contre la mort qui l’attendait. La mort n’était rien pour elle. Elle l’attendait, elle la souhaitait même, mais elle demandait seulement qu’on la laissait vivre pour nourrir ses enfants, et pour en avoir soin durant quelque temps encore. Le crime de la mégère Le crime pour lequel la femme Gagnon a été condamnée à mort est l’un des plus révoltants dont nos annales criminelles fassent mention. Elle a martyrisé longuement et lentement la fille de son mari, Aurore Gagnon, âgée de 10 ans, laquelle est morte le 12 février dernier à Ste-Philomène de Fortierville, comté de Lotbinière. Elle fut condamnée à mort le 21 avril dernier par l’honorable juge Pelletier. Son mari, Télesphore Gagnon fut trouvé coupable d’homicide involontaire, le 28 avril dernier, et condamné au pénitencier pour la vie par l’honorable juge Désy. Les jumeaux de la marâtre, un garçon et une fille, sont nés dans la prison de Québec, le 8 juillet dernier et ils ont été baptisés le même jour par le chanoine Chs. Beaulieu, sous les noms de Roch-Jean et Jeanne d’Arc. Le gouverneur de la prison de Québec et sa femme, animés par un bel esprit de charité, agissaient comme parrain et marraine des enfants de la condamnée. Source: La Tribune, "Ses jumeaux arrachèrent la marâtre à la potence," La Tribune (Sherbrooke), octobre 1, 1920.
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