Groenland, le point de départ pour les expéditions en Amérique du Nord
[…]Les sources écrites et les découvertes archéologiques démontrent que les deux endroits qui ont été colonisés au Groenland, l’un à l’extrémité sud de la pointe sud-ouest du Groenland connu au Moyen Âge comme l’Établissement de l’Est, et l’autre dans la région près de Nuuk (Godthåb), l’Établissement de l’Ouest, l’ont été vers l’an 1000.
On présume que l’Établissement de l’Ouest a été abandonné vers le milieu du quatorzième siècle et l’Établissement de l’Est, environ un siècle plus tard.
L’histoire des Vikings au Groenland s’étend donc sur une période de presque 500 ans, ce qui correspond à la période entre la découverte de l’Amérique par Colomb et aujourd’hui. Pensons un moment au nombre d’évènements qui sont survenus depuis l’époque de Colomb!
Il semble évident que les cinq siècles de colonisation des Vikings ont été aussi mouvementés. Cependant, à l’exception de quelques évènements politiques d’importance qui ont été consignés en Islande ou en Norvège, nous ignorons presque tout des évènements survenus dans la communauté viking au Groenland ou sur les circonstances qui ont finalement mené à l’abandon des établissements.
Les expéditions des Vikings du Groenland sur le continent américain se divisent en trois périodes : les expéditions au Vinland durant le onzième siècle, les expéditions au nord le long de la côte du Groenland vers 1200-1250 et, finalement, une seule expédition des Groenlandais au Markland au milieu du quatorzième siècle. Dans les récits anciens, les expéditions semblent être des évènements isolés, sans lien entre elles. Malgré la rareté des renseignements, les expéditions au nord et à l’ouest sont probablement les évènements dans l’histoire des Vikings que nous connaissons le mieux. L’étude de ces expéditions nous permet de comprendre, même de façon fragmentaire, comment s’est développée la société groenlandaise, point d’origine de ces expéditions.
Le Groenland au onzième siècle
La colonisation du Groenland et les expéditions au Vinland sont décrites dans deux grandes sagas islandaises, Grœnlendinga saga et Eiriks saga rauða, qui auraient été composées au treizième siècle. Les sagas débutent par la description de l’occupation des terres dans l’Établissement de l’Est et l’Établissement de l’Ouest par des colons islandais, dont Eirik le Rouge. S’ensuit une description de la découverte du Vinland, du Helluland et du Markland par la deuxième génération de Groenlandais et la tentative échouée de coloniser le Vinland.
L’emplacement géographique du Vinland, du Helluland et du Markland a été le sujet de nombreuses hypothèses depuis des générations, mais depuis la localisation de L’Anse aux Meadows, la discussion s’est à peu près éteinte. Aujourd’hui, on s’entend généralement sur le fait que les terres décrites dans les sagas se trouvent dans la région avoisinant Terre-Neuve et le Labrador.
Lorsqu’on lit les sagas islandaises, on se prend à penser que tous les premiers colons au Groenland étaient de riches fermiers arrogants; étant égaux, ils se seraient divisés la terre d’une façon démocratique. Il est possible que ce soit exactement ce qui s’est passé, mais les résultats de fouilles archéologiques récentes, concentrées près du fjord Ameralla dans la partie sud de l’Établissement de l’Ouest, suggèrent que des individus moins privilégiés ont dû faire partie des premiers colons, qu’ils auraient été peut-être dépendants des grands hommes et qu’ils auraient été forcés de se satisfaire des sites agricoles moins intéressants.
À l’embouchure du fjord Ameralla, où le village viking de Sandnes est considéré avoir été construit, sur la large plaine morainique et fertile de Kilaarsarfik, il y aurait eu assez de pâturages et de champs de blé pour nourrir un grand troupeau composé principalement de vaches et de plus petits troupeaux de moutons et de chèvres. C’est à cet endroit que le plus important fermier s’est établi. Des hommes moins riches ont dû se contenter de sites tels que la ferme à Niaquusat sur le côté nord d’Ameralla. Avec juste assez de place entre la montagne escarpée située derrière et deux promontoires, la ferme est encerclée par des champs assez petits. Il était à peu près impossible d’y moissonner suffisamment de fourrage pour le pâturage d’hiver et donc d’y garder un troupeau. Il n’y avait probablement que des chèvres et des moutons. En tenant compte de la superficie restreinte et de la topographie des lieux, il apparaît que le propriétaire de la ferme s’y est établi avec l’intention de développer une économie diversifiée comprenant, entre autres, la chasse dans le fjord, principalement au phoque, qui a dû jouer un rôle primordial. Les habitants des fermes situées à l’intérieur des terres n’étaient probablement pas d’une position sociale très élevée non plus. À cet endroit, la chasse au renne a dû prendre une grande importance pour subvenir aux besoins des maisonnées et, de plus, les plaines intérieures devaient être un bon endroit pour garder des moutons et des chèvres. De toute façon, les découvertes de squelettes d’animaux qui cependant datent de la fin de l’Établissement de l’Ouest, démontrent qu’il y avait majoritairement des moutons et des chèvres.
Tous les sites observés à l’Établissement de l’Ouest ont été datés aux environs de l’an 1000 par la technique du carbone 14. Les fouilles archéologiques ont permis de dresser le portrait d’une communauté dont la structure sociale était stable et qui avait l’objectif initial d’exploiter toutes les niches écologiques disponibles afin que la communauté puisse survivre dans cette région marginale (en comparaison de la culture agraire scandinave).
Pour la colonie scandinave au Groenland, il fallait d’abord que la terre puisse nourrir la population, mais la proximité de produits de grande valeur comme l’ivoire des défenses des morses et, peut-être, des narvals a pu influencer la décision des Vikings de s’installer à cet endroit. Le morse permettait aussi de confectionner des cordes en cuir qui étaient très populaires à cause de leur grande robustesse. Ohthere, le grand voyageur du nord de la Norvège, dont la richesse venait du commerce de l’ivoire des morses et de la fourrure, a témoigné de la popularité de ces produits en Europe durant l’ère viking (Lund et al. 1983). De tels produits commerciaux permettaient aux Groenlandais d’obtenir richesse et respect tout en maintenant des relations commerciales essentielles avec la Scandinavie.
Cependant, il est encore impossible de prouver où les Vikings chassaient en dehors de leurs colonies pendant la période de colonisation. Le morse et le narval vivent au nord des colonies vikings et, dans la courte histoire de la Norvège connue sous le nom de Historia Norvegiae datant de la fin du douzième siècle, il n’y a qu’une seule référence qui suggère que les Vikings, avant la publication de cet ouvrage, auraient voyagé au nord du Groenland (Salvesen 1969).[…]
On ne sait pas très bien pourquoi les Vikings ont entrepris leurs expéditions au Vinland. Elles auraient eu lieu lors de l’établissement des colonies vikings au Groenland et elles marqueraient, semble-t-il, un stade dans la phase de développement au cours de laquelle on explorait minutieusement toutes les possibilités offertes dans les régions avoisinantes.
Conclusion
Les expéditions des Vikings en Amérique du Nord relatent l’histoire de voyages d’exploration, de chasse et peut-être d’échanges commerciaux.
On suppose que les Vikings ont été dépendants dès le début de toutes les niches écologiques disponibles offertes par le Groenland et il y a beaucoup d’indices qui permettent de croire qu’ils y sont restés. Le Vinland, le Markland et le Helluland ont été « découverts », mais il est évident qu’ils n’ont pas fait partie des niches écologiques des Vikings. Les exigences agricoles et les ressources naturelles du Groenland allaient de pair. La colonisation du Groenland se devait d’atteindre un équilibre raisonnable entre l’agriculture et la nature. Cependant, cet équilibre était précaire et le système, vulnérable.
Les changements même mineurs aux infrastructures pouvaient engendrer des problèmes. On a plusieurs fois mentionné l’imposition de taxes par la Couronne et par l’Église à un moment où la détérioration du climat avait réduit les chances de survie pour une société agraire au Groenland. Il a également été fait mention de l’interruption possible des communications régulières avec la Scandinavie, ce qui a provoqué un manque de produits de première nécessité tels que le fer et le bois d’œuvre.
L’augmentation des taxes présuppose un surplus de production et cela ne pouvait être atteint qu’en augmentant la superficie de la région exploitée ou, lorsque cela s’avérait impossible, en intensifiant l’exploitation des ressources qui faisaient déjà partie de leur système économique. Les expéditions nordiques chez les Thulé ou dans l’Arctique canadien doivent être envisagées comme faisant partie de la seconde solution. En attirant les Eskimos dans des échanges commerciaux, on s’assurait une augmentation significative des exportations vers l’Europe de produits découlant de la chasse aux morses. L’expédition au Markland en 1347 doit être vue comme une tentative d’agrandir la région exploitée.
Il n’est pas encore certain que les Vikings aient réussi à établir un réseau durable d’échanges commerciaux avec les Eskimos au Canada et au Groenland. Il n’est pas non plus certain qu’ils aient réussi à remplacer le bois d’œuvre norvégien par le bois récupéré du Markland. Le fait que les colonies des Vikings au Groenland aient été abandonnées au cours du quinzième siècle doit cependant être pris comme une indication qu’ils n’ont pas réussi à établir un équilibre raisonnable entre l’agriculture et la nature au Groenland.
Références
Lund, Niels (et al.): Ottar og Wulfstan. To rejsebeskrivelser fra vikingetiden. Vikingeskibshallen I Roskilde 1983.
Salvesen, Astrid: Norges Historie. Historen om de gamle norske kongerne. Olso 1969.