[La tour de Newport dans] « Premiers voyages et premières explorations »
[...]La muse de Longfellow a fait en sorte que la tour ronde de Newport ne soit jamais oubliée; autrement, elle aurait perdu sa place depuis longtemps dans la littérature, place qu’elle a acquise par le zèle des archéologues combiné au goût universel pour le merveilleux. M. Rafn, heureux de croire qu’il s’agissait d’une relique de l’occupation norvégienne au Rhode Island, s’est donné beaucoup de mal en fournissant des esquisses aux lecteurs de la Copenhagen Transactions et en leur donnant les moyens de les comparer avec les anciennes structures du nord de l’Europe afin de prouver leurs ressemblances. (Transactions of the Society of Northern Antiquaries for 1836-39, p. 365.) L’édifice fait environ 23 pi de diamètre et 24 pi 6 po de hauteur, la moitié de cette hauteur provenant de huit voûtes romaines et leurs piliers respectifs sur lesquels reposent un mur circulaire percé de quatre fenêtres. Il est simplement extraordinaire qu’il n’existe aucun document pour décrire l’érection d’un édifice si particulier par les habitants anglais du Rhode Island. Il serait encore plus étrange que les premiers colons anglais n’aient pas mentionné ce fait s’ils avaient trouvé à leur arrivée un vestige d’une ancienne civilisation qui était si différent de tout ce qu’ils pouvaient voir autour d’eux.
La première mention de son existence se trouve dans le testament du gouverneur Benedict Arnold, de Newport, en date du 20 décembre 1677. Dans ce document, il demande que son corps soit enterré à un endroit précis « se trouvant sur mes terres sur la ligne ou le sentier de ma résidence qui mène à ‘mon moulin à vent en pierres’, dans la ville de Newport, nommée plus haut. » Cette description est également donnée dans une autre partie du document.
On sait qu’au siècle dernier l’édifice a servi de moulin à broyer le grain et ensuite de moulin à poudre. Dans son testament daté de 1740, Edward Pelham, l’époux de la petite-fille du gouverneur Arnold, l’a nommé « un vieux moulin en pierres ». La tradition de la famille Arnold, dont se porte garant l’arrière-petit-fils du Gouverneur, qui est mort dans les dix ou quinze dernières années, maintient que le moulin a été bâti par le gouverneur Arnold. Peter Easton, un des premiers colons de Newport, rapporte dans son journal intime en date du 28 août 1675 : « Une tempête a démoli notre moulin à vent. » Il est naturel de présumer qu’Arnold l’a remplacé par un édifice plus solide qu’il a appelé « mon moulin à vent en pierres » dans son testament deux ans plus tard.
Qu’il en parle comme étant le sien, ne prouve pas que c’est lui qui l’a bâti. On peut présumer que, lorsqu’il a trouvé une ancienne forteresse scandinave, ou un baptistère, ou une autre structure, il y a peut-être incorporé une roue de moulin. Quoi qu’il en soit, rien de cela ne s’est passé aux époques précédentes, car même en 1663, Eston a écrit dans son journal intime : « Cette année nous avons bâti le premier moulin à vent », le même qui avait été démoli en 1675. En 1675, le gouverneur Arnold était un homme avec les moyens de se payer des fantaisies; il avait soixante ans, un âge où les hommes ont souvent tendance au sentimentalisme en ce qui concerne certains objets rattachés à leurs souvenirs de jeunesse. Au Rhode Island, on pense que la famille d’Arnold venait du Warwickshire, bien que je ne sache pas quelles preuves appuient cette affirmation; il est important de noter qu’une partie de la propriété du Gouverneur est mentionnée dans son testament comme étant sa « ferme Lemmington », le nom commémorant apparemment la station balnéaire estivale bien connue située à deux ou trois milles de la ville de Warwick.
Ceci pourrait fournir une explication pour ce que chacun semble vouloir expliquer, c’est-à-dire une conception architecturale unique pour un édifice qui devait simplement servir de moulin à vent pour un village d’humbles colons. Pourquoi ces colonnes et ces voûtes de pierres? Pourquoi la maçonnerie dans le mur supérieur?
Dans la paroisse de Chesterton, dans le Warwickshire, à trois milles de Leamington, sur la propriété de Lord Willoughby d'Eresby, se trouve un moulin à vent du même type de construction. Je peux en faire une description personnelle car j’ai visité l’endroit à l’été de 1856. Le ministre du culte qui m’a aimablement guidé vers l’endroit à partir de Tachbrook m’a informé qu’il y en avait d’autres avec la même architecture dans le voisinage, mais il ne les avait pas vus, étant lui-même un étranger dans cette région.
L’édifice de Chesterton, connu dans les environs comme « le moulin en pierres » est érigé sur un talus de trois pieds de haut, entouré d’un muret et d’un fossé. La tour, faite de blocs de pierre équarris mesure entre 23 et 24 pi de diamètre et, d’après ce que j’ai pu en juger (car je n’avais aucun instrument de mesure), environ 26 pi de haut sous un toit en bois en forme de dôme. Au-dessus de quatre des six voûtes romaines se trouvent des fenêtres carrées sur le même plan horizontal et situées par paires en face l’une de l’autre. Les colonnes, 4 pi de diamètre, sont carrées à l’exception des côtés intérieurs et extérieurs où ils sont courbés selon la forme circulaire de la tour. La galerie est éclairée par les fenêtres et on la rejoint par un escalier de bois rudimentaire près des colonnes.
L’édifice de Newport ressemble beaucoup à celui-ci, comme il est possible de voir d’après les esquisses ci-jointes. On sait que dans les cent dernières années, l’édifice a eu un toit hémisphérique et un plancher au-dessus de la galerie, bien qu’ils aient disparu depuis. Les colonnes, avec leurs chapiteaux et leurs bases diffèrent de ceux de Chesterton, car ils sont circulaires et la maçonnerie est plus rudimentaire, comme on peut s’y attendre dans une nouvelle colonie où l’on travaille avec une main-d’œuvre moins qualifiée et des matériaux communs.
En présumant que le moulin de Newport, qui n’a pas de toit, ait perdu un rang ou deux de pierres au cours des années, son diamètre et sa hauteur auraient pu être une copie précise de l’autre moulin. On pense que le moulin de Chesterton aurait été bâti selon les plans d’Inigo Jones; cette théorie est d’autant plus crédible que la conception n’aurait pas été simplement un caprice architectural pour satisfaire la fantaisie d’un propriétaire, mais on dit qu’elle combine également une symétrie architecturale avec une valeur utile car le moulin permet le passage de l’air à travers les voûtes, empêchant un tourbillon, qui aurait créé un effet similaire au masque de voile qui aurait réduit le pouvoir du vent. Jones avait plus de soixante ans lorsque Arnold, alors âgé de vingt ans, est venu en Amérique. Si le moulin de Chesterton existait au moment de son émigration et s’il venait de Warwick, il en connaissait l’existence et savait que c’était un des prodiges du canton; et il faut bien peu connaître la nature humaine si on ne comprend pas qu’un homme prospère rendu au déclin de sa vie ait voulu reproduire un objet dont il gardait un tendre souvenir d’enfance dans le continent distant où la Providence l’avait amené.
Je veux également avancer qu’Arnold ne vivait pas en aussi bons termes avec les Indiens que certains de ses compatriotes du Rhode Island; il est possible de présumer que, lorsqu’il a bâti le moulin, il pensait également qu’il pourrait servir de forteresse si le besoin s’en faisait sentir ou, à tout le moins, donner l’apparence d’être préparé contre toute tentative de mauvais coups.
Ces faits me semblent apporter l’explication la plus probable de l’origine de cet unique édifice. Les gravures (celle du moulin anglais légèrement altérée afin de confirmer mes observations) ainsi que plusieurs des faits repris dans le présent texte proviennent d’un court traité intitulé The Controversy touching the Old Stone Mill etc., publié à Newport en 1851.[…]