[La tour de Newport dans] « Embûches et faux pas en quête de l’Amérique à l’ère des Vikings »
En 1837, Carl Christian Rafn, un philologue danois, a publié une œuvre importante, Antiquitates Americanae, dans laquelle il a tenté de démontrer que le « Vinland » mentionné dans les sagas islandaises et autres sources écrites médiévales était situé dans les régions qui forment aujourd’hui les états du Massachusetts et du Rhode Island. Dans le flot d’information sur les possibles découvertes scandinaves, l’attention de Rafn a été attirée par une tour en ruine à Newport, au Rhode Island. L’édifice était connu comme ayant appartenu au gouverneur Benedict Arnold, qui, en 1677, a mentionné son existence comme étant « mon moulin à vent en pierres ».
Cependant, il avait une structure très inhabituelle pour un moulin : une partie supérieure cylindrique supportée par huit piliers ronds […] Se basant sur des dessins que lui avait envoyés Thomas Webb, secrétaire de l’Association d’histoire du Rhode Island, Rafn a conclu que l’édifice avait été initialement construit par les colons scandinaves au douzième siècle pour servir de baptistère, conférant ainsi à l’édifice le titre de plus ancienne église et de premier édifice européen dans le Nouveau Monde. Inspiré par la théorie de Rafn, le poète Henry Wadsworth Longfellow a écrit une ballade, Le squelette en armure, en 1841, qui a rendu la tour célèbre en mentionnant que c’était la résidence d’un prétendu Viking trouvé dans une tombe de guerrier près de Fall River.
La théorie de Rafn a acquis de nombreux adeptes alors que d’autres continuaient à dire que la tour avait été construite par le gouverneur Arnold pour servir de moulin. Après des débats houleux qui ont duré plus de cent ans, on a décidé de résoudre l’énigme en faisant des fouilles qui ont été dirigées par William S. Godfrey, un étudiant aux études supérieures de l’Université Harvard, en 1948 et 1949. Parmi les milliers de fragments qui ont été trouvés, aucun ne datait d’avant la période coloniale. Dans une cavité à l’intérieur d’un des piliers, Godfrey a trouvé un petit morceau d’une pipe d’argile, et dans une autre base, un morceau de pierre à fusil. Sous l’empreinte d’une botte ou d’un soulier clouté avec un talon carré trouvé au fond d’un fossé de fondation, Godfrey a découvert le fragment décoré d’un tuyau de pipe en argile de la moitié du dix-septième siècle. En ce qui concernait les personnes qui ont exécuté les fouilles, l’affaire était classée : la tour avait été construite par le gouverneur Arnold ou un de ses contemporains.
Le résultat des fouilles a cependant été sérieusement contesté par les adeptes locaux de la théorie de la colonisation viking. Qui plus est, plusieurs nouvelles théories avaient fait leur apparition au sujet de la construction initiale. Ces théories affirmaient que la tour avait été une tour de guet, un entrepôt, un phare, un abri fortifié ou même un calendrier astronomique. Des fissures dans la maçonnerie de pierres ont été interprétées comme étant des runes. On a suggéré comme ses constructeurs des Vikings du Nord, des moines irlandais, des marins portugais et des colons hollandais ou anglais. Afin de remplacer ces chimères par des faits, le Comité pour la recherche sur les activités vikings en Amérique du Nord, 1000-1500, principalement financé par Marvin Howe Green, Jr., a fait faire une analyse de la tour au moyen d’un relevé photogrammétrique en 1991 par les employés du Danish Technical University. En 1993, les employés de l’Université Helsinki, en Finlande, et du Musée national danois ont examiné les preuves et il est maintenant possible d’exclure avec certitude une datation précolombienne. Puisque la structure existait en 1677, elle date probablement du dix-septième siècle et, en fait, du milieu de ce siècle, en accord complet avec les conclusions de Godfrey. Ces faits, pris en considération avec le contexte architectural prestigieux de la tour nous permettent de conclure que la tour de Newport a été construite par le gouverneur Benedict Arnold comme moulin à vent. À Chesterton dans le Warwickshire, en Angleterre, il y a un moulin dont la construction avec piliers est similaire (ci-dessus illustré). Il a été bâti en 1632 dans le style palladien. Benedict Arnold (1615-1678) est arrivé en Amérique en 1635 et s’est installé à Newport en 1651. En 1663, il a été nommé gouverneur du Rhode Island. En empruntant une innovation architecturale prisée dans le vieux monde comme modèle pour son propre moulin, il a peut-être désiré apporter une contribution spéciale à la création d’une nouvelle Angleterre en sol étranger.
Un rapport sur ces recherches a été publié dans Newport History (Hertz 1997).