Le rapport de Schoolcraft sur les pictogrammes du rocher Dighton, 1856

II. SELON DES OBSERVATIONS ARCHÉOLOGIQUES, DES PERSONNES LETTRÉES SONT VENUES SUR LE CONTINENT À L’ÉPOQUE PRÉCOLOMBIENNE

[…]

QUE les audacieux Scandinaves soient venus en Amérique au début du dixième siècle en provenance du Groenland et qu’ils aient eu une bonne connaissance de sa géographie et de ses habitants au moins jusqu’au douzième siècle est un fait admis par tous ceux qui ont étudié attentivement les différents documents qui ont été publiés au cours des douze dernières années par la Société royale des antiquaires du Nord, à Copenhague. Tout historien honnête et bien-pensant reconnaîtra que les marins scandinaves de cette époque, des êtres vigoureux et intrépides, traversaient en toute liberté les différents passages, les golfes et les mers de l’Atlantique du Nord à bord de vaisseaux de faible tonnage et qu’ils connaissaient les îles et les rivages qui s’étendaient de l’Islande jusqu’au nord du continent. Ils sont arrivés du Groenland et ils ont non seulement visité les côtes à proximité des terres qu’on nomme maintenant Terre-Neuve et Nouvelle-Écosse, mais ils se sont aussi rendus dans les latitudes plus au sud qu’ils ont appelées Vinland, un terme qui, selon une interprétation de leurs carnets de voyage et de leurs observations maritimes et astronomiques, a démontré que, selon toute probabilité, le Vinland englobait la région contemporaine du Massachusetts et du Rhode Island. Il semble qu’ils aient tenté d’implanter une colonie dans cette région.

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Les principales données permettent d’affirmer que le Vinland était situé en Nouvelle-Angleterre, dont la côte est très accentuée. Les donnés maritimes ont été minutieusement étudiées par les professeurs Rafn et Magnusen et les données historiques se moulent à la configuration de la côte dont Cape Cod est la principale caractéristique. Tout cela semble avoir été fait avec une surprenante exactitude et est démontré par l’état avancé du savoir en la matière au Danemark et en Allemagne.

La principale erreur dans les détails sur lesquels sont fondées les observations historiques réside dans l’interprétation de la description d’un monument situé près de la colonie qu’on a tenté d’établir à l’embouchure de la baie de Narragansett à l’intérieur des limites visées par la charte du Massachusetts. Cette interprétation servira probablement à renforcer cette découverte, car elle ne porte l’attention que sur ce qui reste après que tous les éléments qui pourraient être de natures indiennes et qui montrent, de toute évidence, des pictogrammes rudimentaires d’origine indienne aient été retirés. Il ne reste donc que ce qui est clairement d’origine islandaise. C’est ce qui a été accompli dans le texte qui suit, texte qui endosse les résultats de l’étude faite par un chef algonquin en 1839 et publiée par les docteurs Baylies et Goodwin à Copenhague. Chingwauk, dont il est question, avait rejeté tous les caractères de son interprétation, sauf trois, tous des caractères généralement présumés être d’origine norroise ou en vieux saxon.[…]

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1. INSCRIPTION ANCIENNE SUR L’ASSONET OU LE ROCHER DE DIGHTON -

L’importance accordée à l’inscription du rocher de Dighton est peut-être trop grande par rapport à sa valeur historique. Cela est possiblement le résultat de l’attrait historique acquis lorsque la Société royale des antiquaires du Nord, de Copenhague, a publié il y a quelques années une série de sagas islandaises anciennes relatant les premières découvertes de l’Amérique. Avant cette publication, les inscriptions sur le rocher avaient toujours été vues comme le fruit du travail de mains indiennes. L’esprit humain se réjouit généralement lorsque les résultats de recherches ingénieuses éclaircissent, ou pensent éclaircir, un mystère dans un champ de connaissances quelconque.[…]

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En tant qu’Américains, nous sommes particulièrement sensibles à ces champs d’intérêt fraîchement découverts. C’était à peine hier, pour ainsi dire, que nous avons commencé à fouiller le nord de notre continent en quête d’antiquités. Tout ce qui touche à notre histoire et à nos institutions est si récent et si connu[…] un sujet sur lequel on peut se permettre d’avoir un doute et il est vivifiant de faire la lumière sur un fait quelconque qui nous permettrait de projeter un aura d’antiquité sur notre histoire.[…]

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La première impression fut décevante. Pour un monument archéologique, sa réputation semblait surfaite. Il y avait une différence au niveau de plusieurs caractères mineurs entre les copies de Baylies et Goodwin, datées de 1790, et celle de la Société d’histoire du Rhode Island de 1830; mais la plupart des pictogrammes avaient été reproduits dans les esquisses. […] Les lettres dans la copie de la Société d’histoire du Rhode Island, telle que publiée à Copenhague, sont floues ou elles n’y sont pas du tout […] Les dépôts laissés par la marée et certaines figures obscures ont créé des situations problématiques mais, sous ces dépôts, on pouvait nettement distinguer l’utilisation de deux types de caractères bien différents; il y avait une inscription algonquine et une inscription islandaise. Mais avant d’énoncer les déductions qui seront […] établies,

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je vais d’abord tenter une interprétation de la partie pictographique de cet important puzzle antique qui a été produit par un prêtre indien ou Meda bien connu à Michillimackinac, en 1839. Chingwauk, dont il est question, et qui est encore vivant, est un Algonquin qui connaît très bien le Ke-keé-win, la méthode pictographique de communication des idées de ses compatriotes. […] Il connaît très bien l’histoire et les traditions des Indiens du Nord et, en particulier, de sa propre tribu. C’est un homme très intelligent, mais inculte, qui possède des capacités de réflexion supérieures à l’ensemble de son peuple. Il a aussi une bonne mémoire et on peut dire qu’il est instruit dans la mesure où, dans une tribu, il faut une bonne mémoire pour s’instruire et qu’il a accumulé un vaste réservoir de connaissances sur la vie dans les forêts par le biais de la tradition orale. […] Je lui ai envoyé une invitation à St. Mary's pour qu’il me rende visite pendant la saison estivale. […]

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Je lui ai présenté le livre Antiquitates Americana de C. C. Rafn] […] « Je sais que vous connaissez bien le sujet et je vous ai donc demandé de venir pour déchiffrer cette ancienne inscription […] Les formes et les pictogrammes reproduits ici ont été copiés à partir de la paroi d’un rocher se trouvant sur la côte de la Nouvelle-Angleterre. […]On dit qu’elles seraient très anciennes. Les deux inscriptions sur cette plaque (no 12) sont des copies de la même chose, mais une a été faite quarante ans avant l’autre. La dernière a été faite il y a neuf ans. Étant donné que la mer recouvre une partie du rocher deux fois par jour, on présume que quelques formes secondaires ont été effacées. […]Est-ce que l’inscription a été faite par des Indiens ou par quelqu’un d’autre? Quel est votre avis? »[…]

Après avoir examiné minutieusement les deux gravures pendant quelque temps, avec ses amis, il a répondu : « C’est d’origine indienne; mes amis et moi pensons que c’est un Muz-zin-na-hik, (c’est-à-dire de l’écriture pictographique sur rocher)[…] »

Chingwauk a commencé par dire que les anciens donnaient beaucoup d’importance au jeûne. Ils jeûnaient parfois pendant six ou sept jours jusqu’à ce que leur corps et leur esprit deviennent légers et libres, ce qui les préparait à rêver.[…]

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Ce qu’un jeune homme voit et expérimente pendant ces rêves et ces jeûnes est considéré comme étant la vérité et cela devient le principe de base qui régit le reste de sa vie. […]

Puis, il crée des symboles de ces rêves ou de ces révélations sur de l’écorce ou sur un autre matériau, passant parfois tout un hiver dans la poursuite de ce but, jusqu’à ce qu’il ait noté ses principales révélations.

Telle, a-t-il conclu, était l’ancienne coutume […] Je pense que l’inscription dans ce livre est un de ces anciens muzzinabiks. Elle est ancienne. Elle a probablement été faite par les anciens Wa-be-na-kies ou Indiens de la Nouvelle-Angleterre. Avant l’arrivée des Blancs, il y a eu de grandes guerres entre les Indiens.[…]

L’inscription, a-t-il dit, est liée à deux peuples. Les deux étaient d’origine Un-ish-in-á-ba, ou peuple indien. Aucun détail des formes qui ont été peintes ne provient d’un étranger. Il n’y a aucune forme, ou signe, représentant un fusil, une épée, une hache ou un autre outil tels qu’en ont apportés les Blancs qui venaient de l’autre côté de la mer.

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J’ai demandé à Chingwauk de porter une attention spéciale au caractère […] qui ressemble à l’ancien C, ou le signe de cent, et aussi au signe représentant I […] Il les a rapidement rejetés, en disant qu’ils n’avaient aucune signification dans l’inscription. […]En caractères modernes, cela donne : CXXXI hommes.[…]

Le cœur de la question est là. Il n’y a pas que les Scandinaves qui pourraient être les auteurs de l’inscription, mais ce pourrait aussi être les Phéniciens, les Gaulois et les Saxons.

C’est ici que je dois confesser que mes observations ne m’ont pas permis de trouver le nom que j’espérais y trouver, celui de « Thorfin ».

La portion scandinave de l’inscription se résume donc dans les formes qui sont notées dans le cassetin au bas de la plaque 37.

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[…]Les fouilles ont démontré que les forêts et les cuvettes des grands lacs d’Amérique ne sont pas dépourvues de pareilles inscriptions. […] C’est un sujet qui sera poursuivi ultérieurement dans le cours de ce travail.

Source: Henry R. Schoolcraft, "Le rocher de Dighton : un monument antique" in The History, Condition and Prospects of the Indian Tribes of the Unitied States, (Philadelphia: Lippincott, 1856), 106-120.

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