Gudrid Thorbjarnardottir dans « La saga d’Eirik le Rouge »

Chapitre 3

655

[...] Thorbjorn Vifilsson [...] a reçu des terres à Laugarbrekka dans les Hellisvellir. Thorbjorn y a déménagé les gens de sa maison et il est devenu un homme très riche. Sa ferme était prospère et il menait une vie de seigneur. Gudrid était le nom de la fille de Thorbjorn. Elle était une très belle femme et elle savait obtenir ce qu’elle voulait.

Un homme qui s’appelait Orm avait une ferme à Arnarstapi. Sa femme se nommait Halldis. Orm était un bon fermier et il était un grand ami de Thorbjorn. Le couple était la famille nourricière de Gudrid et elle a fait de longs séjours chez eux.

Un homme du nom de Thorgeir [...] avait un très grand cheptel; il était un esclave affranchi. Il avait un fils qui se nommait Einar, un homme beau et compétent qui aimait les beaux vêtements. [...]

656

[...] On dit qu’un certain automne, alors qu’Einar était en Islande, il [...] est venu à Arnarstapi [...]. Alors qu’ils étaient occupés avec les marchandises, une femme est passée devant la porte de la remise.

Einar a alors demandé à Orm qui était la belle femme qui était passée devant la porte. « Je ne l’ai jamais vue ici. »

Orm a dit : « C’est Gudrid, ma fille adoptive, la fille du fermier Thorbjorn de Laugarbrekka. »

Einar a répondu : « Elle ferait un bon parti. À moins que quelqu’un ait déjà demandé sa main? »

Orm a répondu : « Il est certain qu’elle a déjà été demandée en mariage, mon ami, mais elle ne sera pas gagnée facilement. Elle est très difficile à satisfaire dans le choix d’un mari et son père l’est aussi. »

« Quoi qu’il en soit, dit Einar, elle est la femme que je désire épouser et je voudrais que tu en parles à son père pour moi; si tu fais tout en tout pouvoir pour mener cette affaire à bien, je te récompenserai par une amitié sincère. Le fermier Thorbjorn [...] a une bonne ferme, mais j’ai entendu dire que ses ressources s’épuisaient. Mon père et moi ne manquons ni de terres ni de biens, alors nous pourrions apporter une aide considérable à Thorbjorn si cette union se faisait. » [...]

Quelque temps plus tard Thorbjorn célébrait la fête de l’automne, comme il avait coutume de le faire, car il menait une vie de seigneur. [...]

Orm s’arrangea pour avoir un entretien avec Thorbjorn seul à seul et il lui a parlé de la récente visite d’Einar de Thorgeirsfell, qui était un homme d’avenir. Orm a alors présenté la requête d’Einar à Thorbjorn [...]

657

Thorbjorn a répondu : « Je n’aurais jamais pensé entendre ces mots de ta bouche, me suggérant de marier ma fille au fils d’un esclave parce que tu penses que je manque d’argent. Elle ne retournera pas chez toi, puisque tu penses qu’elle ne peut faire qu’un mariage si médiocre.

Chapitre 4

658

À cette époque, les temps étaient durs au Groenland. [...]

Dans la région vivait une femme nommée Thorbjorg, une voyante qu’on appelait « la petite prophétesse ».

Thorbjorg avait coutume de passer l’hiver en allant de ferme en ferme, là où elle avait été invitée, en grande partie par des gens qui désiraient connaître leur avenir ou qui voulaient savoir ce que leur apporterait la prochaine année. [...]

659

[...] Elle a demandé l’assistance des femmes qui connaissaient les chants requis pour les rituels de magie, qu’on appelait des chants de protection. Mais on ne put trouver de telles femmes. Elle a ensuite demandé aux habitants de la maison s’il y avait quelqu’un qui avait de telles connaissances.

Gudrid a répondu : « Je ne possède aucun pouvoir magique et je n’ai pas le don de prophétie, mais ma mère adoptive en Islande, Halldis, m’a appris des chants qu’elle appelait des chants de protection. »

Thorbjorg a répondu : « Alors tu en sais plus que je ne m’y attendais. »

Gudrid a dit : « Je n’ai aucune intention de prendre part à ces choses car je suis chrétienne. »

Thorbjorg a répondu : « Il se pourrait que tu puisses aider les gens d’ici en le faisant et tu ne serais pas une plus mauvaise femme pour autant. Je m’attends à ce que Thorkel me fournisse ce dont j’ai besoin. »

Thorkel a ensuite pressé Gudrid d’accepter et elle a dit qu’elle ferait ce qu’il lui demandait. Les femmes ont alors formé un cercle de protection autour de la plateforme érigée pour la sorcellerie; Thorbjorg était perchée sur le dessus. Gudrid a alors interprété le chant de façon si belle et si parfaite que les gens ont dit qu’ils n’avaient jamais entendu quelqu’un le faire d’une plus belle voix.

La voyante l’a remerciée pour son chant. Elle a dit que plusieurs esprits avaient été attirés par la beauté du chant « même s’ils avaient été prêts à nous tourner le dos avant et refusaient de faire ce qu’on leur demandait. Plusieurs choses se sont éclaircies alors qu’elles m’étaient cachées ainsi qu’aux autres. Je peux vous dire que les épreuves que vous traversez ne dureront pas et que les choses vont s’améliorer avec l’arrivée du printemps. La période de maladie qui vous a longtemps frappés s’achèvera plus tôt que vous ne le pensez. Et toi, Gudrid, je vais te récompenser maintenant pour l’aide que tu m’as apportée puisque je peux maintenant voir ton destin. Tu feras un mariage des plus honorables ici au Groenland, mais tu n’auras pas le temps de faire tes racines ici puisque ton sentier te mène en Islande et ta descendance sera longue et honorable. Sur toutes les branches de ta famille brillera un rayon éclatant. Je te souhaite bonne chance, mon enfant. »[...]

Chapitre 6

662

[...]

Il faut maintenant raconter la demande de Thorstein Eiriksson faite à Gudrid Thorbjarnardottir. Il a reçu un accueil favorable de la part de Gudrid et de son père; Thorstein s’est donc marié avec Gudrid et leur mariage a eu lieu à Brattahlid cet automne-là. Le banquet nuptial a été somptueux et il y avait un grand nombre d’invités..[...]

Thorstein avait une ferme et du bétail dans l’Établissement de l’Ouest, à un endroit nommé Lysufjord. Il y avait là un homme appelé Thorstein à qui appartenait la moitié de cette ferme; sa femme s’appelait Sigrid. Thorstein et Gudrid sont partis rejoindre son homonyme

663

à Lysufjord cet automne-là et ils ont été reçus chaleureusement. Ils y ont passé l’hiver.

[...]

Thorstein Eiriksson est mort au coucher du soleil. Thorstein a dit à Gudrid d’aller s’étendre et de dormir; il veillerait les corps cette nuit-là, a-t-il dit. Gudrid a accepté et elle s’est rapidement endormie.

La nuit venait à peine de commencer lorsque Thorstein s’est relevé, disant qu’il voulait qu’on aille chercher Gudrid parce qu’il voulait lui parler : « C’est la volonté de Dieu de m’accorder un bref instant pour régler mes affaires. »

Thorstein est allé chercher Gudrid, l’a réveillée et lui a dit de se signer et de demander l’aide de Dieu : « Thorstein Eiriksson m’a parlé et m’a dit qu’il voulait te parler. C’est à toi de décider; je ne te donnerai pas de conseils sur ce que tu dois faire. »

Elle a répondu : « Il se peut qu’il y ait une raison pour que cette chose étrange se produise et cela aura des conséquences dont on se souviendra longtemps. Dieu

664

me protégera. Je vais tenter, avec la grâce de Dieu, de lui parler puisque je ne peux échapper au malheur, s’il doit arriver. J’aimerais mieux qu’il n’essaie pas de trouver quelqu’un d’autre et je soupçonne que c’est ce qui arriverait. »

Gudrid est alors allée voir Thorstein et il lui semblait qu’il pleurait. Il a chuchoté longtemps à son oreille afin qu’elle seule puisse entendre et il a dit que les hommes qui étaient fidèles à leur foi pouvaient se réjouir car elle assurait miséricorde et salut. Pourtant, dit-il, plusieurs portaient peu d’attention à leur foi.

« Certaines pratiques anciennes du Groenland ne peuvent plus continuer depuis l’arrivée du christianisme : enterrer les gens en une terre non consacrée avec un court service funèbre, lorsqu’il y en a un. Je veux que mon corps et ceux des autres personnes qui sont mortes ici soient amenés à l’église. Mais Gardi doit être immédiatement brûlé sur un bûcher, car il est la cause de toutes les apparitions qui ont eu lieu ici cet hiver. »

Il a aussi parlé de sa propre situation et a déclaré qu’elle [Gudrid] avait un très bel avenir mais il lui a déconseillé d’épouser un Groenlandais. Il lui a aussi demandé de donner leur argent à une église ou à des pauvres et ensuite il s’est affaissé pour la seconde fois.

[...]

Puis, Thorbjorn est mort. Gudrid a hérité de sa fortune. Eirik l’a invitée à vivre avec eux et il s’est assuré qu’elle ne manque de rien.

Chapitre 11

670

[...]

Freydis [de toute évidence, il s’agit d’une erreur d’identité; cette section décrit Gudrid qui, à cette époque, était enceinte de son fils Snorri] sortait du campement alors qu’ils fuyaient. Elle s’est écriée : « Pourquoi vous sauver de si misérables adversaires, des hommes comme vous me semblent capables de les tuer comme des moutons? Si j’avais une arme, je suis certaine que je me battrais mieux que n’importe lequel d’entre vous. » Ils ne l’ont pas écoutée. Freydis

671

voulait aller avec eux, mais elle marchait lentement car elle était enceinte. Elle les a suivis dans la forêt mais les indigènes l’ont rejointe. Elle est arrivée près d’un homme mort, Thorbrand Snorrason, qui avait été frappé à la tête par une grosse pierre. Son épée était tombée près de lui et elle l’a empoignée, prête à se défendre contre les indigènes qui arrivaient. Libérant un de ses seins de son vêtement, elle le frappa avec le plat de l’épée. Cela a effrayé les indigènes qui se sont enfuis à leurs bateaux et ont ramé au loin. Karlsefni et ses hommes sont revenus et l’ont félicitée de sa chance.

Chapitre 14

674

L’été suivant, Karlsefni est reparti vers l’Islande et Gudrid était avec lui. Il est retourné sur sa ferme à Reynisnes.

Sa mère pensait que son union était trop modeste et Gudrid n’est pas restée à la ferme le premier hiver. Mais lorsque sa mère a compris à quel point Gudrid était une femme exceptionnelle, Gudrid est allée vivre à la ferme et les deux femmes se sont bien entendues.

Le fils de Karlsefni, Snorri, a eu une fille, Hallfrid, qui était la mère de l’évêque Thorlak Runolfsson.

Karlsefni et Gudrid ont eu un fils nommé Thorbjorn, dont la fille, Thorunn, était la mère de l’évêque Bjorn.

Thorgeir, le fils de Snorri Karlsefni, était le père de Yngvild, la mère du premier évêque Brand.

Et ici se termine cette saga.

Source: Keneva Kunz, trans., "Gudrid Thorbjarnardottir dans « La saga d’Eirik le Rouge »" in The Sagas of Icelanders: A Selection, preface by Jane Smiley, introduction by Robert Kellogg, (New York, London, Victoria (Australia), Toronto, Auckland: The Penguin Group, 2000), 653-674. Notes:

Retour à la page principale