La ferme médiévale reconstruite à Þjórsárdalur
Matériaux de construction – tourbe et coupe de la tourbe
La tourbe est le plus ancien et le plus commun des matériaux de construction utilisés pendant 1100 ans pour la construction d’habitations islandaises. Avant d’aborder l’évolution de l’architecture, quelques précisions doivent être apportées quant à ce matériau vital mais éphémère et quant aux méthodes de construction utilisées.
Ce n’est qu’en Islande que cette technologie de construction, qui a été si importante à une époque dans l’architecture des pays nordiques, a survécu jusqu’à nos jours. Lors de recherches archéologiques dans des bâtiments datant de la colonisation de l’Islande, on a découvert les mêmes types de tourbe qui étaient utilisés pour construire les murs au début du vingtième siècle; on peut donc déduire que les outils et les méthodes pour couper la tourbe et ériger les murs sont demeurés sensiblement les mêmes au fil du temps.
On obtient la tourbe pour bâtir des habitations en soulevant la couche supérieure du gazon ou en la coupant à l’aide d’une bêche à petite lame. La tourbe utilisée comme de la « brique » pour ériger les murs ou le toit était soulevée ou pelletée à l’aide de différentes techniques, dépendamment du type de tourbe requis. Les principaux types de tourbes utilisés pour les murs étaient appelés strengur (longues mottes de gazon) et hnaus (blocs de tourbe), qui se divisaient eux-mêmes en différents types, soit les blocs en forme de cale (klömbruhnaus) et les blocs réguliers (kviahnaus).
Outils pour la coupe de la tourbe
On appelle faux à tourbe (torfljár) l’outil pour couper de longues mottes de tourbe. Les lames pouvaient être monocoupes ou bicoupes. La faux bicoupe était la plus utilisée. Elle permettait de couper le morceau de tourbe en deux étapes, d’abord à l’aide d’un côté puis de l’autre, de façon à ce que sa largeur soit le double de la longueur de sa lame. Une lame monocoupe est plus longue et plus difficile à manœuvrer. Elle permettait de trancher la tourbe d’un seul coup. Vu la façon de couper un morceau de tourbe à l’aide de la scie à tourbe, un côté était généralement moins épais que l’autre. On fixait parfois à l’extrémité extérieure de la lame de la faux un anneau auquel on attachait une corde. Ensuite, deux hommes pouvaient tirer chacun leur côté de la lame. […]
Coupes de tourbe
En plus des longues mottes de tourbe, divers autres types de « blocs » de tourbe étaient utilisés pour la construction : les blocs en cale (klömbruhnaus), les blocs réguliers (kviahnaus) et les blocs en losange (snidda). Ces derniers n’étaient pas soulevés à l’aide d’une faux à tourbe, mais plutôt coupées avec un petit couteau et ensuite avec une bêche.
Klömbruhnaus. Lorsque ce type de tourbe est utilisé en construction, la tourbe est placée sur le côté de façon à ce qu’une couche gazonnée du dessus repose sur le bloc précédent (Klömbruhnaus). La partie étroite se retrouve à l’intérieur et forme l’intérieur et l’extérieur du mur. Le kviahnaus est un bloc rectangulaire dont la largeur est régulière sur toute sa longueur. Il ne s’emboite pas aussi bien que le klombruhnaus et est principalement utilisé pour les murs qui sont de moindre qualité. (Illustration HÁ)
Un bloc incliné, ou snidda, est un bloc en forme de losange qui était surtout utilisé pour les murs extérieurs ou les toitures. (Illustration HÁ)
Construction des murs
On construisait d’abord les murs des maisons en tourbe, ce qui permettait d’emménager avant que les divisions de la maison ne soient faites. Au départ, les murs étaient construits directement sur le sol sans qu’on construise de fondations. Les contours des murs étaient délimités et, généralement, la tourbe de l’intérieur de la maison était coupée pour ensuite servir à la construction des murs. Les murs de tourbe ont généralement une épaisseur de 1 m à 1,2 m. […]
Coupe transversale d’un mur de tourbe
On aperçoit ici l’extérieur et une coupe transversale d’un mur de tourbe. Au bas du mur, on place de grosses pierres ou galets le long des bords intérieur et extérieur du mur. On y dépose des mottes de tourbe et d’autres pierres en alternance sur les côtés intérieur et extérieur. On utilise de la terre pour combler les espaces entre les couches. À intervalles réguliers, des blocs de tourbe sont placés perpendiculairement au mur afin de le solidifier. La section supérieure du mur est érigée avec des blocs en cale et des mottes de tourbe entre les couches. À l’extérieur, on donne au mur une légère inclinaison vers l’intérieur pour qu’il supporte mieux le poids de la toiture. À l’intérieur, le mur se rétrécit légèrement jusqu’à sa mi-hauteur, puis s’incline vers l’intérieur jusqu’à ce que les lignes verticales du haut et du bas du côté intérieur se rejoignent.
Charpente et toiture
Les deux principaux types de charpente étaient les maisons à toiture en poutres de bois et les maisons à chevrons, qui comprenaient tous deux plusieurs sous-catégories. La toiture était généralement faite de trois couches de tourbe. On retrouvait à l’intérieur de la maison de la tourbe dont le coté gazonné était vers le bas et sur laquelle de la terre avait été compactée, puis une nouvelle couche de tourbe y était déposée, côté gazonné vers le haut. […] Il était également fréquent de placer de petites branches ou des brindilles sous la tourbe pour empêcher les chevrons de pourrir. […]
Premiers bâtiments – halles
Dans les sagas médiévales, les habitations des Islandais se nomment généralement des halles, (skalar ou eldaskáli). Dans les halles, les gens travaillaient, mangeaient et dormaient sous le même toit. Les halles sont des bâtiments indépendants et, à l’époque de la colonisation, aucune dépendance n’y est reliée. Les bâtiments du genre sont répandus à travers la région du nord de l’Atlantique pendant l’ère des Vikings. C’est ce type de conception que la plupart des colons ont semblé importer lors de la colonisation originale de l’Islande. Il est également probable que les colons aient apporté avec eux en Islande du bois provenant de leur ancienne maison afin de pouvoir se bâtir un abri plus rapidement, ce qui signifie que les premiers bâtiments reflètent la situation économique des colons.
En Islande, on retrouve un grand nombre de sites sur lesquels étaient bâties des halles, dont plusieurs ont été étudiées par des archéologues. La longueur des halles varie de 10 m à 36 m, mais, malgré cette variation, leur forme de base est toujours semblable et facilement reconnaissable.
Il existe un bon exemple de halle de grandeur moyenne à Ísleifsstaðir, dans l’ouest de l’Islande. La halle est de forme oblongue, légèrement plus étroite aux extrémités qu’au centre. Il arrive que les longs murs avant et arrière aient une courbe différente. L’entrée est généralement située sur le mur avant, plus près d’une extrémité. Il y a parfois d’autres portes, sur les murs avant ou arrière, également situées près d’une extrémité du bâtiment. De l’autre côté de la porte se trouve un hall d’entrée, par lequel on peut accéder à la partie centrale du bâtiment. Le terme eldaskáli peut faire référence à cette section centrale. Le plancher de terre compactée s’étend sur toute la longueur de la maison, au centre de laquelle se trouvent un long foyer et des bancs [plates-formes basses] disposés le long des murs. Le plus souvent, la halle comprend des divisions. Les bancs aussi sont souvent divisés en sections à l’aide de panneaux de bois, créant ainsi des sections équivalentes à une longueur de lit entre les poteaux de soutien.
Les dixième et douzième siècles
Peu après que la colonie permanente ait commencé à prendre racine en Islande, les premiers changements ont été apportés aux constructions. Plus spécifiquement, ces changements prennent la forme d’agrandissements qui commencent à pousser comme des champignons à l’arrière des maisons. Au début, leurs dimensions et leur style semblent plutôt aléatoires, mais elles prennent ensuite une forme plus distinctive. L’on peut considérer ces rajouts comme étant les premières tentatives de la part des Islandais à adapter leurs maisons aux nouvelles circonstances et à leurs nouveaux besoins. D’abord, seule une construction ou une pièce est ajoutée, puis d’autres constructions sont adjointes à la halle et l’histoire de la ferme en tourbe commence.
Les deux ruines Grelutótt et Skallakot datant de cette époque et représentées ici, sont des exemples de cette tendance.
Grelutótt, Hrafnseyri dans l’Arnarfjörður
Grelutótt, ce sont les restes d’une assez petite halle du dixième siècle. À gauche du hall d’entrée, il y a une petite réserve et à droite se trouve l’entrée de la partie centrale de la halle.
Une construction adjacente a été ajoutée à l’arrière de la halle, probablement l’un des plus anciens spécimens connus d’un tel rajout en Islande. Son utilité n’est pas parfaitement claire, mais il s’agissait probablement d’une chambre à coucher fermée ou d’un placard.
Fait intéressant, il y a une maison à demi enfouie dans le sol en face de la halle. Il s’agit de l’une des deux constructions semblables découvertes près de Grelutótt. Il semble que ces maisons semi-souterraines aient été chose courante près des maisons de ferme au cours des premiers siècles de colonisation en Islande. Elles devaient avoir plusieurs fonctions, mais elles semblent avoir été avant tout le lieu de travail des femmes. Elles devaient être utilisées pour les bains de vapeur et pourraient avoir été les ancêtres du baðstofa, qui deviendra plus tard partie intégrante de la ferme.
Skallakot dans le Þjórsárdalur
Ceci est le plan d’étage d’une grande maison de ferme du onzième siècle. La halle était divisée en sections internes qui créaient de plus petites pièces, comme en témoignent les rangées de pierres qui apparaissent sur le plan d’étage. Les dépendances à l’arrière de la maison sont plus nombreuses. Leur fonction n’est cependant pas encore nettement établie.
Stöng dans le Þjórsárdalur
En 1104, le Mont Hekla est entré en éruption pour la première fois selon les écrits historiques sur l’Islande. L’éruption a détruit, entre autres, une région entière d’au moins 20 fermes dans la vallée de Þjórsárdalur dans l’Árnessýsla. […]
Le plan d’étage de la maison de ferme à Stöng montre que les constructions avaient alors subi d’autres changements et pris une forme plus définie. Le principal changement consiste en un petit salon (stofa) à une extrémité de la halle, qu’un vestibule séparait de l’autre extrémité de la halle. À l’arrière du bâtiment se trouvent deux dépendances à angle presque droit. L’un de ces bâtiments arrière est situé en face de l’entrée. Deux tranchées pratiquées le long des murs indiquent la présence probable de toilettes de grandes dimensions. À l’autre extrémité de la halle se trouve un autre bâtiment, un peu plus imposant, la réserve-laiterie, où se trouvaient de grands récipients ou cuves enfouis, dans lesquels la nourriture conservée dans du petit-lait était entreposée.
Les restes d’une étable, d’une grange et d’une forge ont également été découverts à Stöng. D’autres fouilles ont permis de découvrir les restes d’une petite église et d’un cimetière.
I L’entrée
L’entrée ou le hall d’entrée se trouve derrière la porte. C’est ici que les gens devaient retirer leurs vêtements d’extérieur mouillés et devaient ranger divers objets, comme des selles et des brides, des outils et des ustensiles dont ils ne se servaient pas tous les jours à l’extérieur. L’espace de rangement ne semble pas avoir été séparé de l’entrée par un mur, ni les murs externes avoir été recouverts de bois. On ignore toujours l’utilité du récipient de pierre qui était enfoui dans le sol près de la division de la halle, en face de la chambre.
II La chambre
Il semblerait que la chambre lambrissée située dans l’entrée ait été une réserve. Elle était probablement verrouillée et la maîtresse de maison devait détenir la clé. On y aurait rangé les provisions, dont le stockfish, la viande fumée et même le grain lorsqu’il était disponible. L’histoire des apparitions à Fróöá fait mention d’une telle réserve de stockfish.
III Les toilettes
D’anciens écrits prétendent que de nombreuses personnes utilisaient une toilette à l’époque, ce qui expliquerait les dimensions des prétendues toilettes à Stöng. Une longue planche sur laquelle les gens s’assoyaient était placée à l’horizontale sur une pierre au bout de la tranchée et se rendait jusqu’au mur. En Suède, les toilettes de ce genre ont été d’usage jusqu’au vingtième siècle. Peut-être la ferme a-t-elle mérité le nom de Stöng, qui signifie « planche », en raison de ses magnifiques toilettes?
IV La halle
La halle centrale constituait la partie principale de la ferme. On présume qu’elle était construite avec soin dans les plus petits détails et lambrissée à l’intérieur. Les gens y pratiquaient diverses tâches quotidiennes, mangeaient et s’assoyaient autour du feu; cette pièce était plus importante que toutes les chambres à coucher de la maisonnée. Cette partie de la maison était probablement appelée eldaskáli, c’est-à-dire foyer. Il y a un long foyer qui trône au milieu de la pièce. Les sièges qui se trouvent de part et d’autre sont très larges. Ils n’ont pas été divisés en lits, ce qui aurait pourtant dû être le cas ici. […]
Le revêtement du petit salon (stofa) et de la halle est du même type que le revêtement médiéval de Skagafjörður, en Islande du Nord, et d’un ancien stofa dans l’Établissement de l’ouest au Groenland, que l’on croit avoir été déserté vers 1350.
[…]
V La chambre à coucher
Il était courant pour les chefs de maisonnées des meilleures fermes de dormir dans une chambre à coucher ou chambrette. Celle qui se trouve ici est située du côté interne de la partie centrale de la halle de droite, et le lambris du banc a été retiré.
VI La réserve-laiterie
La réserve-laiterie servait à entreposer la nourriture, surtout les produits laitiers. Le skyr et le petit-lait sur étaient recueillis dans de grandes cuves qui étaient enfouies dans le sol. Ici, le toit est soutenu par des montants qui se dressent près du mur externe et sont joints par des croisillons.
VII Petit salon (stofa)
Le stofa avait plusieurs utilités : c’était l’endroit où vivaient et travaillaient les femmes et lors de célébrations, il servait de petit salon ou de salle à manger. On y trouve des bancs le long des murs et le métier à tisser vertical se dresse dans la plate-forme réservée aux femmes dans le pignon. Le tissage était une tâche fastidieuse. Les femmes se tenaient debout alors qu’elles tissaient des vêtements de toile grossière et elles marchaient des kilomètres chaque jour autour du métier à tisser.
Il y a un petit foyer au centre du plancher du petit salon.[…]