Hugh MacLennan, « Les dix plus grands Canadiens », New Liberty, 1949
Ce qu’il a fait, aucun autre artiste canadien n’avait pensé le tenter…
TOM THOMSON
Il y a eu au Canada des artistes plus accomplis que Tom Thomson et il y a eu au moins un Canadien dont les réalisations purement artistiques ont eu davantage d’importance. James Willson Morrice, qui a fait ses meilleures œuvres en Europe et dont on a dit à Paris qu’il était l’égal de Matisse, avait une connaissance plus approfondie de la couleur et de la forme que Thomson, ainsi qu’une plus grande capacité de contemplation. Par comparaison, Tom Thomson était un peintre rustre à l’esprit borné, qui n’a peint que durant les cinq dernières années de sa vie.
Mais Tom Thomson a réussi à faire quelque chose qu’aucun autre peintre au Canada n’avait jusque là eu l’idée de tenter. Il nous a forcés à voir la violence fondamentale des paysages canadiens. Et il n’a pas peint ses œuvres pour obtenir la reconnaissance, mais simplement parce qu’il en avait besoin pour mieux se connaître. Ces représentations sauvages et flamboyantes des lacs et forêts isolés, de ces rivières nordiques où flottaient des feuilles d’érable écarlates sur une eau d’un bleu azur profond, ces pins se tordant dans une agonie solitaire sous les vents d’automne dans la baie Georgienne – l’éloquence de cette nature sauvage s’exposait devant nos yeux grâce à Tom Thomson et aux peintres qui lui ont succédé. Ils nous ont dit combien le Canada était en réalité un pays isolé. Ils ont clairement démontré l’effet de la disparition de ces fermes dans les régions boisées qui ont été remplacées par les grandes villes émergeant dans ce décor.
L’art de Tom Thomson n’était pas international et il n’avait pas de portée directe sur la grande tradition européenne. C’était un art du pays, extrêmement simple et nouveau, et c’est en cela qu’il était à la fois inférieur et supérieur à la meilleure œuvre de Morrice; inférieur en soi, mais infiniment supérieur en raison des influences embryonnaires qu’il a eues sur toute la peinture canadienne qui a suivi.
Le Canada n’a jamais été reconnu pour la qualité de ses explorateurs ou de ses hommes d’État. Côté science et professions, il a fait ses preuves. Mais il ne sera jamais une vraie grande nation tant que son art ne lui aura pas permis de s’exprimer et d’être visible – tant que la scène canadienne dans tous ses aspects fondamentaux n’aura pas atteint une importance universelle qui est la seule chose pouvant donner à la vie d’une nation ou d’un individu une valeur de pérennité et en faire une inspiration pour l’humanité.
Tom Thomson est devenu le plus exceptionnel des pionniers quand il a enfin compris ce que cela signifie d’être canadien et je n’ai absolument aucune hésitation à lui accorder une place d’honneur dans ma liste des dix plus grands Canadiens.