Rupert Lee, « Des tableaux canadiens à Wembley », The Canadian Forum, août 1924
La presse londonienne a déjà émis des commentaires favorables sur les tableaux canadiens exposés au Palace of Arts de Wembley. L’article qui suit, écrit par M. Rupert Lee, critique d’art à l’ Educational Outlook , va encore plus loin. Il s’agit d’une analyse et non d’une simple critique. Il s’agit également, à notre connaissance, de la première analyse critique des tableaux canadiens par un juge de l’extérieur. M. Lee écrit cet article en ayant déjà une certaine connaissance des tableaux canadiens. Contrairement aux critiques locaux, il écrit en n’ayant aucun ami ou ennemi parmi les artistes dont il fait la critique.
La première impression que l’on se fait des peintures canadiennes dépend en grande partie de la pièce que l’on visite en premier. En pénétrant par la porte la plus près des tourniquets, il est probable que vous ressentiez une apathie due à la déception, mais si vous entrez par l’autre pièce, vous êtes presque certain de vous exclamer intérieurement ou, si vous êtes plus impulsif, de laisser échapper un cri de surprise.
Dans la première pièce, vous verrez principalement des toiles semblables à celles qui se retrouvent en grand nombre dans notre propre Royal Academy. Plusieurs tableaux exécutés habilement qui, malgré qu’ils puissent paraître plaisants et convenables aux yeux des indifférents, ont très peu de relation avec la peinture en tant qu’art. Dans la deuxième pièce, vous trouverez accrochés aux murs non seulement la plupart des œuvres des peintres canadiens encore vivants, mais également deux œuvres du défunt James W. Morrice, un artiste reconnu et acclamé par certains critiques de notre pays; et dans cette pièce, on a le sentiment que l’art canadien, quel que soit son niveau d’accomplissement par rapport à la production mondiale, est extrêmement vivant. De plus, il semble que le nouveau souffle provenait de l’intérieur plutôt que d’être emprunté ailleurs, comme c’est si clairement le cas pour l’art anglais. C’est la seule comparaison que je ferai, et je ne veux pas non plus insinuer qu’une impulsion est supérieure à l’autre, puisque les influences sont non seulement difficiles à évaluer, mais leur importance est également impossible à calculer. Le jeune artiste canadien déclarerait probablement que son but était de s’émanciper de toutes influences – celles de l’extérieur, du moins – ce qui est vrai jusqu’à un certain point; car, malgré une certaine ressemblance avec la peinture scandinave, qui pourrait bien être en partie fortuite et due à la similarité de tous les paysages enneigés, son intérêt premier est d’exprimer à sa façon ce qu’il a vu de ses yeux – les facettes de son propre pays.
On peut tout particulièrement trouver plusieurs raisons de considérer les œuvres de Tom Thomson comme la représentation parfaite de ce nouvel état d’esprit qui règne sur l’art canadien. D’abord, nous avons, au cours de cette exposition, une plus grande chance de l’imaginer en plein travail que ce n’est le cas avec n’importe quel autre artiste. Un ensemble de douze études sur la nature nous démontre sa méthode pour l’accumulation et l’absorption de la matière, alors qu’une toile plus admirée, Le pin, donne une impression de composition. Son credo est simple. Il fait de ses tableaux des décorations et leur beauté provient principalement de l’agencement délicat des silhouettes qui les composent. J’imagine que de concevoir la toile comme un élément de décoration, une conception longtemps perdue de vue au milieu des maux de l’art dit « intellectuel », a eu beaucoup d’influence sur le jeune peintre canadien et que c’est ce qui l’a ouvert à l’idée que la toile a une valeur émotionnelle irréfutable. [...] Dans les toiles dont il est question, on peut percevoir un point de vue oriental puisque la troisième dimension n’a d’importance que si elle influence les silhouettes et les enrichit. Cela semble être un détail insignifiant, mais son influence sur la composition est considérable. Au lieu d’une prépondérance de poids et de volumes, on retrouve un agencement de formes. Il y a moins de plans, mais comme les silhouettes sont superposées, l’impression de perspective est davantage intellectuelle que physique. Cette stylisation de la troisième dimension est une des plus anciennes caractéristiques de l’art conscient et se marie parfaitement au manque d’inclination à troubler la surface de la toile. C’est le principe même de l’art décoratif
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