Des révélations embarrassantes
Par Roderick MacLeod
Note : La description de la conversation ayant eu lieu entre Clifford et le Dr Roddick est tirée du roman d’E.M. Forster intitulé Maurice (Penguin, 1971, p.139), dans lequel un jeune homme de l’époque d’Édouard VII tente de décrire son homosexualité. Écrit en 1913 Maurice a été publié à titre posthume afin d’éviter les embarras et les accusations criminelles.
Selon la nécrologie publiée dans le Montreal Daily Star, Clifford Redpath, un « jeune homme de 24 ans, intelligent, brillant et enjoué », doté d’un physique « grand et viril », était un « grand amateur de sports de plein air » tels le canotage et l’équitation. En dépit de ses manières décontractées, toutefois, Clifford n’était pas toujours à son aise en compagnie d’autres personnes, à l’exception d’un ou deux « amis très chers » avec qui il partageait ses temps libres. Il était toutefois très proche de sa mère Ada, qui était veuve. Il était soucieux de ses nombreux caprices et besoins et acceptait de veiller à son chevet lors de ses fréquentes crises de maladie. Cette attitude contrastait avec celle de sa sœur, Amy, qui était distante avec leur mère et réticente à jouer le rôle de soignante dévouée traditionnellement réservé aux filles. Leur frère Peter percevait Ada comme une femme égoïste et dominatrice qui s’immisçait dans chaque recoin de la vie de ses enfants, se plaignant de maux de tête ou de congestion cardiaque chaque fois que les choses ne se déroulaient pas conformément à ses désirs. Il était hors de question que l’un des enfants se marie alors que la mère était toujours en vie. À trente-deux ans, Amy était – selon les dires de son frère Peter, du moins – pratiquement immariable. Seul Clifford semblait se satisfaire de cette situation.
Le 13 juin 1901, les Redpath avaient invité un groupe d’amis à dîner, dont le Dr Thomas Roddick, qui, en plus d’être le docteur de la famille, était un visiteur fréquent. Il n’avait malheureusement pas pu être présent en raison d’une présentation qu’il donnait à Toronto. Peter appréhendait la soirée, à l’instar de toutes les autres activités sociales au cours desquelles le regard scrutateur de sa mère anéantissait toute possibilité d’échanges agréables avec de jeunes demoiselles respectables. De tels rapports auraient tranché avec les rapports moins respectables dont il se contentait habituellement par la suite avec Rose, la domestique de la maison, dans la buanderie du sous-sol. Autour de cinq heures, Clifford est rentré d’une visite chez l’un de ses amis proches. Il était clairement préoccupé par quelque chose, qu’il semblait déterminé à annoncer à sa mère. Peter, frappé par la résolution sinistre qu’arborait son frère, l’a suivi pour aller écouter à la porte de la chambre à coucher d’Ada.
Les tentatives de confession hésitantes de Clifford ont manifestement troublé Ada. Il a bredouillé qu’il avait consulté le Dr Roddick au sujet d’un problème personnel, et que ce dernier lui avait intimé à la hâte de se taire et de n’en souffler mot à personne. Désormais, il ne lui restait plus que sa mère adorée vers qui se tourner, et comme Roddick avait quitté la ville, il s’était décidé à saisir sa chance. Considérablement bouleversé, il a lâché qu’il était un « innommable, de la sorte d’Oscar Wilde ». Peter, d’abord incertain de l’interprétation à donner à ce qu’il venait d’entendre, a été secoué lorsqu’il a finalement saisi ce que disait son frère. L’horreur qu’il éprouvait a vite été détournée par le refus soudain et enflammé d’Ada de prêter l’oreille à Clifford, le ton de sa voix atteignant bientôt les cimes de l’hystérie. Devant cette réaction, qu’il n’avait à l’évidence pas anticipée, Clifford bégayait de terreur. L’instant suivant, Ada poussait un gémissement à la vue du fusil que Clifford tenait à la main, tandis que ce dernier sifflait que la seule possibilité s’offrant à lui désormais était de s’enlever la vie.
Peter a rapidement ébauché un plan de vengeance. Sans bruit, il est allé chercher son propre fusil dans sa chambre et est entré dans la chambre d’Ada au moment où Clifford, en larmes, appuyait d’une main tremblante le révolver à sa tempe. Ada était alors trop affolée pour faire attention à Peter, mais Clifford, qui l’avait vu entrer, le fixait, frappé d’horreur. Peter a immédiatement accusé Clifford d’être un être mauvais et indigne, ce qui s’est avéré une arme plus efficace que le fusil qu’il tenait dans sa poche : dans un moment de panique, Clifford s’est tiré une balle à la tempe et s’est effondré sur le sol. Avant qu’Ada ne se mette à hurler, Peter lui a tiré une balle à l’épaule et une autre derrière la tête alors qu’elle se retournait. Peter a déposé son révolver sur le plancher près d’Ada et s’est précipité vers l’escalier, d’où arrivaient Rose et d’autres domestiques. Il leur a demandé innocemment d’où provenaient les coups de feu, puis ils sont tous entrés ensemble dans la chambre d’Ada.
Peter a fait appeler le Dr Patton, qui est arrivé un peu avant les six heures. La nouvelle a été ébruitée et bientôt, Peter racontait aux journalistes l’histoire qu’il redirait plus tard au coroner : Clifford était entré à la maison vers six heures et avait gravi l’escalier, lorsque des coups de feu avaient retenti. Il est possible que Rose ait noté, dans la version de Peter, une disparité quant à l’heure à laquelle Clifford était rentré, mais ce n’est certainement pas elle qui aurait soulevé ce point auprès du coroner. Lorsque le Dr Roddick est revenu, Peter lui a laissé entendre qu’il avait surpris Clifford en train de révéler un secret à Ada, une révélation qui avait de toute évidence grandement agité mère et fils. Le Dr Roddick, conscient de son propre statut au sein de la famille, et de ses intentions d’épouser Amy, attribua officiellement la tragédie à l’épilepsie.