L’inconnu sans jambes apporte son secret dans sa tombe
Par Joe LeBlanc
Représentant du personnel
Vue aérienne de la baie Sainte-Marie avec Meteghan à l'avant plan s'en allant jusqu'à Meteghan-le-Centre (Nouvelle-Écosse, Canada), D.B. Field, Centre Acadien, Université Sainte-Anne Coll. 3, Série A #43, Div. 4
Un matin de l’été 1854, un pêcheur de Sandy Cove, appelé Albright, se promenait sur la plage de l’isthme de Digby du côté de la baie de Fundy lorsqu’il a rencontré un homme qui est devenu l’objet d’une des histoires locales les plus mystérieuses à être survenues sur ces rives.
L’homme en question, plus tard connu sous le nom de Jérôme, refusait de parler ou en était incapable. Ses deux jambes avaient récemment été amputées, et un examen a démontré qu’elles venaient à peine de guérir. Encore aujourd’hui, on n’a pu établir comment il était arrivé là-bas, mais les habitants de la côte se rappellent avoir aperçu un navire gréé étranger aller et venir le long de la côte pendant quelques jours avant les évènements, on a donc naturellement supposé que le mystérieux inconnu avait été débarqué du bateau au cours de la nuit et laissé à la clémence des résidants de l’endroit.
En uniforme de la marine
Naturellement, on a immédiatement porté secours au nouvel arrivant inattendu et on l’a mené chez un résidant du coin, M. Gidney, qui habitait à Mink Cove. On a remarqué que l’inconnu, visiblement un gentilhomme, était vêtu de la plus fine serge bleu marine, apparemment un uniforme de la marine, dont tous les boutons, insignes et autres décorations, s’il y en avait eu, avaient été méticuleusement enlevés, rendant l’identification impossible.
Quelque temps plus tard, on l’a mené de l’autre côté de la baie Sainte-Marie dans le village de Meteghan où il a vécu avec un Corse qui parlait plusieurs langues. On raconte que cet homme, connu sous le nom de Nicolas, était un déserteur de l’armée de Napoléon et qu’il vivait à Meteghan depuis un moment. Malgré ses efforts, le Corse était incapable de faire parler l’inconnu dans aucune des langues qu’il connaissait. Par contre, lorsqu’on lui demandait son nom, l’inconnu émettait un son qui faisait croire à ceux qui l’écoutaient que son nom était possiblement Jérôme. C’est du moins ce à quoi cela ressemblait, alors le nom de Jérôme lui est resté jusqu'à la fin de ses jours.
Même s’il ne réussissait pas à le faire parler, Nicolas a compris que Jérôme connaissait plusieurs langues à voir l’expression de ce dernier lorsque Nicolas s’adressait à lui dans différentes langues.
De Meteghan, on l’a amené à Saint-Alphonse, un village voisin, où il a habité avec la famille de William Comeau le reste de sa vie. Bien qu’il ne voulait ou ne pouvait pas parler, ses gestes et ses réactions rapides prouvaient à ses bienfaiteurs qu’il était un homme intelligent, probablement descendant d’une famille noble étrangère. Lorsqu’on l’a trouvé, il était apparemment dans la mi-vingtaine, un bel homme avec une belle et robuste charpente. De son arrivée à sa mort, il a passé 54 ans sur les rives de la baie Sainte-Marie et il n’aurait parlé que deux fois, et seulement pour dire un mot chaque fois. C’est du moins ce que ses interrogateurs ont compris.
Une fois, alors qu’on lui demandait pour la énième fois d’où il venait, il a répondu « Trieste »; une autre fois, quel était le nom du bateau, il a répondu « Colombo ». Mais aucune raison ou réponse n’a jamais pu expliquer sa fâcheuse situation. Il ne voulait pas être pris en pitié et, à l’occasion, entrait dans une rage hors du commun et restait dans cet état pendant des jours. Il écartait les gens qu’il n’aimait pas en grognant comme un chien. Mais il manifestait une véritable affection pour les enfants et démontrait un amour incontestable pour la musique.
Deux visiteurs
La présence de deux femmes venues voir Jérôme un jour a causé beaucoup d’excitation, puisqu’on croyait qu’elles permettraient peut-être de l’identifier. Cependant, alors que les deux visiteuses et Jérôme étaient derrière une porte close, et que celui-ci semblait s’être joint à la conversation, les étrangères sont reparties et la raison de leur visite, envolée avec elles. Jérôme était toujours aussi peu communicatif après leur départ qu’avant leur visite. On dit qu’une des dames était sa sœur, mais cela n’a jamais été confirmé.
Jérôme est mort en 1908 et a été enterré à Meteghan, emportant avec lui son mystère dans la tombe.