Souvenirs

Entre 1863 et 1867, j’ai vu D’Arcy McGee très souvent, [...] il était membre du Cabinet de John A. Macdonald et il a souvent discuté avec moi de la déplorable condition des catholiques du Haut-Canada – la plupart d’entre eux avaient appuyé jusqu’en 1850 le Parti réformiste, dirigé par l’honorable Robert Baldwin mais, à cause de l’hostilité et de l’intolérance incessantes de George Brown, ils avaient été forcés de se ranger du côté des conservateurs puis étaient devenus d’actifs sympathisants de ce parti sous la direction de John A. Macdonald, qui par la suite s’est servi du nom de George Brown et de ce qu’il appelait « l’injuste malveillance du Globe» pour les garder dans le camp des conservateurs. Si bien que, peu importe la force de leur prédilection libérale, leur respect de soi les forçait à demeurer sympathisants du Parti conservateur, puisque George Brown n’accéderait pas au pouvoir.

[...] Quand l’Amérique britannique unie se lancera dans la course avec 4 000 000 de personnes libres, ces dernières seront environ à 55 pour cent protestantes pour 45 pour cent catholiques; dans certaines régions, il se peut que la minorité religieuse soit en petit nombre et craigne l’oppression locale, mais comme les deux masses principales seront presque égales en nombre, elles n’auront plus à subir l’oppression si longtemps infligée aux coreligionnaires de l’une ou l’autre confession. Notre quasi-égalité sera la meilleure garantie de notre tolérance mutuelle. Comme la moitié du pouvoir constituant s’y oppose, il est évident que nul fanatique, nul sectaire, nul perturbateur de la conscience des autres hommes, nul insulteur des crédos des autres hommes ne pourra jamais s’élever au statut d’homme d’État en Amérique britannique.

[...] Je me suis rendu à Hamilton car j’avais rendez-vous avec Sandfield et j’ai discuté avec lui de la situation des catholiques en Ontario; il a déclaré que les conditions qui avaient eu cours jusque-là ne pouvaient, et ne devraient, continuer; que le pays ne saurait, comme avant, être déchiré par les slogans de partis, et que son gouvernement serait un gouvernement « d’aucun parti », composé de membres influents des partis conservateur et libéral, et que je pourrais dormir tranquille, avec la certitude que les catholiques seraient traités de façon juste, voire généreuse par son gouvernement.

[...] La troisième année de l’administration Sandfield tirait à sa fin et, comme il était complètement indifférent à la promesse qu’il m’avait faite, j’eus recours à la presse afin d’obtenir, si possible, une quelconque réparation. À cette époque (1870), les catholiques de London – à l’exception de huit ou dix électeurs – avaient pendant plusieurs années appuyé le parti conservateur et M. Carling, qui était un important propriétaire foncier dans cette ville et occupait la double position de membre de la Chambre des communes et de l’assemblée législative, en plus d’être membre du Cabinet du gouvernement de Sandfield Macdonald. Il était également directeur du Great Western Railway, propriétaire d’une grosse brasserie, employeur d’importance et un citoyen des plus populaires – une popularité bien méritée, car il était d’une nature douce et généreuse et savait accueillir cordialement tout un chacun, allié ou ennemi politique.

En ce qui a trait au vote des catholiques, les conditions étaient les mêmes dans la plupart des circonscriptions de l’Ouest qu’à London – presque tous les électeurs votaient conservateur.

[...] Lors d’une réunion des électeurs tenue dans un hall au-dessus d’un hangar à locomotives à Lucan, dans le canton de Biddulph, où les deux partis politiques étaient représentés, M. (maintenant Sir John) Carling et d’autres venus de London représentaient l’aile conservatrice, alors que moi-même et bon nombre d’électeurs des cantons de Biddulph et McGillivray représentions l’intérêt libéral. Une fois la réunion organisée, M. Carling et les autres conservateurs présents ont insisté pour que je sois le premier à prendre la parole et je suis monté à la tribune réservée aux conférenciers. J’ai commencé mon allocution, mais j’étais continuellement interrompu par trois ou quatre opposants et, découvrant qu’ils étaient vivement encouragés par leurs alliés dans l’auditoire, je dis, comme il semble y avoir une volonté de ne pas m’écouter, je ne retiendrai pas l’auditoire plus longtemps, et je descendis de la tribune. M. Carling, voyant combien la tactique de ses alliés s’avérait nuisible, leur demanda de s’arrêter et me pria de continuer mon allocution. Je refusai, également pour des raisons tactiques et, accompagné des représentants libéraux, je me dirigeai vers le côté du hall où se trouvait la sortie, lorsque le plancher céda et la quasi-totalité de l’assemblée fut précipitée dans la rue, et si le wagon garé dans le hangar n’avait arrêté la chute du plancher, les suites auraient été des plus désastreuses. En réalité, peu furent blessés, n’ayant que des contusions et des égratignures.

Les réunions qui se tenaient à Biddulph étaient toujours source de fébrilité et de plaisir et une nuit, alors que je prononçais un discours devant les électeurs dans « l’école du marécage » du canton, les factions antagonistes se lancèrent dans une mêlée générale, renversant un énorme poêle dans lequel brûlait un feu ardent. C’est alors que M. Mackintosh, jugeant qu’il n’était pas prudent de rester là, attrapa le cartable contenant ses armes politiques, sauta sur une table et tenta de se hisser hors du champ de bataille par une petite fenêtre du pignon de l’école. Quand il comprit qu’il lui était impossible de s’échapper par une telle ouverture, son retour au sol fut acclamé par les cris et les rires moqueurs de la foule parce que lui, un Irlandais, et fils d’un officier britannique, avait battu en retraite devant une si petite échauffourée. Chaque fois que nous nous rencontrons, M. Mackintosh ne manque jamais de me rappeler cette nuit animée à l’école du marécage.

Source: Justice Hugh MacMahon, "Reminiscences" (Toronto: self-published, ca. 1908).

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