Meurtre par calomnie?
Le 4 avril 1957, la une du Daily Star de Toronto portait une accusation brutale : « Meurtre – Député » L'ambassadeur canadien en Égypte et au Liban, Herbert Norman, s’était suicidé ce matin-là au Caire. À Ottawa, les membres du Parlement rivalisaient entre eux pour qualifier l’indignation ressentie à travers le Canada. La une du Star reprenait l’accusation faite par Alistair Steward, député de Winnipeg Nord : Herbert Norman avait été « assassiné par calomnie aussi sûrement que si quelqu'un lui avait planté un couteau dans le dos. » Le Star ne laissait aucun doute sur l’identité de ce « quelqu’un ». Une photographie sous le grand titre montrait Robert Morris, l’avocat du Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis; la légende disait « Il a dit que Herbert Norman était un communiste ». Le lendemain, les grands titres étaient tout aussi incendiaires. « Une vague de colère déferle sur Ottawa à la suite du suicide de Herbert Norman au Caire », proclamait la première page du très conservateur Globe and Mail.
Mais la vague d’indignation s’est vite dissipée ainsi que la certitude sur les évènements survenus ce matin de printemps au Caire, mais aussi pourquoi cela était arrivé. Est-ce que Herbert Norman avait donné des explications sur sa mortelle décision avant de poser son geste? Selon les rapports de presse, il avait laissé plusieurs notes de suicide. Le 5 avril, le Globe and Mail a publié deux de ces soi-disant notes. En fait, aucune n’était exacte. Le 18 avril, le Daily News de New York publiait ce qui était supposé être le texte complet des deux notes de suicide de Herbert Norman, dont une à l’ambassadeur de la Suède dont il avait utilisé l’édifice pour sauter. Ces notes déclaraient qu’il ne pouvait se décider à dire les vraies raisons de son suicide. Ces notes étaient aussi des inventions.
Étonnamment, le ministère des Affaires extérieures du Canada a contribué à la montée des spéculations en cachant les derniers mots de Herbert Norman. Désirant protéger la vie privée de la veuve de Herbert Norman, Irene, l'embargo médiatique n'a servi qu'à augmenter les rumeurs et les sous-entendus. La chasse aux rouges des médias s'est rapidement étendue à Lester Pearson, le ministre des Affaires extérieures. Deux semaines après la mort de Herbert Norman, Pearson a été forcé d’écrire une lettre au journal The Gazette de Montréal pour se défendre. Avait-il menti aux Canadiens sur le passé politique de Herbert Norman? Est-ce que les accusations du Sous-comité américain, qui à peine quelques jours auparavant avaient été rejetées comme de la diffamation non fondée, avaient un fond de vérité?
La conséquence de ces spéculations, de ces déclarations et de ces contre-déclarations fut que la plupart des lecteurs ont probablement ressenti une extrême confusion sur les raisons du suicide de Herbert Norman, et ce, à peine quelques jours après sa mort. Cette incertitude a renforcé l’idée que Herbert Norman avait en fait quelque chose à cacher.
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