Pourquoi ont-ils espionné?
Backstage of Ottawa [Les coulisses d’Ottawa]
PEUT-ÊTRE le public a-t-il oublié le complot d’espionnage, maintenant que le rapport final de la Commission royale d’enquête amasse de la poussière avec les autres Livres bleus de 1946. Par contre, le souci que se font les fonctionnaires à propos de toute cette affaire n’a pratiquement pas diminué.
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DERRIÈRE tous ces soucis se cache une question fondamentale : pourquoi ces jeunes hommes et ces jeunes femmes se sont-ils prêtés au complot soviétique contre leur propre pays? L’excellent chapitre de la Commission au sujet de la motivation décrit la manière dont les agents étaient choisis et convertis, mais la raison fondamentale est quelque chose de plus profond.
Ce n’était pas pour l’argent. La plupart, sinon tous les agents, ont finalement accepté l’argent des Russes, bien que certains l’aient accepté plus facilement que d’autres. […] Mais les montants reçus étaient insignifiants; $100 était une grosse somme. […] [E]ssentiellement, ces hommes et ces femmes ne se sont pas vendus pour de l’argent.
Dix-sept noms, à part les espions professionnels Carr et Rose, sont nommés dans le rapport final de la Commission royale d’enquête. Un ou deux autres, qui ne sont pas nommés, sont assez clairement identifiés pour être reconnus par ceux qui les connaissent. De ce groupe, j’en connaissais six personnellement et trois ou quatre autres sont de bonnes connaissances.
Trois sont reconnus par leurs amis comme étant des communistes et, comme tels, on s’attend à ce qu’ils utilisent tous les moyens nécessaires pour aider le Parti. Quant aux autres, un avait des affinités avec le Parti travailliste progressiste, un parti que j’aurais qualifié de parti gauchisant sans importance et les autres étaient politiquement neutres, pour ce que j’en savais.
Ils semblaient être des hommes et des femmes intègres et courageux, c'est à peu près tout ce qu’ils semblaient avoir en commun. Quels autres facteurs les uniraient alors dans ce misérable complot?
Un des facteurs a peut-être été l’enthousiasme, la dévotion à une idée et à une cause. En 1937 et 1938, lorsque le Canada armait le Japon avec de la ferraille et lui fournissait du blé, au moins une de ces jeunes femmes avait l'habitude de porter des bas en coton parce que la soie venait du Japon. Un autre membre du groupe a perdu un bon travail dans l’industrie privée à cause de ses opinions radicales et pourtant il n’a jamais changé ses idées. Ils auraient été d’accord avec Durnford Smith qui a dit à la Commission royale d’enquête que ce qui l’attirait vers le communisme était « que cela était rationnel » et tous ont eu le courage d’accepter les conclusions engendrées par la rationalité du Parti.
Pour plusieurs autres, le facteur commun aurait été l'esprit de rébellion, l'anticonformisme. Le seul Canadien français du groupe, le Dr Raymond Boyer, est le riche héritier d’une des familles les plus distinguées du Québec. Il pouvait avoir tout ce que la culture catholique du Canada français pouvait offrir. Il a passé sa vie adulte à se distancer systématiquement de tout ce contexte et il a répudié son héritage intellectuel et la foi de son père de toutes les façons inimaginables.
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Ce sont là des questions personnelles. Il y a un autre facteur commun parmi les membres de ce groupe et ce facteur en est un de reproches envers le Canada. Il s’agit d’insécurité personnelle.
Les antisémites n’ont cessé de jubiler du fait que des 17 personnes qui ont été nommées, six sont juives et deux autres sont mariées à des Juifs. Les antisémites ne devraient par se réjouir, bien au contraire. Comme l’a noté la Commission, c’est précisément à cause de l’antisémitisme au Canada que plusieurs d’entre elles ont transféré leur loyauté à l’U.R.S.S.
Prenons par exemple Samuel Sol Burman, l’agent d’assurances montréalais, dont le nom a été un des derniers à sortir.
Je connais Sam Burman depuis environ 15 ans et je n’ai jamais su qu’il avait des convictions politiques particulières. Il vient d’une famille juive et pauvre de Montréal; avec très peu de scolarité, Sam a très bien réussi. C’est un gars tranquille, modeste et qui s’exprime bien, un compagnon qui est plaisant et un gentleman de nature. Mais quelques années avant la guerre, un de mes amis, un Gentil, s’est fait jeter dehors d'une taverne dans les Laurentides parce que Sam Burman était un de ses invités. Il faisait noir et ils n’avaient pas remarqué l’écriteau sur la porte sur lequel quelqu’un avait écrit, dans un geste d’humour assez blasphématoire, « Chrétiens seulement ».
Samuel Gerson a dit à la Commission royale : je me considère comme un citoyen canadien de deuxième classe, non pas comme un Canadien de première classe... Nous savions ce qui allait se passer. Nous avons vu ce qui s’est passé à Montréal et à Kirkland Lake, là où les gens ont marché en chemises bleues et apposé des affiches aux fenêtres; nous pensions que nous devions faire quelque chose à ce sujet... Cela n’avait rien à voir avec l’économie (la raison pour laquelle nous nous sommes joints au Parti communiste), c’était l’instinct de conservation.
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