Une interprétation du mystère sur Herbert Norman
par Stephen Schwartz
Chercheur indépendant
Washington, D. C., É.-U.
10 septembre 2007
Le suicide d’Egerton Herbert Norman au Caire en 1957 alors qu’il était ambassadeur du Canada en Égypte demeure un mystère qui ne sera probablement jamais résolu. Ce dernier a posé son geste après que son nom soit sorti lors d’une enquête par le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne des États-Unis (SISS) sur l’espionnage soviétique.
J’étais un ami de feu James Barros, auteur du livre No Sense of Evil [Aucune notion du mal] qui soutenait que Norman était coupable d’avoir été agent soviétique, mais qui n’en avait trouvé aucune preuve tangible; et je suis d’accord avec son évaluation de cette affaire. Aujourd’hui, 50 ans après la mort de Norman, l’aspect le plus troublant d'une telle enquête reste le fait que les archives de l'ancienne Union soviétique sont toujours fermées alors qu’elles permettraient de déterminer une fois pour toutes dans quelle mesure Norman a été impliqué dans des opérations d’espionnage, s’il l'a été. Autant le livre de Barros que sa contrepartie Innocence is Not Enough [L’innocence ne suffit pas], de Roger Bowen, reconnaissent que Norman s'était joint au mouvement communiste stalinien dans les années 1930.
Le nom de Norman a été soulevé lors d'une enquête canadienne sur la sécurité en 1951 et il avait alors été innocenté, bien que l’on sache maintenant qu’il avait menti lorsqu’il avait été questionné. Malheureusement, Norman correspondait à un modèle qui inquiétait énormément les enquêteurs américains qui, je crois, avaient partiellement raison de s’en inquiéter. Je pense que c’est une perte de temps de se tourmenter sur la soi-disant « époque maccarthyste » lorsque l’on discute de ces cas. En réalité, l’Union soviétique avait une stratégie d’espionnage, de subversion et de terrorisme qu’elle poursuivait agressivement à travers le monde. La plupart des allégations sur les actions fautives de l'Union soviétique à partir des années 1950 jusqu’à la fin de l’Union soviétique en 1991, actions qui étaient alors considérées saugrenues et le résultat d’un fanatisme d’extrême droite, se sont révélées exactes.
Les Canadiens savaient déjà que plusieurs de ces accusations étaient fondées à la suite des révélations faites dans l’affaire Igor Gouzenko. Cette affaire a débuté en 1945 lorsqu’un chiffreur de l’ambassade soviétique à Ottawa a fait défection, révélant l'existence d'un vaste réseau d'espionnage soviétique au Canada qui était impliqué, entre autres, dans l’espionnage nucléaire et dont faisait partie le député Fred Rose.
Le drame de Norman ne provenait pas selon moi d'une loyauté idéologique envers le Parti communiste. Il correspondait malheureusement au profil des « experts de la Chine » qui ont fait l’objet d’une enquête par le Sénat américain à la suite des vérifications sur un organisme appelé l’Institut des relations du Pacifique. Cet institut publiait un magazine, le Pacific Affairs, qui est aujourd’hui publié par l’Université de Colombie-Britannique. À l’instar de Norman, plusieurs individus parmi les spécialistes de la Chine étaient nés en Asie (dans son cas au Japon) de parents missionnaires. Ils avaient une compréhension plus directe, et en fin de compte, plus précise, des questions politiques asiatiques que leurs pairs (et souvent leurs employeurs) dans les gouvernements occidentaux. Plusieurs d'entre eux étaient bien disposés envers les communistes chinois.
Je pense cependant que la question de l’adhésion de Norman au Parti communiste peut être séparée de la question de la solidarité qu’il affichait envers les mouvements communistes asiatiques, quel qu’ait été son soutien véritable pour la cause. Je ne soutiens pas cet argument parce que je pense que s’associer aux communistes staliniens était une question d’innocente solidarité avec les opprimés, mais plutôt parce que je ne crois plus que l’idéologie communiste était, en soi, la force d’entraînement des « spécialistes de la Chine » et des autres experts qui, déjà, avaient compris la faiblesse du régime nationaliste de ce pays et qui avaient prédit le triomphe des communistes.
Faire un rapport sur la force des communistes n’équivaut pas à les louanger pour leurs prétendues qualités. Quelques-uns des « experts sur la Chine » se sont enthousiasmés du leadership de Mao Zedong [Mao-Tsé-Toung] qui, en fin de compte, a été un des dictateurs les plus violents de l’histoire. Mais les autres ont simplement compris que le rival de Mao, Jiang Jieshi (Tchang Kaï-Chek), ne pouvait pas unifier la Chine. Les raisons de l’échec de ce dernier sont très complexes et ne peuvent être expliquées que par la politique. Les massacres anticommunistes des années 1920 ont suscité beaucoup d’animosité et, au contraire des communistes, il n’a pas réussi à rassembler des officiers et des subalternes militaires disciplinés et compétents. Dans le contexte chinois, la stratégie de guérilla adoptée par Mao était probablement supérieure à la stratégie militaire de Jiang.
Alors que faut-il dire sur Egerton Herbert Norman? Certains prétendent que l’affaire Norman reposait plus sur les relations entre le Canada et les États-Unis et sur le ressentiment américain face à la chute de Jiang que sur des inquiétudes, légitimes ou exagérées, à propos de la fiabilité des experts sur l'Asie. Selon moi, Norman a fait une erreur lorsqu’il s’est joint aux staliniens, lorsqu’il a menti lors de son enquête de sécurité et cela l’a rendu vulnérable du point de vue de la sécurité. Par contre, il avait eu une bonne perception des développements en Asie que d'autres analystes n'ont pu comprendre, tels la radicalisation gauchiste d'après 1945 et le besoin d'avoir une flexibilité culturelle et sociale en traitant avec le Japon. Rétrospectivement, par contre, le Japon a réussi à devenir une démocratie et les querelles des dirigeants de l’occupation sur les politiques d’occupation ne me semblent pas très inquiétantes.
L’affaire Norman me semble être celle d’un individu qui a perdu la logique des évènements. Sa carrière avait débuté à une époque où la gauche radicale était en ascension et on a longtemps pensé qu’une telle attitude politique était défendable en Asie. Les actions de Staline, de Mao et des communistes coréens, malaisiens et philippins après la guerre ont provoqué une chute soudaine de la crédibilité morale de la gauche radicale et cela a semé la confusion chez de nombreuses personnes, les laissant sans véritables solutions. Norman a été pris dans une vague de fond historique qui, de façon inexplicable et irrésistible, l’a entraîné vers sa mort.