Les loyautés de E. Herbert Norman

Peyton V. Lyon
Labour/Le Travail, 28 (Automne 1991), p. 219-221

Un rapport préparé pour les Affaires extérieures et Commerce international Canada le 18 mars 1990. Les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l’auteur.

[...]

LE 14 DÉCEMBRE 1989, j’ai signé un contrat de soixante jours avec le ministère des Affaires extérieures dont le mandat était de revoir tous les dossiers sur Norman ainsi que tous ceux qui contenaient des mémos, des dépêches et des télégrammes qu'il avait rédigés. Je me suis efforcé de « suivre des lignes directrices qui pourraient aider à clarifier les allégeances de Norman au Canada… et tout lien qu’il aurait pu avoir avec l’Union soviétique. » Le rapport, « pour diffusion au grand public », serait « idéalement sans aucune équivoque et permettrait de dissiper à jamais toutes les allégations contre Norman ». À part cela, je n’ai reçu aucune indication des Affaires extérieures sur le résultat attendu, quel qu’il soit. Ma conclusion serait « coupable », « non coupable » ou « preuves insuffisantes », selon la preuve.

L’accès aux dossiers pertinents des Affaires extérieures a été simple et complet, et je suis persuadé d'avoir vu dans ces dossiers tout ce qui pouvait avoir un lien quelconque avec ma mission. L’accès aux fichiers de la GRC (qui sont maintenant entre les mains du Service canadien du renseignement de sécurité [CSRS]) a été compliqué, mais a finalement été autorisé. Une petite discussion parlementaire entre les députés David Kilgour et Patrick Boyer a pu faciliter les choses. Le ministère de la Défense nationale a mis à ma disposition des documents intéressants sur Norman relativement aux activités de renseignement pendant la guerre. La bibliothèque de l’Université de la Colombie-Britannique a transmis les copies de 68 lettres révélatrices et pleines de verve que Norman avait écrites à sa famille. J’ai aussi reçu une copie du dossier du FBI sur Norman. J’ai reçu cinq réponses aux lettres que j’ai écrites à une douzaine de journaux et seulement une était négative envers Norman. J’ai aussi reçu sept appels téléphoniques de quatre personnes. Je doute fortement que des renseignements additionnels puissent mieux éclairer ma compréhension et changer mes résultats. Toute carence dans le rapport ne peut être attribuée au manque de coopération ou de sources. (Plus de renseignements sur les sources dans l’Annexe A.)

Conclusions

C’est avec assurance et sans équivoque que j’arrive à mes conclusions les plus importantes.

  1. Est-ce que Herbert Norman était un espion? Non. Il n’y a pas l’ombre d’une preuve qui le suggère.
  2. Est-ce que Herbert Norman était un « agent d’influence » soviétique? A-t-il donné des conseils à son gouvernement, ou à tout autre, pour promouvoir des actions favorables à un ennemi, réel ou potentiel? Ou pour fournir de la désinformation qui entraînerait le même résultat? Non. Il n’y a pas la moindre preuve qu’il était un « agent d’influence », bien au contraire. Après quarante années d’enquête, il n’y a aucune preuve tangible.
  3. Est-ce que Norman était un marxiste, un communiste et un sympathisant soviétique? Oui. Ouvertement et avec enthousiasme lorsqu’il étudiait à Cambridge de 1933 à 1935; moins ouvertement, mais peut-être de façon plus dogmatique, lorsqu’il habitait Toronto en 1936-1937 et qu’il était à Harvard entre 1936 et 1938. Son affranchissement du communisme s’est fait graduellement et ne peut être déterminé avec précision. Après être devenu fonctionnaire en 1939, il a coupé toute association avec le Parti mais il a gardé des amitiés remontant aux années 30 avec des marxistes.
  4. Est-ce que Norman était un membre du Parti communiste au Canada, en Angleterre ou aux États-Unis? Non. Il était assurément un compagnon de route, mais il n’a jamais été admis formellement et il n’a jamais eu de carte. Les services que l’on sait qu’il a rendus au Parti étaient insignifiants.
  5. Est-ce que Norman a menti à propos de son passé communiste? Oui et non. Ce n'était pas un mensonge de nier avoir été membre du Parti. Il a cependant minimisé le niveau de son engagement et de ses connaissances des idées et des activités de ses amis gauchistes. Ne pas avoir révélé toute la vérité a fait en sorte d’endommager la crédibilité de son ministre et a contribué à sa disparition.
  6. Pourquoi Norman s’est-il suicidé? Probablement pour les raisons qu’il a données. Même si la fatigue était un facteur, il ne se serait pas suicidé s’il n’avait craint une répétition des épreuves subies entre 1950 et 1952 créées par l’enquête maccartiste menée par le Sous-comité du Sénat sur la sécurité interne (SSSI) des États-Unis. Il ne semblait pas craindre de nouvelles révélations. Il savait par contre que le Sous-comité était déterminé à « avoir » Lester Pearson ainsi que lui-même et que leurs tactiques étaient impitoyables.
  7. Est-ce qu’il y a eu du camouflage? Oui, mais seulement en raison du fait que tous les gouvernements traitent les affaires de sécurité en toute confidentialité et cela pour des raisons tout à fait raisonnables. Les sources, tant intérieures qu’étrangères, doivent être protégées, la majorité du matériel contenu dans les dossiers n'est que potin et même après quarante ans cela pourrait nuire à la réputation de personnes innocentes. Dans l’affaire Norman, Pearson a laissé sortir plus de renseignements qu’il n’est normal de le faire et, conséquemment, Norman et lui en ont tous deux souffert. Les Affaires extérieures et le CSRS ont autorisé la publication de la majeure partie de leurs dossiers sur Norman prévue par la Loi canadienne de l’accès à l’information; le matériel supprimé, dont j'ai pris entièrement connaissance, ne change rien au portrait général. Il n’y a pas eu de camouflage d’information qui aurait indiqué que Norman était un espion communiste ou un agent d’influence. Les dossiers que j'ai lus ne contenaient aucune preuve pour appuyer une telle allégation.

Herbert Norman était fidèle au peuple du Japon, le pays de son enfance. Il était fidèle à l'humanité et à la poursuite de la vérité historique. Il était fidèle à lui-même; il n’a jamais dénoncé le jeune idéaliste qui, malencontreusement, a vu dans le communisme et l’Union soviétique le seul espoir pour l’homme civilisé. Par-dessus tout, il était fidèle à ses amis et à son pays. [...]

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