L’évaluation que fait Norman de ses tâches au Japon
Personnel et confidentiel
MISSION DE LIAISON CANADIENNE
TOKYO, 4 février 1949.
Monsieur A. D. P. Heeney,
Greffier du Conseil privé,
Édifice de l’est, Cité parlementaire,
O t t a w a, Canada.
Cher Arnold,
Nous avons récemment pris connaissance des changements au gouvernement. Un de ces changements nous indique que tu seras le Sous-secrétaire du ministère à partir du 1er mars. Je profite de cette lettre pour te dire à quel point je suis heureux que tu deviennes mon nouveau patron et je me sens aussi très chanceux d’avoir Mike [Pearson] comme ministre et toi comme adjoint. Cette perspective me réjouit énormément.
J’ai écrit à Mike il y a peu de temps, comme je le fais assez régulièrement, pour l’informer des évènements ici et j’ai pensé qu’il serait de circonstance que je t’écrive aussi pour te donner une idée de la situation ici.
[...]
Je suis ici depuis deux ans et demi et ce temps a été des plus intéressants et très occupé.
[...]
Le travail m’intéresse au plus haut point et je n'aurais pu obtenir un poste plus agréable. Même si ma responsabilité principale a été de travailler avec le SCAP [Commandement suprême des puissances alliées] et ses officiers, j’ai pensé qu’il serait utile de me faire connaître des fonctionnaires japonais et, encore plus important, des professeurs, des écrivains et autres personnes du même genre. C’est très différent des années d’avant-guerre lorsque les Japonais, même ceux qui étaient en bons termes avec nous, avaient peur de se lier d’amitié avec nous. Maintenant, ils veulent nous parler et partager leurs connaissances. J’ai dû refuser plusieurs invitations de visiter les universités et d’y donner des conférences à cause de mon travail, mais j’ai pensé qu’il serait sage de prononcer quelques conférences en japonais. Cela a été très gratifiant, car j'ai pu bâtir de bonnes relations parmi les professeurs et les critiques japonais.
Durant mes rares temps libres, j’ai tenté d’amasser du matériel japonais dans deux ou trois domaines qui, à mon avis, seront intéressants pour le ministère à long terme. En premier lieu, il y a une étude faite par des penseurs japonais contemporains représentant diverses tendances et traitant principalement de sciences politiques et d’histoire moderne. Puis il y a un survol d’études japonaises, un peu plus difficiles d’accès et un peu plus indéfinissables, sur les aspects politiques, sociologiques et historiques de la Chine. J'ai toujours pensé que les chercheurs japonais qui sont spécialistes de la Chine ont une longueur d’avance sur nous, tout comme nos chercheurs classiques en auraient une sur les Orientaux, car la sinologie japonaise, telle qu’appliquée à la Chine contemporaine en particulier, n’est pas un champ d’études qui intéresse particulièrement les Occidentaux. Ce n’est là qu’un exemple des projets à long terme auquel je peux mettre le peu de temps libre arraché à mes fonctions officielles et sociales, mais je pense que si on me permet de rester ici pour au moins une autre année, j’aurai réussi à rassembler une quantité substantielle de matériel couvrant ces domaines ainsi que d’autres champs d’études.
À mon avis, la rapidité des changements en Extrême-Orient, et en particulier en Chine, fera du Japon un poste dont l’importance ne fera qu’augmenter non seulement pour des raisons évidentes de sécurité dans le Pacifique, mais parce que ce sera un poste d'observation diplomatique des développements en Extrême-Orient. Maintenant que je baigne dans ce contexte depuis deux ans et demi, je pense que je serais plus utile au ministère si on me permettait de rester ici pour au moins une autre année. Je n’ai pas entendu parler de changements à l’horizon, mais j’ai pensé qu’il serait approprié de te donner mon opinion sur le sujet.
Je voudrais te redire à quel point je suis heureux de travailler avec toi au ministère.
Toutes mes amitiés.
Meilleures salutations,
[signé Herbert]