Les plans de MacArthur pour le Japon pendant la guerre froide
Lester Pearson et Herbert Norman, Tokyo , Inconnu, 1950-01-30, University of British Columbia Library, Rare Books and Special Collections, BC2124-108, Pearson, à la dernière étape de sa tournée mondiale, visite Tokyo pour s’entretenir avec Norman et le général Douglas MacArthur
[J’ai appris énormément de choses sur les plans des États-Unis pour le Japon lors] d’une visite que j'ai faite au général Douglas MacArthur à la fin de janvier et au début de février 1950 [moins de cinq mois avant le début de la guerre de Corée]. J’en étais à la dernière étape d’un voyage autour du monde que j’avais fait cette année-là en relation avec la Conférence Colombo des ministres des Affaires étrangères du Commonwealth. Je m’étais arrêté à Tokyo pour quatre ou cinq jours principalement pour voir le général MacArthur, alors Commandant suprême des puissances alliées [SCAP] au Japon. D’une certaine façon, le général était la personnalité la plus étonnante que j'avais jamais rencontrée et celle qui dégageait le plus grand magnétisme. C’était un homme fascinant, érudit et qui possédait un grand sens de l'histoire; il parlait avec une grande clarté et de façon très dramatique. Même si je n’étais pas d'accord avec certaines des actions qu’il a posées ultérieurement ou avec certaines de ses idées, il ne fait aucun doute que, au Japon après la guerre, il était l’homme de la situation.
MacArthur était la personne la plus impériale, la plus proconsulaire que j’aie jamais rencontrée. Et il s’en tirait avec élan et majesté. En effet, d'après ce qu’on m’a dit, c’était à tel point que les Japonais le traitaient presque comme le Mikado en personne. Ils allaient jusqu’à s’incliner devant lui lorsqu’il passait. Je me souviens d’un déjeuner offert par MacArthur en notre honneur, mon épouse et moi. Ce repas était plus empreint de cérémonie que les réceptions auxquelles j’avais assisté au palais de Buckingham ou au Vatican. Madame MacArthur était déjà présente ainsi que tous les aides. Pendant qu’on attendait, on a commencé à recevoir des bulletins toutes les quinze secondes : le général avait quitté son bureau, le général était en route, le général serait ici d’ici peu. Nous étions placés en ligne. Il y eut un silence. Les portes se sont ouvertes toutes grandes et le général de l’armée et maréchal des Philippines, Douglas MacArthur, est apparu. J’avais l’impression que je devrais me prosterner et l’adorer, mais je ne suis pas très porté à me prosterner et à adorer dans ce genre de cérémonie.
Néanmoins, cela a été très intéressant de le rencontrer et de connaître son opinion sur la situation au Japon. En retour, je lui ai parlé de la Conférence de Colombo, bien que les honneurs n'aient pas été égaux puisque son sermon a été beaucoup plus long que le mien et qu'il a été répété. Herbert Norman, le chef de notre mission de liaison à Tokyo, qui était avec moi, a dit cependant que MacArthur m’avait écouté plus longuement que quiconque il avait vu avec le général auparavant et que je devais en être félicité!
Pendant notre conversation il a surtout parlé du Japon. J’ai noté dans mon journal : « Il est absolument convaincu que les Japonais ont reconnu leurs erreurs, qu’ils sont maintenant des démocrates convaincus et que leur conversion est permanente. C’est difficile d’être aussi confiant que lui sur cette question, mais il parle avec une grande conviction. En même temps, il pense qu’il ne devrait pas chercher à entraîner les Japonais dans la guerre froide contre le communisme, mais que nous devrions plutôt tenter de convertir le Japon en une « Suisse » du Pacifique dont la neutralité serait garantie par chacun. Il semble penser que même les Russes seraient prêts à appuyer cette idée. Mais en même temps, il défait ses arguments, selon moi, lorsqu’il ajoute que, bien sûr, le Japon serait prêt à donner aux États-Unis certains droits de défense sur ses îles. Si cela se faisait, bien évidemment le Japon ne deviendrait pas une Suisse et on ne pourrait pas s’attendre à ce que les Russes respectent sa neutralité. Le général traite le Japon et ses problèmes avec paternalisme et il est évident qu'il pense qu'il est mieux placé pour traiter avec « son peuple » que ceux qui détiennent l’autorité à Washington et pour lesquels il a montré très peu de respect quant à leur opinion sur les questions de l’Extrême-Orient. En fait, il a été très ouvert sur ce qui lui semble être la faiblesse du département d'État et du Pentagone quant à la manière dont ils traitent les questions du Japon et du Pacifique. »