Mobile d’espionnage : Emma Woikin
L’ambassade soviétique à Ottawa dans les années 1940., Inconnu, 1978, L’ambassade soviétique à Ottawa où Gouzenko s'est réfugié lorsqu'il est passé à l'Ouest en 1945 a été détruite par un incendie dans les années 1950
[Preuve présentée à la Commission royale d'enquête Kellock-Taschereau en 1946]
Le témoignage d’Emma Woikin
22 février 1946
Emma Woikin, appelée
LE SECRÉTAIRE | Veuillez prendre la Bible dans votre main droite. Vous comprenez le serment? Quelle est votre religion? |
EMMA WOIKIN | Je suis Doukhobor |
LE SECRÉTAIRE | Comprenez-vous le serment que vous prenez sur la Bible? |
WOIKIN | Oui. |
LE SECRÉTAIRE | Votre nom est-il Emma Woikin? |
WOIKIN | Oui. |
Emma Woikin, assermentée
M. [Gérald] FAUTEUX [Avocat de la Commission] | |
Quel est votre nom? | |
WOIKIN | Mon nom est Emma Woikin. |
FAUTEUX | Où êtes-vous née? |
WOIKIN | Blaine Lake, en Saskatchewan. |
FAUTEUX | En quelle année? |
WOIKIN | 1921. |
FAUTEUX | Veuillez parler plus fort. |
WOIKIN | 1er janvier 1921 |
[...]
[On a montré quatre preuves à Woikin, des copies de télégrammes marqués Confidentiel et Très confidentiel, provenant du ministère des Affaires extérieures. Elle a témoigné qu’entre la fin mai et août 1945, alors qu’elle travaillait comme chiffreuse au Ministère, elle avait mémorisé le contenu des télégrammes et les avait ensuite rédigés.]
FAUTEUX | Pourquoi avez-vous copié ces télégrammes et à qui avez-vous donné les copies que vous avez faites? |
WOIKIN | Est-ce que vous voulez le nom de la personne? |
M. LE COMMISSAIRE KELLOCK | Oui. |
WOIKIN | Eh bien, est-ce que cela a un rapport? |
KELLOCK | Oui. Vous devez répondre à la question qui vous est posée. |
WOIKIN | Le nom de la personne ou le nom de — |
KELLOCK | Le nom de la personne. Qu’avez-vous fait avec ces documents? |
M. LE COMMISSAIRE TASCHEREAU | La première personne à qui vous les avez donnés? |
WOIKIN | Je ne voudrais pas dire le nom de la personne. |
KELLOCK | Vous devez le faire. |
TASCHEREAU | Vous devez le faire. |
KELLOCK | Répondez à la question. |
WOIKIN | La puissance étrangère est — |
KELLOCK | Cela ne fera pas l’affaire — le nom de la personne. |
WOIKIN | Qui que ce soit ce n’est pas quelqu’un qui est Canadien. |
KELLOCK | Cela n’a pas d’importance. Voulez-vous répondre à la question s’il vous plaît? |
WOIKIN | Son nom est Sokolov. |
KELLOCK | Qui est Sokolov? |
WOIKIN | Le major Sokolov est à l’ambassade soviétique ici. |
[...]
FAUTEUX | Avez-vous déjà reçu de l’argent de Sokolov pour le travail que vous faisiez pour lui? |
WOIKIN | Non, je n’ai pas reçu d’argent. |
FAUTEUX | Pardon? |
WOIKIN | Je n’ai pas reçu d’argent pour ce travail. |
M. LE COMMISSAIRE KELLOCK | Avez-vous reçu de l’argent? |
FAUTEUX | Je vous demande si vous avez reçu de l’argent de Sokolov? |
WOIKIN | J’ai eu un cadeau une fois; $50. |
FAUTEUX | Et ce cadeau était de quelle nature? |
WOIKIN | C’était de l’argent. |
M. LE COMMISSAIRE KELLOCK | Vous dites que c’était $50? |
WOIKIN | Oui. |
M. FAUTEUX | Où étiez-vous lorsque Sokolov vous a donné ces $50? |
WOIKIN | Sa femme me l’a donné…. |
FAUTEUX | Mlle Woikin, lorsque M. Sokolov vous a fait cette proposition la première fois et que vous dites que vous avez accepté après quelques jours, pourquoi avez-vous accepté? |
WOIKIN | Eh bien, ce n’est pas un sentiment facile à exprimer. |
FAUTEUX | Quoi? |
WOIKIN | Ce sentiment est quelque chose que vous ne pouvez pas vraiment exprimer. |
FAUTEUX | Je ne comprends pas. Vous êtes née dans ce pays? |
WOIKIN | Oui. |
FAUTEUX | Vos parents sont arrivés ici avant 1900? |
WOIKIN | Oui. |
FAUTEUX | Alors voulez-vous expliquer pourquoi vous étiez prête à faire ce que Sokolov vous demandait de faire? |
WOIKIN | Peut-être parce que j’ai un sentiment d’amour pour ce pays. Peut-être parce ce que nous pensons qu’il y a – et nous avons peut-être tort ou nous avons peut-être raison, mais il y a un espoir ou quelque chose pour les pauvres. |
FAUTEUX | Et? |
WOIKIN | Je ne sais pas pourquoi je pensais cela, mais je l’ai pensé. |
FAUTEUX | Si je vous comprends bien, vous étiez bien disposée envers l’Union soviétique? |
WOIKIN | Oui. |
[...]
FAUTEUX | Maintenant vous voudriez être une citoyenne soviétique? |
WOIKIN | Oui. |
FAUTEUX | Pourquoi ? |
WOIKIN | Je ne peux pas répondre à cela, je ne connais pas la réponse. |
FAUTEUX | Prenez votre temps et dites-nous ce que vous croyez et ce que vous pensez. |
WOIKIN | Peut-être que cela vient du style de vie que j’ai eu, peut-être que– simplement je me tourne vers ce pays pour un sentiment de sécurité et j'aimerais y vivre. |
FAUTEUX | Qui vous a dit qu’il y avait de la sécurité dans ce pays? Comment le savez-vous? |
WOIKIN | Eh bien — |
FAUTEUX | Comment en êtes-vous arrivée à cette conclusion? |
WOIKIN | Je ne sais pas comment je suis arrivée à cette conclusion. |
FAUTEUX | Vous deviez avoir une raison quelconque? |
WOIKIN | Eh bien, peut-être que c’était quelque chose que je lis, que j’ai lu, c’est ce que je voulais dire. |
FAUTEUX | Que voulez-vous dire par sécurité? |
WOIKIN | Eh bien, il y avait un temps où nous étions très pauvres, vous savez, et mon bébé est mort parce que nous n’avions pas de soins médicaux et personne ne semblait s’en soucier. Mon mari était malade à un tel point et personne ne semblait faire quoi que ce soit. |
M. LE COMMISSAIRE KELLOCK | Il n’y avait pas de service de santé public où vous habitiez? |
WOIKIN | Non, il n’y en avait pas. |
Source: Testimony of Emma Woikin, Mobile d’espionnage : Emma Woikin in The Gouzenko Transcripts: The Evidence Presented to the Kellock-Taschereau Royal Commission of 1946, Robert Bothwell and J.L. Granatstein (Ottawa: Denean Publishers, 22 février 1946), 156-166