Journalisme sans principeThe British Columbian, 16 juillet 1864 L’extraordinaire tendance, jugée appropriée et adoptée par nos confrères de Victoria quant aux situations auxquelles fait face cette colonie, n’a, en aucune manière, permis d’accroître l’estime des hommes de raison vis-à-vis la presse insulaire. Le malheureux et sanglant massacre de Bute Inlet, bien que peut-être pas tout à fait injustifié, leur a fourni une rare occasion de se vautrer dans leur style bien particulier. En traitant de nos difficultés avec les Indiens, ces journalistes ont fait preuve d’une insouciance téméraire rarement vue dans l’histoire du journalisme. Un meurtre crapuleux, commis par quelques Indiens, a été fiévreusement investi de toute l’importance d’une guerre autochtone, et ils se sont emparés de vagues rumeurs et les ont publiées comme si elles étaient des faits avec une avidité quasi irresponsable. Une semaine, on nous raconte les passionnants détails du massacre de huit ou neuf hommes et, à partir de ces surprenantes informations, un grand rassemblement a été organisé; l’opinion publique, titillée par des articles de journaux à sensation, est prête à exploser; des membres du clergé, certains ayant grisonné au service du prince de la paix, font de longs et fiévreux discours guerriers; on entend l’appel réclamant une extermination aveugle et, le lendemain, des centaines affluent au bureau de recrutement, apparemment anxieux d’avoir du sang sur les mains. La semaine suivante, on nous raconte que 40 des hommes du groupe de Cox ont été tués et que le reste a été fait prisonnier. Et dans tous ces articles à sensation et ces discours vides, le sang de ces victimes imaginaires est soigneusement répandu à la porte du gouverneur Seymour. Mais, lorsqu’il apparaît que toute l’affaire est une erreur ou une pitoyable propagande, on ne retrouve pas un mot de regret ou d’excuse d’avoir été le média propageant de fausses informations, agilement et malicieusement épicées de calomnies insidieuses. La seule façon dont ils condescendu à reconnaître leur faute est d’écrire cette phrase laconique :« Nous apprenons que telle ou telle chose n’a pas eu lieu. » C’est avec autant d’énergie qu’on a tourné le malheureux échouement de la frégate de guerre de S.M., le Tribune, en un même genre d’histoire. C’est avec une joie bien mal cachée que ces journaux, débordant pendant des semaines, ont évoqué les circonstances avec sarcasme et malice, s’assurant toujours, en premier lieu, de discréditer la navigation vers New Westminster et, dans un deuxième temps, de jeter la responsabilité du désastre sur les épaules du gouverneur Seymour. Le noble vaisseau, couché sur le sable dans le golfe du Fraser, bien plus à l’abri de la violence du climat et des rochers sous-marins qu’il ne le serait dans le port de Victoria – s’il était possible de le soulever dans ce petit point d’eau – était présenté comme étant dans un danger imminent, « frappant le fond avec violence », « en mauvaise posture », « prenant l’eau rapidement », « presque une perte totale », « avec très peu de chance de naviguer encore un jour » et on a assisté aux plus dégoûtantes lamentations – parce qu’hypocrites – au sujet de la perte d’un aussi bon vaisseau. Mais, éventuellement, le Tribune a pu être libéré, et ce qui suit est le seul commentaire publié jusqu’à maintenant dans un journal de Victoria au sujet de son arrivée à Esquimalt : - « ENFIN. – Le H.M.S. Tribune est arrivé de l’entrée sablonneuse du Fraser hier après-midi. Il a navigué sans tracas. Il semble être en aussi bon ordre que jamais et, selon toute apparence, ne se portait pas si mal après son long et inconfortable emprisonnement dans les sables du Fraser. » Est-ce tout ce que vous avez à dire? Est-ce qu’un désastre qui a suscité tant de commentaires et de dérision ne mérite rien d’autre de votre part lorsqu’il s’avère qu’il n’y avait aucun désastre au départ? Si vous étiez sincères en vous vantant de votre loyauté et en exhibant votre regret, comment se fait-il que, parlant de l’arrivée de cet excellent navire, dont vous aviez tant pleuré la perte et dont vous disiez qu’il était « en aussi bon ordre que jamais et, selon toute apparence, ne se portait pas si mal », comment se fait-il donc que vous ne disiez rien de votre joie de constater que vos pires craintes quant à la destinée du navire, tout comme vos paragraphes à sensation quant à son état présent, n’étaient qu’une erreur? Honte à un tel journalisme. Il jette le discrédit sur la profession de journaliste et la traîne en disgrâce. Le meilleur et le plus prudent des éditeurs peut se voir parfois imposer certaines choses, particulièrement dans ces colonies, où les sources d’informations sont si rudimentaires et peu fiables; mais il certain que des inexactitudes, telles que celles auxquelles nous faisons référence, donnent droit au public à l’expression de certains regrets et à des excuses de la part de ceux qui les ont propagés. Il est clair que le sens de l’honneur et de la justice suggérerait un tel geste. La complaisance de cette malheureuse propension des journalistes de Victoria est généralement sans danger, mis à part le mal qu’ils se font à eux-mêmes. Mais nous voyons leur détermination obstinée à travestir et à exagérer ce problème avec les Indiens, en lui donnant l’allure d’une révolte générale des autochtones du Nord-Ouest de cette colonie, comme quelque chose de plus sérieux qui est organisé de manière à causer des troubles réels parmi les tribus habitant près de nous. Tel le garçon de la fable, ils ont crié au loup si souvent que ceux qui lisent les journaux font peu de cas de ces choses-là. Mais il faut se rappeler que les Indiens sont un peuple astucieux; et sachant que des expéditions sont lancées sur la piste de certains des leurs, ils mettent rapidement la main sur l’information de première main et il est remarquable de voir à quelle vitesse se propagent de tels renseignements entre les diverses tribus. Cela peut donc être une situation très sérieuse de circuler de l’information sur l’enlèvement et l’assassinat de toute une expédition parmi les autochtones. Situés comme nous le sommes dans cette colonie, notre politique n’est certes pas d’exagérer la difficulté et, par-dessus tout, nous devons empêcher que l’on affiche de la peur ou de la panique devant les autochtones. Ainsi, nous ne pouvons trop condamner l’attitude prise par la presse de Victoria face à l’ensemble de cette situation. Source: "Journalisme sans principes," The British Columbian, 16 juillet 1864.
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