« Jérôme »
« L’inconnu de Clare »
À l’été 1866, un grand bateau a jeté l’ancre à l’isthme de Digby, en Nouvelle-Écosse. La terreur s’est emparée des paisibles villageois, car ceux-ci croyaient qu’il s’agissait d’un navire de guerre. Toutefois, on a poussé un peu plus loin les recherches et ils ont été soulagés d’apprendre qu’il s’agissait d’un navire commercial étranger.
Le matin suivant, la majorité des résidants de Sandy Cove se sont levés tôt pour aller à la pêche, une de leurs occupations principales. Avant de commencer son travail journalier monotone qui consistait à ramasser des algues, M. Albright prit une pause afin de regarder les bateaux des pêcheurs au large. Au loin, le mystérieux bateau qui avait causé tant d’anxiété quelques heures auparavant disparaissait rapidement pour ne devenir qu’un point à l’horizon. Soudain, il crut voir un objet inhabituel sur la plage. Il fut étonné de constater qu’il s’agissait d'un jeune homme recroquevillé près de la ligne des eaux.
Une carafe d’eau et des biscuits de marin avaient été déposés près de lui. L’homme qui était âgé d’environ dix-neuf (19) ans avait les deux jambes amputées. Il était pâle puisqu’il avait perdu beaucoup de sang et il ne parlait pas.
On a fait venir des hommes et le malheureux visiteur fut transporté chez M. Gidney à Mink Cove. Là-bas, on prit gentiment soin de lui et on le nourrit convenablement. Malgré tout, il gardait un silence absolu. Pendant qu’on le questionnait, il marmonna « Jérôme ». Supposant qu’il avait dit son nom, les villageois décidèrent de l’appeler « Jérôme ».
Bien qu’on le questionnât régulièrement, il demeurait silencieux et agissait comme s’il ne comprenait pas ce qu’on lui disait. Une fois, pris au dépourvu lorsqu’on lui demanda quel était le nom du bateau qui l’avait amené à l’isthme de Digby, Jérôme répondit « Colombo ».
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse versait régulièrement de l’argent pour subvenir à ses besoins, en moyenne 2,00 $ par semaine.
Jérôme a également été accueilli comme un citoyen régulier du rivage de la baie. L’année s’écoula tranquillement et il fut transféré chez la famille Nicolas à Meteghan. L’infirme vécut sa vie dans la solitude et s’est montré indifférent aux joies, aux peines et à la souffrance. Vu le maniérisme qu'il affichait et son... teint, il était sans contredit un étranger. Il semblait plein de ressentiment envers les adultes, mais il démontrait un véritable intérêt pour les enfants.
Après avoir vécu avec la famille Nicolas de Meteghan pendant sept (7) ans, Jérôme partit vivre avec M. et Mme Dédier Comeau à Saint-Alphonse de Clare (comté de Digby), où il vécut le reste de sa vie (il passa en tout quarante ans là-bas).
Des milliers de personnes visitèrent Jérôme, mais aucune ne croyait qu’il avait pu être un simple marin. On croyait généralement qu’il avait été un officier de haut rang de la marine ou de l’armée. Ses manières révélaient le caractère d’un individu supérieur qui avait été élevé dans la richesse. Lorsqu’on lui offrait de petits cadeaux comme des sucreries, des fruits ou du tabac, il les acceptait de manière respectueuse et appropriée.
Il ne pouvait pas souffrir la condescendance de la part de ses visiteurs et il était particulièrement humilié lorsqu’on lui offrait de l’argent.
Doté d’une excellente charpente, il était probablement bel homme avant que ses jambes ne soient amputées. Une fois ses moignons guéris, il clopinait dans la maison. Lorsqu’on le laissait quelques instants sans surveillance à l’extérieur, il rampait sur la pelouse vers l’océan. On ne connut jamais les raisons de cet étrange comportement.
Généralement représenté avec la barbe et les cheveux blancs, il arborait toujours un regard sérieux. Ses vêtements étaient confectionnés par la maîtresse de la maison. Sa chambre était traditionnelle, avec un lit et un minimum de meubles. Elle était sombre, mal aérée et pourvue d’une seule fenêtre.
Un jour, une riche femme rendit visite à Jérôme et s’écria sans arrêt « Mon frère! », mais Jérôme ne montra aucun signe prouvant qu’il la reconnaissait. Plusieurs incidents du genre eurent lieu.
Une des légendes est basée sur la visite d'un prêtre à Jérôme. Lorsqu’il quitta la chambre de ce dernier, il dit aux personnes présentes : « Laissez Jérôme tranquille et n’essayez pas de le faire parler ». Le prêtre voulait-il insinuer que Jérôme respectait une promesse en se taisant?
Jérôme a été baptisé comme un catholique romain, est mort en 1913 et a été enterré dans le cimetière de Meteghan dans une tombe sans aucune inscription.
Le gouvernement a donné 2,00$ à M. William Comeau pour creuser la fosse.
(L’information ci-dessus a été obtenue par Joseph F. Comeau de Petit-Ruisseau, comté de Digby, N.-É., qui s’est rendu à la maison où Jérôme a vécu pendant plus de quarante ans. Il a tiré ces renseignements de « papiers » gardés dans le grenier par un des petits-enfants de M. Dédier Comeau. Ce récit de la vie de Jérôme avait été écrit par la famille de M. Dédier Comeau — probablement à titre de journal intime, et ne peut donc qu’être la vraie, l’authentique histoire de Jérôme. Plusieurs villageois parmi les plus âgés de Saint-Alphonse peuvent préciser certains détails dont ils se souviennent, mais rien de tout cela n’est consigné par écrit. Les petits-enfants de M. Dédier Comeau refusent toutefois de se défaire des papiers concernant Jérôme. Le contexte en entier, comme ceci, ou une partie de ce dernier, peut être recopié sur place, sans plus. La maison où Jérôme a passé plus de quarante ans est située sur la route principale allant vers Yarmouth, (elle est connue comme la maison de William à Dédier – le « à » après William signifie « fils de », une vieille façon acadienne de différencier les gens qui avaient le même nom, comme « Comeau », « Deveau », etc.).