Pearl McCarthy, « L’ART ET LES ARTISTES », Globe and Mail, 15 mars 1937
Samedi, trois années de travail ont finalement été récompensées alors que s’ouvrait à la Mellors Gallery une exposition des œuvres du regretté Tom Thomson, une collection que cette galerie tenait absolument à rassembler. La galerie n’a que trois ou quatre petites œuvres à vendre, mais elle en offre davantage pour le bénéfice du public et elle mérite bien des éloges pour cette initiative. Les quatre-vingt-dix esquisses et toiles exposées offrent un panorama complet des œuvres de cet artiste, qu’elle a présenté comme une figure quasi légendaire. La plupart des œuvres ont été prêtées par des propriétaires privés. L’esquisse Automne, lac Smoke est une œuvre inédite. Il est absolument extraordinaire que, malgré toute la publicité qui a été faite sur le Groupe des Sept depuis les vingt dernières années, certaines œuvres de Thomson demeurent introuvables. Le superbe catalogue, avec ses clichés couleur et sa préface de la main du Dr J. W. MacCallum, contient une photographie inédite où l’on aperçoit le peintre en train de pêcher.
[...] L’hommage rendu à ces peintres pionniers devrait aussi honorer les rares hommes et femmes qui ont su les apprécier avant que leurs œuvres deviennent les classiques qu’ils sont aujourd’hui, en particulier le Dr MacCallum. Sir Edmund Walker était à l’avant-garde. Éric Brown a eu le courage de faire acheter leurs œuvres au profit de la Galerie nationale et il a souffert des conséquences de son bon jugement. Augustus Bridle a été l’un des rares auteurs du Canada à les avoir soutenus. J. W. Beatty a manifesté son enthousiasme. Mais il est plus que probable que, sans le Dr MacCallum, qui les a soutenus en leur apportant ses encouragements et le capital nécessaire, certaines toiles n’auraient peut-être jamais été créées pour être appréciées par certains et dénigrées par d’autres, avant que les générations suivantes ne se les approprient.
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Il faut admirer les peintures de Tom Thomson pour comprendre cet élément dangereux mais si vital à l’art : le nationalisme. Un homme ne peut parler de son pays et de son peuple tant qu’il ne les a pas vus, et les voir ne signifie pas simplement savoir où se trouvent les frontières, ni connaître les noms de quelques citoyens et l’emploi qu’ils occupent. Il doit trouver dans ce pays quelque chose à quoi associer les plus grandes envolées de sa propre personnalité. S’il tente de se faire nationaliste avant d’avoir accompli tout cela, il met la charrue devant les bœufs et il vivra une période creuse que seul l’ennui viendra meubler. Thomson a adoré ce qu’il a vu et a vécu une sorte de relation d’humilité hautaine avec la nature. Les gens stupides qui l’ont accusé d’avoir des tendances impressionnistes ou postimpressionnistes ne savaient pas que, pendant qu’ils lisaient des comptes rendus de seconde main où il était question de pratiques artistiques dans des pays éloignés, un dénommé Thomson, quand il n’était pas en train de peindre, se fabriquait des cuillers pour la pêche à l’aide de fil et de perles colorées, surveillant la température pour savoir s’il pourrait bientôt retourner se plonger dans le nord.
Observez la solidité des valeurs qu’il accorde aux couleurs dans ses esquisses, ses coups de pinceaux qu’il adapte pour qu’ils rendent l’aspect naturel des choses, le flair objectif qu’il a pour choisir ses sujets, la forme et les couleurs dans la composition à travers lesquelles on sent non pas une méthode mais un esprit palpitant. Vous découvrirez alors deux vérités : que la nature peut enseigner la pensée et la sensibilité plutôt que d’être seulement l’objet d’une reproduction ou un jouet pour la gymnastique intellectuelle des prétentieux; l’amour profond et la sympathie envers la nature inspirent tant la philosophie que la technique. […]