H. Mortimer-Lamb, « Entrevue par le Studio », International Studio, sept. 1919
MONTRÉAL. – La perte qu’a subie l’art canadien lors de la mort tragique de Tom Thomson à l’été 1917 est incommensurable. Durant sa brève mais brillante carrière en tant que peintre paysagiste, il a réalisé des centaines d’esquisses et achevé plusieurs toiles témoignant d’une individualité, d’un charme et d’une puissance extraordinaires, mais surtout remarquables parce qu’elles expriment une essence typiquement canadienne, qui jamais auparavant n’avait été exprimée avec autant d’intensité et de constance.
Fils d’un agriculteur, Thomson a passé sa jeunesse sur une ferme dans le centre de l’Ontario, mais il a quitté la maison à un âge relativement jeune pour se rendre dans l’ouest, où il s’est adonné à divers métiers. Durant ses pérégrinations, il a appris l’art de la conception graphique et du dessin pour la lithographie et la gravure, puis il est retourné à Toronto où il a obtenu un emploi dans une firme de graveurs. Thomson travaillait à l’époque avec de nombreux dessinateurs et créateurs, de talentueux jeunes hommes aux fortes tendances artistiques. Parmi ceux-ci se trouvaient J.E.H. MacDonald, Arthur Lismer, Fred H. Varley, Frank Johnston et Frank Carmichael, qui sont tous à présent des peintres de renom. Une majeure partie du groupe passait ses congés ensemble à réaliser des esquisses de paysages et ils perpétuaient ces bons moments de la semaine pendant les journées de travail monotone en faisant la critique et en discutant avec liberté et enthousiasme de leurs œuvres réalisées dans la nature.
À l’été 1912, Thomson faisait sa première excursion pour réaliser des esquisses dans l’arrière-pays de l’Ontario. Il s’est mis à aimer cet endroit profondément et en a dès lors interprété la beauté austère de façon inégalée. Par la suite, il ne fréquentait plus l’atelier en ville, sauf lors de courtes périodes chaque hiver alors qu’il travaillait comme dessinateur afin de gagner assez d’argent pour se procurer le strict minimum qui lui permettrait de traverser ces neuf ou dix mois de bonheur au cours desquels il vivait pleinement les joies de l’existence. Les esquisses qu’il a faites durant les deux ou trois années suivantes sont particulièrement intéressantes vu le développement rapide et remarquable de ses talents d’expression. Ceux-ci ne laissaient pourtant pas présager ce génie latent qui allait bientôt éclater d’une façon aussi soudaine qu’une génération spontanée. * * *
Thomson avait atteint l’âge de trente-sept ans lorsqu’il a décidé de se mettre sérieusement à la peinture à l’huile. Il est mort à l’âge de quarante-deux ans et ce n’est que durant les trois dernières années de sa vie qu’il a pu donner libre cours à son génie indéniable. Il faut dire que certaines toiles peintes durant cette période ne représentent pas seulement un point culminant dans l’histoire de la peinture de paysage au Canada, mais seraient encensées n’importe où. *
Il n’a reçu aucune formation artistique au sens propre; mais aucune formation traditionnelle dispensée dans les écoles ne lui aurait été aussi utile que la préparation qu’il a reçue au fil des évènements. Durant son apprentissage en tant « qu’artiste commercial » ou concepteur, il était constamment confronté à la résolution de problèmes de style, de proportion, de ligne, de couleur, d’équilibre des masses; il excellait en dessin et sa calligraphie était un délice pour les yeux. Muni de ce bagage, il se rendait dans la nature et communiait avec elle qui déployait pour lui ses multiples facettes. C’était le plus assidu des amoureux et avec cette intimité croissante est venue la connaissance profonde. Aucun trappeur ni pêcheur ni homme des bois du nord ne le surpassait dans la connaissance des phénomènes naturels. En outre, s’ajoutaient à tout cela la vision, la compréhension et l’imagination dont seul l’artiste est capable. Pourtant, une motivation demeurait nécessaire pour l’encourager à redoubler ses efforts de créativité. Cette motivation est arrivée en 1914 par le biais du peintre A.Y. Jackson, à qui Thomson devait beaucoup pour son influence inspirante, à l’instar des autres membres du petit groupe choisi de peintres torontois qui se dédient à peindre les paysages canadiens d’une manière plus représentative. * * *
Jackson a passé l’été 1913 à peindre sur les îles de la baie Georgienne. Ses esquisses, lorsqu’elles ont été exposées à Toronto, ont suscité un vif intérêt chez les artistes à qui j’ai fait allusion et il a été invité sur-le-champ à se joindre au groupe dont il est réellement devenu une influence majeure. « Il n’y a eu, écrit-il, aucune tentative ou intention de fonder une école ou de se dissocier des autres formes d’art... De plus, nos idées n’avaient rien de révolutionnaire. Nous sentions que le Nord constituait un riche terreau de motifs paysagers, si nous abandonnions pour de bon toute tentative de faire de la peinture littérale et si nous traitions nos sujets avec la liberté du dessinateur d’ornement, exactement comme les Suédois l’ont fait, eux qui vivaient sur un territoire à la topographie et au climat très semblables aux nôtres... Nous avons tenté de mettre en valeur la couleur, la ligne et le style parfois même, si nécessaire, au détriment des qualités atmosphériques. Cela semblait être le seul moyen de faire bon usage de la richesse des motifs qu’offrait le pays. »
Durant cet hiver, Jackson et Thomson se sont rencontrés et ils se sont immédiatement liés d’amitié. Ils ont convenu de partager un atelier et plus tard, à l’été 1914, ils ont travaillé ensemble au parc Algonquin. Cette association a été d’une aide inestimable pour Thomson. Il aura indéniablement appris de Jackson à peindre avec une bien meilleure dextérité technique. Il a acquis cela avec une facilité étonnante et l’élève a presque immédiatement égalé le maître.
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La plupart des toiles majeures de Thomson dont on s’était jusqu'alors départi, ont par bonheur, été acquises par Ottawa pour être intégrées à la collection nationale, grâce à la vision et au discernement des commissaires. La plus imposante collection privée est celle du Dr James MacCallum, de l’Université de Toronto, qui partageait avec l’artiste une forte et chaleureuse amitié.