Barker Fairley, « Toiles canadiennes ayant la guerre pour thème », Canadian Magazine, nov. 1919
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Pourquoi?, Fred Varley, 1918, Canadian War Museum, 19710261-0770, La toile de Varley dépeint un champ boueux et accidenté sous un ciel lourd. On retrouve à l’avant-plan un chariot rempli de soldats morts partiellement recouverts d’une bâche ou d’une couverture. À côté, trois soldats qui creusent des tombes et plusieurs tombes déjà remplies ornées de croix. Varley a déclaré « Nous serions mieux d’oublier [la guerre], mais nous ne le pourrons jamais. Nous serons à jamais viciés de son échec et de sa cruauté ». Notez les barres chromatiques qui ont été placées sous la toile lorsqu’elle a été photographiée. Elles permettent aux imprimeurs de reproduire avec exactitude les couleurs de la toile
La plupart des toiles canadiennes réalisées sur le thème de la guerre ont été préparées, réunies et sont maintenant exposées. Elles ont été admirées à Londres et à New York et elles sont à présent au Canada où elles se retrouveront, comme il se doit, au sein d’une collection permanente. […]
Il est intéressant de souligner que du point de vue du style, la collection appartient indéniablement à la deuxième décennie du vingtième siècle. [...]
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Au tout début de la guerre, un ou deux fins observateurs ont remarqué que les expériences époustouflantes réalisées au cours des toutes dernières années, le cubisme, le vorticisme et j’en passe, avaient semblé bien extravagantes, voire inexplicables pour le commun des mortels qui en était resté pantois. Cependant, ces expériences étaient au moins partiellement justifiées par le vécu des hommes, tant par ce qu’ils voyaient que par ce qu’ils ressentaient. Il s’agit là d’un autre exemple de la relation, fortuite ou non, qui existe si souvent entre des éléments semblant n’avoir pourtant aucun lien dans une période donnée de la civilisation. Cette relation dérange les bons esprits pluralistes, mais elle doit être reconnue et, si possible, expliquée.
En réalité, depuis le début du vingtième siècle, on a assisté à un développement exceptionnellement rapide de la peinture expérimentale, dont la caractéristique dominante était un souci de la forme abstraite. Il est fort plausible d’expliquer ce mouvement comme étant une réaction naturelle aux traditions réalistes du dix-neuvième siècle, un simple retour du pendule, qui pourrait se corriger avec le temps et s’avérer probablement sain comme moyen de réagir à la tradition abrutissante de la « toile narrative ». Cette explication aurait été qualifiée d’exhaustive par la grande majorité des principaux intéressés, il y a entre cinq et neuf ans de cela. Mais on a remarqué que de ces expériences se dégageait une qualité entièrement différente du style formel de l’art traditionnel. Elles étaient moins abstraites dans une certaine mesure, moins exclusivement intellectuelles; l’état d’esprit qu’elles exprimaient était moins serein, moins explicite; il était suffisamment atténué et confus pour qu’on le considère comme une émotion. C’était
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la différence de genre entre Bach et Chopin.
Puis la guerre a commencé et l’expérience est venue valider en partie l’abstraction en trois parties que pratiquaient les modernistes, tantôt chaotique, tantôt géométrique. Y avait-il une cause commune derrière le cubisme et le prussianisme, derrière les visions morbides d’un artiste tapi dans son grenier et la partie d’échecs que jouait le manœuvrier militaire sur son cheval? On refuse de voir une association des élans artistiques et créatifs avec les forces de la mort et de la destruction. Et pourtant, il y en a une. Il peut être difficile de la retracer et il se pourrait que l’on ne puisse jamais y arriver dans ce cas-ci. Cela suffit pour se remémorer la relation apparemment organique entre les extravagances esthétiques et les formes et l’expérience de la guerre en considérant la signification et la portée des toiles de guerre les plus avant-gardistes. Ce n’est pas seulement une question d’aimer ou de ne pas aimer; il y a dans ces toiles une tendance qui semble s’être étendue, bien que discrètement, jusqu’à l’ensemble de nos esprits. […]