Rapport de la Commission royale d’enquête sur la réserve forestière et le parc national (Ontario), 8 mars 1983

IMPRIMÉ PAR ORDRE DE L’ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

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[...] La première réunion des commissaires a eu lieu le vendredi 4e jour de novembre 1892, pour discuter et décider des méthodes à employer lors de l’exercice de leurs fonctions. M. Kirkwood a été élu président. Une autre réunion a eu lieu le vendredi le 3e jour de janvier 1893, lors de laquelle ce rapport a été examiné et adopté. […]

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Emplacement proposé pour le parc

Le territoire qui, de l’avis des commissaires, convient aux objectifs d’une réserve forestière et d’un parc national est une bande de terre dense située dans le district de Nipissing, au sud de la rivière Mattawa et s’étendant entre la rivière des Outaouais et la baie Georgienne, tel que représenté sur la carte qui accompagne ce rapport. Elle a pratiquement la forme d’un parallélogramme, étant constituée de quatre portions de quatre cantons chacune, en plus de deux cantons dans le coin nord-ouest, la partie la plus large allant du nord au sud. Les cantons compris dans cette bande de terre sont les suivants :- Peek, Hunter, Devine, Biggar, Wilkes, Canisbay, McLaughlin, Bishop, Osler, Pentland, Sproule, Bower, Freswick, Lister, Preston, Dickson, Anglin et Deacon, soit dix-huit en tout. L’ensemble de ces cantons ont été arpentés et subdivisés en concessions et en lots sauf Sproule et Preston. Leur superficie totale est de 983 186 acres, dont 831 793 acres de terre et 106 393 acres d’eau, ou 1 300 milles carrés de terre et 155 milles carrés d’eau.

[...]

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[...] La longueur moyenne du nord au sud de la réserve est d’environ 40 milles et sa largeur de l’est à l’ouest, de 36 milles.

Deux-Rivières sur l’Outaouais, à quelque douze milles de distance de la limite nord, est l’agglomération d’importance la plus proche, puisque la population des cantons situés entre la frontière est et la rivière Outaouais, que traverse le Chemin de fer Canadien Pacifique, est très dispersée. Autrement, sur des distances considérables de chaque côté du parc, au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, il n’y a pratiquement aucune agglomération, bien que quelques pionniers téméraires aient prolongé les routes Hastings et Opeongo, dont les extrémités nord approchent les confins sud de la réserve proposée.

Les ressources forestières du parc.

Cette concession est constituée en partie de la grande forêt qui couvrait jadis l’ensemble de l’Ontario et qui, dans cette partie de la province, consistait en une variété d’arbres, dont le pin blanc et rouge, la pruche, le mélèze, le sapin baumier, le cèdre, le bouleau, l’érable, le hêtre, l’ostryer de Virginie, le frêne et le tilleul d’Amérique. Les incendies de forêt et l’exploitation forestière ont grandement réduit les peuplements de pin, mais de larges étendues sont encore bien garnies de ce précieux bois d’œuvre, et nous pouvons nous attendre à ce qu’il soit possible d’en vendre de grandes quantités pendant de nombreuses années. […]

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Une bande de terre adéquate.

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[...] Elle renferme à l’intérieur de ses limites une grande portion de la ligne de partage des eaux qui sépare les cours d’eau se déversant dans la rivière Outaouais de ceux qui se jettent dans la baie Georgienne et la préservation de la forêt sur cette étendue de terre surélevée est essentielle pour maintenir le plein débit de ces importants cours d’eau. Dans l’intérêt du bûcheron, qui fait flotter chaque année des quantités de bois sur ces eaux pour en faire commerce, du fabricant dont les roues du moulin sont propulsées par ces eaux, et du fermier pour qui un approvisionnement continu grâce à une source, un puits ou un ruisseau est une nécessité absolue, tous exigent qu’une clause prévoie que les collines et les hautes terres de ce plateau demeurent couvertes d’une forêt dense et en pleine croissance.

[…]

Droits des détenteurs de permis de coupe.

Il est vrai que l’ensemble du territoire à l’intérieur des limites proposées pour la réserve est couvert par des permis de coupe de bois. Les droits des détenteurs de tels permis doivent bien entendu être entièrement respectés et le plan proposé ne comprend rien qui, de l’avis des commissaires, empiéterait sur ces droits. Une partie du territoire en question avait été incluse dans le permis de vente de bois de 1892, qui n’accordait que le droit de couper le pin et bien que dans les autres portions du district on n’interdisse pas aux détenteurs de permis de couper d’autres essences de bois, la principale sinon la seule essence recherchée par les bûcherons est le pin, qui est le seul bois poussant à l’intérieur du parc qui possède une grande valeur commerciale et que l’on peut faire flotter de la façon habituelle pour l’amener au point de vente. Bien que la valeur économique de ces forêts repose presque entièrement sur le pin, les autres essences d’arbres y sont si nombreuses et croissent si vigoureusement que même

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si le pin disparaissait complètement, l’utilité des forêts, en raison de leur effet sur le climat, de leur capacité de rétention d’eau et de leurs autres caractéristiques, ne serait probablement pas affectée.

[...]

L’interdiction de s’établir sera également bien perçue du point de vue des bûcherons, puisqu’ils considèrent généralement la présence de squatters et autres dans un district où l’on trouve du pin, comme une source assurée de problèmes et de dangers.

En guise d’exemples de comportements que devraient adopter les détenteurs de permis, les commissaires pourraient préciser qu’ils ont reçu une lettre de MM. les frères McLachlin, bûcherons, d’Arnprior, qui sont propriétaires de grandes superficies boisées dans les environs de la réserve proposée et qui ont demandé à ce que les frontières du parc soient déterminées de façon à ce qu’elles englobent un certain nombre de cantons sur lesquels ils détiennent un droit de coupe. […]

Aucun droit acquis susceptible de nuire.

Le bien-fondé de la politique par laquelle la Couronne, bien qu’elle vende les ressources forestières, demeure propriétaire du sol sur lequel elles poussent, devient absolument évident lorsque vient le temps d’aborder la question qui nous intéresse. Les terres appartiennent exclusivement à la Couronne et, par conséquent, il n’existe pas de droits acquis ou privés à acheter ou à négocier.

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D’après les commissaires, des circonstances plus avantageuses sous lesquelles prendre des mesures comme celles qui sont envisagées ne peuvent exister. Les terres sont entièrement publiques; aucun colon n’y est installé, à l’exception d’un ou deux squatters; aucun droit, que ce soit pour la pêche, la chasse ou quelque autre activité du genre, n’a été accordé; en fait, à l’exception de l’exploitation forestière qui a soustrait une grande quantité de pins et des incendies qui en ont balayé d’immenses sections, sa condition de forêt primitive demeure intacte. Si l’on tarde encore à entreprendre des actions, des dommages irréparables risquent d’être causés par les feux de forêt, ou des colonies pourraient s’y implanter et obtenir un droit acquis qu’il serait ardu de gérer et coûteux de restreindre. […]

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Les objectifs que doit atteindre la réserve.

Lorsqu’ils ont établi les objectifs à atteindre grâce à la création de la réserve et du parc, les commissaires en ont énuméré six [...]

1. Préserver les ruisseaux, les lacs et les cours d’eau situés dans le parc et en particulier les cours supérieurs des rivières qui y ont leur source. […]

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Préservation de la forêt primitive.

2. Maintenir le parc dans son état naturel autant que possible, en tenant compte des droits existants; et préserver les forêts indigènes qui s’y trouvent et les essences d’arbres indigènes qui les composent dans la mesure du possible. […]

Protection des oiseaux et des animaux.

3. Protéger les oiseaux piscivores, insectivores et autres, le gibier et les animaux à fourrure qui y vivent, et encourager leur croissance et l’expansion de leur population. […]

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Un lieu d’expérimentation en foresterie.

4. Servir de lieu où expérimenter et mettre en pratique la foresterie systématique à une échelle limitée. […]

Un endroit de cure climatique.

5. Servir de sanatorium ou de station de cure climatique.

On a souvent recommandé aux habitants de l’Ontario qui voulaient se refaire une santé ou se récréer de passer une saison dans leur propre pays plutôt que de se rendre dans des stations estivales de divers pays, afin de constater que l’air du nord de l’Ontario est plus pur et plus tonifiant que n’importe où en Europe ou aux États-Unis.

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Cette grande réserve, avec ses collines et ses vallées, ses lacs et ses rivières, ses vastes surfaces de sol plan et vallonné, ses bosquets de sapins baumiers et de cèdres, ses forêts de pins et de feuillus, sera éminemment capable, une fois que certaines améliorations abordables seront mises en place, d’offrir au citoyen, las des maisons empilées les unes sur les autres et des rues bondées, la possibilité de passer l’été entouré de tous les plaisirs qu’un paysage diversifié peut offrir, au milieu d’un district presque inhabité par l’homme.

L’idée selon laquelle les forêts de pins contribuent réellement à la guérison des maladies pulmonaires semble bien fondée. Les premiers Romains envoyaient des patients atteints d’ulcères aux poumons en Libye, où, en respirant les émanations balsamiques de pin dont le pays abondait, ils vivaient disait-on de nombreuses années libérés de leur souffrance. Dans la forêt des Adirondack dans l’État de New York, une maison de santé a été construite avec pour objectif spécifique de soulager des patients souffrant d’un début de consomption. Ce sanatorium offrait à ces gens les bénéfices d’une cure climatique, d’une vie en plein air, des habitudes d’hygiène et un traitement médical approprié, et ses rapports démontrent que vingt-cinq pour cent des patients ont guéri; alors que vingt-cinq ou trente pour cent de plus ont suffisamment recouvré la santé pour reprendre leur travail ou pour subvenir à leurs propres besoins en vivant dans un climat approprié. Il est pratiquement certain qu’un séjour dans les pinèdes des hautes terres de Nipissing, avec son air pur, sa bonne eau et ses brises aromatiques, serait bénéfique pour plusieurs personnes souffrant d’une faiblesse pulmonaire. […]

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6. Assurer les bénéfices que la conservation d’une grande portion de forêt pourrait conférer au climat et aux cours d’eau dans la portion environnante de la province.

On a déjà constaté le résultat néfaste de la réduction du volume d’eau dans les rivières et les ruisseaux qui sillonnent les districts. La façon dont les forêts préservent ces cours d’eau est expliquée dans tous les travaux scientifiques sur la foresterie comme suit : Le lit de la forêt, étant d’une consistance épaisse et spongieuse et se composant en partie d’humus, en partie de bûches et de branches en décomposition, retient pour un certain temps de vastes quantités de pluie ou de neige fondue, qui s’écoulent graduellement jusqu’aux rus et ruisseaux qui courent à travers la forêt ou à proximité de celle-ci. S’il n’y avait pas de forêts près des cours d’eau, la pluie et la neige fondue s’écouleraient rapidement, de sorte qu’il n’y aurait que peu ou pas d’eau dans les ruisseaux pendant les autres saisons.

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Entretien, protection et coûts afférents.

[…] En ce qui concerne l’entretien et la protection du parc et les coûts qui y sont rattachés, les commissaires sont d’avis que, dans le but de préserver les ressources forestières, de contrer le braconnage, de protéger le gibier et d’expulser les intrus, il serait nécessaire d’embaucher environ cinq gardes forestiers, dont l’un serait le superviseur ou le garde en chef. Les autres gardes forestiers sous sa supervision pourraient probablement être payés $1,50 par jour; le garde forestier en chef devrait posséder une certaine connaissance et une expérience en foresterie et devrait recevoir un salaire plus élevé, soit environ $2,50 par jour.

[…]

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Les feuillus et les jeunes pins devraient être préservés.

Les commissaires recommandent au gouvernement de retirer les permis de coupe donnant le droit d’abattre tout le bois qui se trouve dans le parc, à l’exception du pin, et d’interdire la coupe des pins de moins de douze pouces de diamètre.

Autrefois, lorsque ce système était en opération, les bûcherons s’en trouvaient bien plus gagnants que perdants.

Lorsque les feuillus ont atteint leur maturité, ils devraient être abattus; les arbres plus jeunes devraient à ce moment être prêts à les remplacer. Ils peuvent alors être abattus par un bûcheron qui aura reçu la permission de le faire ou par quiconque; et c’est à perte que lui ou quiconque l’abattra avant ce moment. Bien entendu, cette permission ne sera accordée que si ces arbres ne sont plus requis pour les besoins du parc; mais après un certain temps, il devrait y en avoir tellement qu’on pourra en épargner plusieurs chaque année. […]

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Construction de résidences d’été.

Si la permission de construire des bâtiments était accordée, elle devrait être assortie d’une condition stipulant qu’une telle permission ne donne pas de privilège d’occupation au-delà d’une courte période déterminée. Cela aura pour effet d’empêcher la construction de bâtiments d’une nature plus solide que les structures ordinaires, moins résistantes et plus faciles à démolir, qui remplissent les fonctions de résidence temporaire.

Le nom du parc proposé.

Les commissaires suggèrent de nommer la réserve « Parc Algonquin », afin de perpétuer la mémoire de l’une des plus grandes nations indiennes à avoir vécu en Amérique du Nord.

Au moment de la découverte de l’Amérique, les Algonquins régnaient sur la plupart du territoire qui était autrefois appelé Canada, et habitaient principalement les grands bassins hydrologiques du fleuve Saint-Laurent et de la rivière Outaouais. Après leur défaite dans la vallée du Saint-Laurent aux mains des Iroquois, ils ont abandonné cette vallée pour rejoindre leurs semblables au nord et à l’ouest. [...]

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D’après les commissaires, il convient que le nom de ce peuple jadis imposant et puissant, qui a, à sa manière sauvage, dominé ce territoire il y a plusieurs siècles, soit légué à une partie de ce qu’il est maintenant proposé de conserver, autant que possible, dans l’état où il se trouvait alors que ce peuple pêchait dans ses eaux, chassait et livrait des batailles dans ses forêts. […]

ALEXANDER KIRKWOOD, président.
AUBREY WHITE.
ARCHIBALD BLUE.
JAMES DICKSON.
R. W. PHIPPS.

Source: York University Libraries, Scott Library, SD 568 O5 O565, Ontario Royal Commission on Forest Reservation and National Park, "Rapport de la Commission royale d’enquête sur la réserve forestière et le parc national," 1893, 9-40. Notes: Ce rapport a été soumis au gouvernement le 8 mars 1893

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