Blodwen Davies, « Chapitre 15 : dix-neuf cent dix-sept », Une étude sur Tom Thomson, 1935

[…]

« Je sais ce que je vais faire maintenant, a déclaré Thomson en pliant sa canne à pêche. Je vais aller au lac West ou au lac Gill et pêcher un gros poisson – il y en a beaucoup là-bas – et quand il fera noir ce soir, je vais le laisser sur le pas de sa porte avec une note. Je vais faire croire à Robinson que j’ai réussi à pêcher le vieux poisson d’ici. »

Il était très amusé à cette idée et impatient de partir afin de mettre sa plaisanterie à exécution. Thomson et Fraser sont repartis de l’extrémité du lac et sont arrivés à Mowatt Lodge entre midi et une heure.

Thomson a préparé son canot pour le voyage et y a rangé de la nourriture et des ustensiles pour un ou deux repas. Il n’avait pas de pain dans sa cabane alors il s’est arrimé au quai de Mowatt Lodge et Fraser est monté au magasin lui chercher une miche. Thomson l’a mise sous la proue.

Le matin était devenu gris. Un léger vent d’est soufflait et une petite bruine tombait. Thomson a joyeusement dit au revoir à ceux qui s’étaient massés sur le quai et était d’excellente humeur lorsqu’il est parti pour accomplir sa mission, celle de jouer un tour à un compagnon de pêche.

Mowatt Lodge se dressait sur les rives du lac Canoe. Non loin de là, séparée des terres par seulement un chenal étroit, se trouve la petite île Wapomeo, où Taylor Statten, à qui appartenait l’île, avait un cottage. Le cottage était vide lors des évènements. Le chenal entre l’île et les terres n’était pas praticable à cause du bois qui y flottait, alors Thomson a pagayé à l’est de la petite île Wap, jusqu’à ne plus être visible à partir de Mowatt Lodge et des cottages autour. Il a traversé le chenal qui sépare la petite île Wap de sa jumelle, la grosse île Wapomeo, apparemment dans l’intention de longer le rivage jusqu’à ce qu’il arrive au lieu de portage qui le mènerait à un des petits lacs où on pouvait pêcher de grosses truites.

* *

Qui a croisé Tom Thomson sur cette portion du lac gris, à l’abri de tous les regards, vers midi ce mois de juillet-là?

Qui lui a assené un coup à la tempe droite – et ce coup a-t-il été porté à l’aide du côté mince de la lame d’une rame? – faisant ainsi jaillir le sang de son oreille?

Qui l’a regardé s’effondrer et tomber hors du canot avant de sombrer lentement dans l’eau sans même se débattre?

* *

S’apercevant que Thomson ne rentrait pas ce soir-là, ses amis ne se sont pas alarmés. S’ils en ont parlé, ils ont dû conclure que la pêche n’avait pas été bonne et qu’il s’obstinait à continuer. Il avait de la nourriture et un tapis de sol avec lui.

[…] Que s’est-il passé? Le corps de Thomson a-t-il mis huit jours à refaire surface d’un lac peu profond en plein mois de juillet?

[…] Le matin du lundi 16 juillet, le temps était un peu plus ensoleillé et le Dr Howland a amené sa fillette pêcher à la traîne sur le lac. Il était environ neuf heures du matin lorsque l’enfant a senti quelque chose de lourd au bout de sa ligne.

- J’ai quelque chose au bout de ma ligne, a dit l’enfant.

- Laisse-moi voir, a répliqué son père avant de lui enlever la canne à pêche des mains.

Alors que Dr Howland remontait la lourde charge accrochée au bout de la ligne, il a vu émerger lentement des sombres profondeurs le visage d’un homme.

Je crois qu’on va le laisser partir, a-t-il dit calmement en laissant glisser la ligne hors du bateau.

Dès qu’ils ont été informés de la découverte, George Rowe et Larry Dixon ont pagayé jusqu’à l’endroit indiqué et ont repêché le corps. […]

Sept personnes ont témoigné sous serment de ce qu’elles savaient au sujet de cette affaire et on a conclu que la mort avait été causée par une « noyade accidentelle ».

Personne n’a remarqué que seul un corps vivant peut être contusionné ou peut saigner, ou que les poumons de Thomson étaient remplis d’air et non d’eau.

[…]