Joseph Adams, Dix mille milles à travers le Canada, 1912
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Mark Robinson (gauche) et Joseph Adams (droite), Inconnu, 1910, Algonquin Park Archives, APMA 199, Joseph Adams (droite) était un auteur britannique qui a décrit sa partie de pêche avec Mark Robinson (gauche) dans son livre « Ten Thousand Miles Through Canada » [« Dix mille milles à travers le Canada »], publé en 1912
[…] Par le temps où il atteint le parc Algonquin, situé à une distance de 200 milles de Toronto, le
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train a monté jusqu’à une altitude de plus de 1500 pieds au-dessus du niveau de la mer.
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Il faisait noir quand le train a entrepris la dernière montée qui menait à notre destination. Mais les sons étaient si forts qu’ils permettaient de sentir la proximité de la forêt. De temps à autre, on pouvait entendre distinctement le rugissement sourd d’une
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cataracte par-dessus le grondement des wagons. La forêt s’étend sur 1,800,000 acres, entrecoupées de plus de mille lacs et rivières. Cela donne une impression d’immensité absolument renversante. C’est le Canada à l’état primitif, intact. Au milieu du parc Algonquin, une ligne de cinquante milles s’étire dans toutes les directions sans se briser, à travers la forêt primitive et le lac, sauf là où le feu a créé une éclaircie, là où un sentier a été aménagé, ou encore là où une tornade a laissé une brèche. Tout est exactement comme il y a des milliers d’années; les poissons nagent dans ses eaux; le castor bouge sa tête sinistre dans sa démarche tranquille et le pic-bois fait retentir du haut des pins majestueux son étrange note vibrante. […]
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À un endroit en particulier, on pouvait voir la trace laissée par le temps dans la forêt primitive. Les étroits cours d’eau qui relient les lacs entre eux sont bordés d’arbres morts, offrant un contraste mélancolique avec la flore exubérante qui s’étend derrière eux. Comment cette touche mortelle, cette plaie a pu se poser sur la forêt, telle une haleine pestilentielle qui aurait soufflé sur ce réseau fluvial? La réponse se trouve dans le commerce trop vorace de l’industrie forestière. De grands barrages ont été construits sur les rivières qui parcourent le parc Algonquin. Ils ont pour but de contenir le cours d’eau jusqu’à ce que vienne le temps de faire flotter d’énormes trains de bois. Cette eau retenue inonde l’orée de la forêt; les arbres sont littéralement noyés et le bosquet est dépouillé de tout son feuillage. Ce n’est là qu’un des effets de l’exploitation forestière; il y en a un autre que le voyageur ne peut apercevoir que lorsqu’il traverse les montagnes Rocheuses ou explore le parc de Vancouver. Là, les magnifiques
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pins Douglas s’élèvent à une hauteur vertigineuse jusque dans le bleu des cieux, quelques-uns des plus beaux spécimens d’arbres de l’arboretum mondial. Il en a déjà poussé dans le parc Algonquin, tout comme dans la vallée des Selkirks et sur le sol fertile des rivages du Pacifique. Mais la hache du bûcheron commerçant a sonné la dernière heure de ces géants, et le parc de l’Ontario est maintenant privé de ces arbres. […]
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Pour savourer les véritables délices du parc Algonquin, on recommande de planifier une excursion de camping. J’ai saisi la première chance qui se présentait à moi d’en organiser une. J’ai été chanceux de m’assurer les services d’un guide, un des gardes forestiers officiels, un homme remarquable, qui connaît très bien la forêt. Nous avions tout l’équipement nécessaire et d’abondantes provisions pour un séjour d’une semaine. On pouvait pêcher en chemin, mais les viandes en conserve devaient remplacer le gibier et la venaison, puisque la chasse était interdite. Le canot était fait d’écorce de bouleau; construit de façon orthodoxe par un Indien ojibwa, il témoignait du travail soigné d’un homme très habile. Son seul défaut était son poids, que le guide estimait à 100 lb, mais la facilité avec laquelle il le plaçait sur sa tête tout en transportant un lourd sac retenu à son front par des sangles montrait qu’il pouvait transporter sans difficulté des choses très lourdes.
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Les ombres du soir descendaient sur le lac Canoe alors que nous quittions la rivière. La journée avait été chaude et un orage se préparait. Mark, appréhendant l’inconfort, maniait la rame avec une énergie renouvelée, faisant filer le canot rapidement sur l’eau. Sur la rive ouest, les pins sombres projetaient des ombres fantastiques et les îlets au centre du lac se reflétaient en formes inversées sur l’eau claire et profonde. La cabane qui nous attendait sur la rive
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du lac était équipée de tout le nécessaire de camping. Il y avait une pile de bois, prêt à être utilisé, qui avait été coupé par l’occupant précédent de l’abri, une règle que les gardes forestiers appliquent strictement. Quand un homme, trempé jusqu’aux os et las d’avoir marché longtemps à travers la forêt, peut-être avec un chevreuil sur les épaules, accoste son canot sur la rive déserte, alors, grâce à ces bûches prêtes à être utilisées, il peut au moins sentir dans l’éclat joyeux des bûches qui brûlent la présence et la prévoyance d’un humain.
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Le matin s’est levé maussade, le ciel n’était plus bleu et des averses tombaient à intervalles. Nous sommes partis vêtus d’imperméables pour une randonnée de vingt milles sur le lac Canoe, puis au sud du lac Tea et jusqu’à Muskoka, j’ai pêché à la traîne avec des menés et des appâts naturels, mais je n’ai pas réussi à attraper de truite.
La pêche est bonne au lac Canoe en début de saison. Un pêcheur à la ligne y a pêché une truite de 14 lb un mois avant mon arrivée. Ces gros poissons se nourrissent quand bon leur semble. Ils restent cachés pendant plusieurs jours après s’être gavés. C’est lorsqu’ils se remettent à rôder que le leurre du pêcheur s’avère alors fatal. Les bûcherons circulent principalement par le lac Canoe et le lac Tea, ce qui dérange grandement les poissons. [...]
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[...] D’une année à l’autre, les touristes américains prennent de plus en plus le Canada pour un terrain de jeu et les rivières et les lacs les plus accessibles se vident rapidement de leurs ressources. […]