Le purgatoire terrestre
Alden prit parole le premier : « Vous êtes conscient, M. Durgan, que M. Claxon et sa seconde épouse furent soudainement assassinés, qu’un large éventail de preuves circonstancielles démontre qu’Hermione se trouvait alors seule à la maison avec eux, qu’elle s’était arrangée pour y être seule avec eux, et en fait, je dois le dire, que des preuves circonstancielles complètes indiquent que ce fut elle qui commit ce crime haineux. Il y avait même un motif, s’il advenait que ceux de colère et d’avarice ne soient pas considérés comme suffisants. À tout cela ne s’opposait, dirais-je, que sa personnalité, car elle était si réservée et modeste que rares étaient ceux qui connaissaient réellement son caractère. » […]
[…] [Alden] « Rappelez-vous que le double crime et la disparition de ce garçon eurent lieu en plein jour dans un élégant quartier, à l’intérieur d’un foyer réputé pour sa décence, sa distinction et sa culture. » […]
[…] « Mais, euh… mais je lis constamment dans les journaux ces histoires de gens qui s’enlèvent la vie, ou qui en assassinent d’autres avant de se tuer elles-mêmes. Le verdict rendu est toujours celui de "démence passagère". Je supposais qu’il s’agissait ici d’une telle chose. »
« Ce verdict est souvent utilisé pour masquer l’ignorance, mais il présuppose que ces personnes, eussent-elles survécu, auraient présenté des symptômes de maladie mentale. » […]
[…]Alden bondit d’un coup, son dos raidi par l’indignation. « Sir! Cette éventualité, à tout le moins, en est une qui est entièrement impossible. Savez-vous qu’avant la mort de son père, Hermione Claxton avait consenti à m’épouser? Nous étions sur le point de faire connaître nos fiançailles publiquement. J’avais prié M. Claxton de m’accorder un entretien. Il était un hypocondriaque déclaré; il était donc difficile de le rencontrer. J’attendais qu’il me fasse cet honneur, quand la tragédie… Ah! Il est impossible de dire à quel point cette tragédie a saccagé nos vies, puisque dans une démonstration inégalée de volonté de l’esprit et de sensibilité à l’honneur, Miss Claxton refusa sur-le-champ, et refuse tout aussi fermement depuis, d’unir son destin au mien. » […]
[…] [Hermione] « Je dois vous raconter depuis le début – c’est la seule façon. Le matin où ce crime fut commis dans notre demeure, un garçon transportant une lettre de M. Beardsley était venu. Cela avait rendu mon père furieux. Il m’avait avertie de l’arrivée imminente de Beardsley, qui, suivant de près son messager, était apparemment chargé d’une mission impertinente. Il me dit que Beardsley était déterminé à dicter les termes de son amitié avec Mme Durgan, qu’il venait à peine de rencontrer.
« Il y avait quelque chose que les bonnes devaient accomplir cet après-midi-là et je les y avais donc envoyées de bonne heure, car je ne pouvais supporter que quiconque voie mon père emporté par une telle colère. Ma pauvre belle-mère n’était pas sortie du lit. Quand Beardsley arriva, il monta à l’étage et pénétra dans le petit salon de mon père. La porte était close, mais d’après ce que mon père m’en a raconté par la suite, j’ai une assez bonne idée de ce qui s’est produit. »
« Et ensuite, répéta Alden, et ensuite! Hermione? »
« Cher Herbert, ne soyez pas fâché, écoutez-moi seulement et vous comprendrez comment une chose en apparence impossible a pu si facilement se produire. Ce M. Beardsley s’était convaincu que mon pauvre père et Mme Durgan étaient tombés amoureux lors de ses réunions. C’était un homme simplet et stupide et il estimait qu’il était de son devoir d’en appeler à mon père et de prévenir ma belle-mère. Je crois qu’étant donné la grande colère qu’il éprouvait, mon père estima qu’il valait mieux répondre à ses exhortations en feignant l’enjouement. C’était sa méthode, vous savez. Il avait des manières bienveillantes et fantaisistes, il n’était pas comme les autres. Lorsqu’il réalisa qu’il n’arriverait pas à convaincre son visiteur qu’il délirait, ni à le dissuader de poursuivre son objectif, il attrapa le petit pistolet ancien qui était fixé au mur comme ornement – le pistolet qui a été retrouvé. Il va sans dire qu’il ne savait pas qu’il était chargé : j’ignorais moi-même qu’il l’était et c’était moi qui, parce que je n’admettais la présence d’aucun domestique dans la pièce, époussetais ses affaires tous les jours. Simulant le désespoir, il tenta d’arrêter Beardsley en le menaçant de se tirer dessus. Pauvre maman, alertée par les éclats de voix, se précipita dans la chambre.
« Jusqu’à cet instant, je suis certaine que papa n’était pas sérieux et qu’il était simplement excédé par la sottise du visiteur, mais le coup partit et pauvre maman fut tuée. Oh! Pouvez-vous seulement imaginer l’immense chagrin de mon père et sa colère envers celui qui selon lui l’avait poussé à poser ce geste? Mais la situation n’en resta pas là. Mon père me dit que Beardsley l’accusait d’avoir commis ce meurtre de manière délibérée et d’avoir simulé un accident. Alors, voyez-vous, il était l’unique témoin et aurait été en mesure de ruiner la réputation de mon père. Oh, je crois qu’il s’agissait autant de crainte que de colère, mais je demeure persuadée que mon père était transporté de fureur. Vous savez ce qui s’est produit ensuite. La hache de guerre indienne qui était accrochée à côté du pistolet… et aussitôt que Beardsley se fut effondré, je suis certaine que mon père perdit tout contrôle de lui-même et toute conscience de ses gestes. » […]