Lettre du chef de police C. Constantine au commissaire L. Herchmer
[Le chef de police Charles Constantine, commandant le premier détachement de la Police à cheval dépêché au Yukon, écrit depuis Fortymile au commissaire L. Herchmer pour lui décrire la situation qu’il vit au Yukon, le 5 janvier 1896].
M. le commissaire,
Je vous ai écrit en oct. dernier. J’ignore si vous avez reçu cette lettre. J’avais inclus mon rapport dans cet envoi, alors je ne m’attarderai pas aux questions qui concernent la construction [d’un poste de police] dans la présente, sauf d’une manière générale. Dans l’ensemble, nous sommes très à l’aise. Notre principale difficulté et activité est de nous procurer du combustible. Nous brûlons environ 2 cordes de bois par jour lorsqu’il fait très froid, bois qui doit être abattu puis traîné par les hommes sur une distance de 1/3 de mille. Le bois est presque complètement vert. J’ai été obligé d’acheter du bois sec, pour en avoir en réserve, au coût de 8 $ de la corde, livrée au pied du talus en face de la barrière de la caserne. De là, les hommes tirent le bois et le coupent avant de la distribuer aux bureaux, etc. Le [illisible] poêle « Hazlewood » fonctionne plutôt bien. Il chauffe une pièce de 60 x 22 [pieds] et les hommes ne se plaignent pas du tout d’avoir froid. Ces 10 derniers jours, le thermomètre a indiqué des températures de 45 à 65 degrés [F.] sous zéro et Dieu seul sait à combien le mercure descendra cette nuit, puisqu’il semble faire plus froid que toutes les nuits précédentes.
Ogilvie [arpenteur, plus tard commissaire du Yukon] a passé la période de Noël avec nous et s’est amusé en installant dans la cour un cadran solaire qui nous sera d’une grande utilité lorsque le soleil paraîtra, car jusqu’ici nous devions deviner l’heure. […] Je tiens beaucoup à ce que vous-même ou M. White [contrôleur de la police] veniez l’été prochain. Si ni vous ni lui ne venez sur les lieux, vous ne pourrez comprendre la nature de ce pays, les difficultés du voyage et ce que nous devons affronter, vous serez également en mesure de juger par vous-mêmes de vos besoins et nécessités. […] Depuis que je vous ai écrit, le sergt. Brown a pris son congé […]. Brown a démissionné de son propre chef. Il s’est très mal comporté et si j’avais appris certaines choses avant, il n’aurait pas quitté les forces avec le titre de sergent d’état-major. Je vous envoie des déclarations faites sur une base volontaire et soulevées par sa conduite officielle et civile depuis sa démission […].
Voici les faits : la station météorologique américaine de San Francisco a fait parvenir des instruments météorologiques à des fins scientifiques à M. Harper, un respectable commerçant de Fort Selkirk, à 240 milles en amont. Ces instruments étaient accompagnés de deux lettres officielles, l’une de la main du chef de police ou d’une autre autorité, l’autre de la part du vice-consul britannique qui nous écrivait de là-bas que ces instruments avaient été envoyés à des fins scientifiques et qu’ils étaient prêtés dans ce but précis […]. Les lettres officielles m’étaient adressées en tant qu’agent des douanes de la région. Je les ai remises à Brown, qui avait reçu une commission en tant qu’agent des douanes [la police remplissait ces fonctions], pour qu’il les classe dans mon bureau. Il a saisi les instruments et a refusé de les remettre même si les parties avaient donné 100 $ pour servir de garantie ou payer pour les frais de douanes le cas échéant. Il a refusé de faire quoi que soit et les a maintenant en sa possession […]. Je lui ai dit que sa conduite était sévère, tyrannique et injustifiée. Il a fait tout cela par vengeance personnelle. Je pourrais vous dire bien d’autres choses encore mais je ne prendrai pas de votre temps ni du mien à cet effet. Ogilvie craint que cela nous nuise dans le règlement du différend concernant la frontière [de l’Alaska], puisque les Américains sont très pointilleux quant aux questions de cette nature. Les autorités de Washington ont été extrêmement aimables à son endroit, lui fournissant tous les moyens pour qu’il traverse leur territoire avec ses hommes, marchandises et instruments […].
L’évêque Bompas est un élément gênant. Il n’a que faire des gens qui ne sont pas des Indiens. Il a le plus grand dégoût pour les Blancs en général et pour moi-même en particulier parce que je refuse de donner l’ordre au docteur de soigner les Indiens, en fait de s’y rendre deux fois par semaine pour s’assurer qu’ils vont bien. Les Indiens qui vivent ici sont pour la plupart américains, tous paresseux et apathiques, vivant aux dépens des mineurs grâce à la prostitution de leurs squaws. Ils pourraient vivre confortablement s’ils travaillaient, ce qu’ils ne font pas, préférant prendre tout ce qu’ils peuvent obtenir tant qu’ils ne meurent pas de faim. Durant la saison de la chasse et de la pêche, ils pourraient se procurer suffisamment de gibier et de poisson pour se nourrir convenablement durant tout l’hiver, mais non, ils festoient et s’empiffrent jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à manger. Aucun crime n’a été commis ici, ma décision de faire descendre la rivière à deux ou trois durs l’automne dernier a servi d’avertissement à plusieurs de la même espèce, qui sont partis de leur propre chef et les quelques autres qui sont restés se sont bien conduits […].
J’ai eu bien des soucis et des inquiétudes depuis mon arrivée ici, inquiétude face à l’hiver et au confort de tout le détachement, manque de confiance en certains membres qui, faute d’alléger le fardeau, auraient pu ne pas l’alourdir—j’espère que vous m’appuyez dans les actions que j’ai entreprises ou que je devrai peut-être entreprendre.