«Le secret de Jérôme», le premier film de fiction de l'Acadien Phil Comeau
par NORMAND PROVENCHER
LE SOLEIL
QUÉBEC — Les légendes sont une façon pour les peuples de rester immortels. A partir de l'histoire mystérieuse d'un homme amputé des deux jambes, presque muet, retrouvé en 1863 sur une plage de la baie Sainte-Marie, le jeune réalisateur acadien Phil Comeau a brodé une oeuvre empreinte de chaleur et de simplicité, à l'image des gens de ce coin de pays trop souvent délaissé par le reste de la francophonie.
Mais Phil Comeau, 38 ans, né dans la même région où Jérôme a passé sa vie, ne se voit pas nécessairement comme le porte-étendard de la cause acadienne. Il refuse qu'on le cantonne dans un cinéma folklorique, lui qui possède une expérience considérable dans le court métrage et le documentaire, en plus d'avoir travaillé auprès des Claude Miller, Claude Sautet, Alain Corneau et Jean Beaudin. Le secret de Jérôme est son premier long métrage de fiction. Il est présenté au Cinéplex Charest à compter d'aujourd'hui.
« Ce que je veux, c'est raconter des histoires, amener les gens à découvrir d'autres mondes. Je trouvais inacceptable qu'il n'y ait jamais eu de coproductions entre l'Acadie et le Québec. Nous étions en retard sur le reste de la francophonie », expliquait-il hier soir au SOLEIL, à l'occasion de la première de son film à Québec.
Le secret de Jérôme est l'aboutissement de dix ans de travail pour Phil Comeau. Sa collaboration avec le dramaturge Jean Barbeau lui a fourni le coup de pouce nécessaire pour recréer à l'écran la légende, mais également, en avant-scène, l'histoire de ce couple qui recueillera Jérôme. Incapable d'avoir un enfant, Julitte (Myriam Cyr) prendra sous son aile l'étranger (Denis Lapalme), malgré le désaccord de son mari, Jean Nicholas, dit le Corse (Germain Houde), et les railleries des villageois. Leur histoire va droit au coeur.
Jusqu'à sa mort, en avril 1912, Jérôme ne prononcera que trois mots : son prénom (inventé par Julitte), Colombo (le navire qui l'a amené sur les rives de l'Acadie ?) et Trieste (la ville italienne d'où il est venu ?). Ces trois petits mots, son physique slave, son attitude renfermée et son infirmité ont donné naissance à mille et une hypothèses quant à ses origines. Jérôme a amené ce secret avec lui dans sa tombe, ce qui n'a pas empêché Phil Comeau de lever le voile sur une partie du mystère, dans un épilogue qui risque d'en emberlificoter plus d'un.
Les comédiens
En voyant en entrevue celui qui devait interpréter Jérôme à l'écran, Phil Comeau a tout de suite su qu'il tenait son homme. Denis Lapalme, un membre de l'équipe canadienne de basketball en fauteuil roulant, possède un potentiel artistique énorme, de l'avis du cinéaste et des membres de l'équipe de tournage. Non seulement ressemble-t-il à l'acteur américain William Hurt, mais il possède également cette innocence et cette pureté de jeu que ce dernier montrait à ses débuts.
De son côté, Myriam Cyr n'a pas hésité une seconde à accepter l'invitation pour interpréter l'impétueuse Julitte, heureux mélange de La Corriveau, de Maria Chapdelaine et d'Émilie Bordeleau. D'abord, parce qu'il s'agissait d'une occasion en or de renouer avec la langue de son enfance, et puis, parce que des rôles féminins aussi forts sont très rares au cinéma. « Les femmes sont habituées d'être des faire-valoir. Ici, Julitte est le pivot du film. Pour moi, c'est plus important que tout ce que j'ai fait auparavant », explique-t-elle.
De cette jeune interprète, les Québécois en savent très peu. En fait, ils connaissent davantage sa soeur cadette Isabelle, du téléroman Chambres en ville. Pourtant, Myriam Cyr travaille allègrement au cinéma et au théâtre depuis sa sortie du Conservatoire de Montréal. Et pas avec n'importe qui et n'importe où : à Londres, avec le réalisateur Ken Russell, pour Gothic; en compagnie d'Al Pacino, avec qui elle caresse un projet de film après lui avoir donné la réplique sur les planches de Broadway; avec l'acteur irlandais Richard Harris...
Depuis sa présentation au Congrès mondial acadien, Le secret de Jérôme fait un malheur au pays de Viola Léger (qui y tient d'ailleurs un rôle). De tous les villages, les gens accourent pour voir enfin un film « exportable » qui parle d'eux, de leur passé, de leur vie, de leur Jérôme. On peut appeler ça la fierté retrouvée.