Témoignage de Kate Cameron, lors de l'enquête sur l'administration de l'hôpital d'aliénés de la Nouvelle-Écosse, 1879
Moi, Kate Cameron, de Princeville, River Inhabitants, sur l’île du Cap-Breton, déclare sous serment:
Que j’ai travaillé comme gardienne à l’hôpital psychiatrique de la Nouvelle-Écosse durant environ quatre ans, de 1874 jusqu’au 3 décembre 1877, sous la direction du Dr DeWolf, puis, du 6 juillet 1878 jusqu’au mois de janvier 1879, sous la direction du Dr Reid.
Qu’il y avait une différence marquée entre la façon de diriger du Dr DeWolf et celle du Dr Reid.
Que sous la direction du Dr Reid, les patients étaient bien traités et lui et son assistant, le Dr Sinclair, les visitaient régulièrement; que les patients obtenaient des médicaments et se voyaient prescrire une diète chaque fois que cela était nécessaire, et que leurs besoins étaient entièrement satisfaits.
Que sous la direction du Dr DeWolf, la nourriture était souvent impropre à la consommation et, lorsqu’elle était refusée, on répondait qu’elle était suffisamment bonne et qu’il n’y avait rien de mieux. J’ai vu de la viande pourrie et, de façon générale, le thé, le beurre et la viande n’étaient plus bons. Aussi, j’ai souvent vu du pain moisi.
Que l’on porte maintenant attention à la propreté des patients. Ce n’était pas le cas auparavant, puisque les lits étaient dans un état si dégoûtant que j’ai vu des vers en sortir.
Que j’ai connu des patients qui ont été traités de façon inhumaine et tristement négligés. Le premier acte de cruauté dont je me souviens a été posé à l’égard d’une femme inoffensive appelée Elise Turpel, de Granville, qui avait l’habitude de déchirer ses vêtements. On l’a complètement déshabillée, on lui a attaché les mains et les pieds, ses mains derrière le dos, dans une chambre sans lit, dans le vieux pavillon F, lors d’une froide nuit de décembre 1874. Le lendemain matin, elle a été retrouvée morte, recroquevillée dans un coin. On m’a appelée pour que je lui délie les mains et les pieds. Elle n’avait pas été visitée par le directeur ou le médecin assistant avant de mourir. Il n’y a pas eu d’enquête : le médecin a dit qu’elle était morte de crampes.
Que je savais que Mme McCoy, de Lake Ainslie, Cap-Breton, était traitée cruellement dans l’aile no 9. Qu’elle était souvent enfermée dans le séchoir ou dans un placard et qu’on versait sur elle de l’eau froide. Un matin, j’ai entendu dire qu’elle ne voulait pas déjeuner. Je suis allée la voir et environ une heure plus tard, elle mourait. Elle avait une grosse coupure derrière la tête. J’ai entendu dire qu’on l’avait ouverte et qu’il n’y avait aucune nourriture dans son estomac.
Que j’avais une patiente nommée Bridget Dwyer enfermée durant environ trois mois. Le Dr DeWolf ne l’a vue que deux fois au cours de cette période, à ma connaissance, et le médecin assistant, aucune. Plusieurs autres cas du genre.
Qu’une patiente appelée Abbie Armstrong a été malade durant environ cinq mois. Elle souffrait de diarrhée; on n’a rien fait pour elle et elle n’a pas été nourrie convenablement. Elle est morte environ une semaine après mon départ du pavillon.
Qu’une autre patiente nommée Mary Walsh était également malade; elle a eu mal aux orteils durant environ trois ou quatre mois et souffrait de diarrhée. Elle non plus n’a reçu ni médicament ni nourriture valable.
Que je devais laver des couvertures au pavillon pour la fille du Dr DeWolf, Mme Harrington; elles m’avaient été confiées par Mme DeWolf, qui a déclaré que Mme H. n’avait pas de bassine assez grande chez elle. Certaines des couvertures portaient l’identification du pavillon.
Qu’on ne m’a pas appelée à venir témoigner lors de l’enquête, croyant que si j’y étais allée et avais révélé tout ce que je savais, on m’aurait vite remerciée de mes services à l’institution.
Que je suis prête en tout temps à venir justifier, sous serment, devant n’importe quel tribunal, la susdite déclaration de faits.
Et je fais cette déclaration solennelle en pleine conscience, car je la crois véridique, et en vertu de la loi adoptée la trente-septième année du règne de Sa Majesté, intitulée : « Acte pour la suppression des serments volontaires et extrajudiciaires ».
Kate Cameron
Déclaration faite sous serment devant moi, à River
Inhabitants, dans l’île du Cap-Breton,
ce cinquième jour de mars
de l’an de grâce 1879.
John McMaster, juge de paix
Voici une copie de la lettre du Dr DeWolf annonçant la mort de Mme Turpel à son fils :
10 décembre 1874.
M. Alexader Turpel :
Cher Monsieur,
C’est avec grand regret que je dois vous informer du décès de votre mère survenu tôt ce matin. J’ai été appelé à son chevet, mais tout signe de vie avait déjà disparu. Elle se portait mieux qu’à l’habitude dernièrement et était très attachée à sa gardienne. Sa mort a été causée par une crise de paralysie et a été très subite. Veuillez nous informer par télégramme si vous désirez que l’enterrement ait lieu à Darmouth.
Je vous ai envoyé une dépêche ce matin, que vous aurez probablement reçue lorsque vous ceci vous parviendra.
Recevez, cher Monsieur,
mes sincères condoléances,
(Signé) J. R. DeWolf.