Les derniers jours de l’expédition Franklin : de nouvelles preuves provenant des squelettes (1997)
Les récits portant sur le cannibalisme pendant la troisième expédition de Franklin ont d’abord fait surface en 1854 lorsque le Dr John Rae, qui faisait alors un levé du littoral central de l’Arctique, a rencontré à la baie de Pelly un Inuit nommé In-nook-poo-zhe-jook qui lui a dit que six ans plus tôt un groupe de 35 à 40 Européens avait été vu tirant un traîneau et une chaloupe le long de la côte de l’île du Roi-Guillaume et que leurs corps avaient été trouvés plus tard près de Starvation Cove (Neatby, 1970:245, 354). Plus atroces pour Rae furent les récits des Inuits voulant que les corps aient subi des actes de cannibalisme (Neatby, 1970:245; Klutschak, 1987:xxiv).
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Malgré l’opposition de la population au compte rendu de Rae, les récits inuits faisant état de cannibalisme parmi les membres d’équipage de Franklin ont continué à faire surface. En 1869 […] l’explorateur américain Charles Francis Hall a rencontré des Inuits qui lui ont donné les comptes rendus de témoins oculaires à propos de cannibalisme parmi les hommes de Franklin. Dans une entrevue, In-nook-poo-zhe-jook parle de voir de « longues bottes aussi hautes que les genoux et que dans certaines il y avait de la chair humaine cuite – c’est-à-dire de la chair humaine qui avait été bouillie » […] Dans une autre entrevue, une Inuite nommée Eveeshuk décrit « le corps d’un homme lorsque trouvé par les Inuits la chair est toute là et non mutilée sauf pour les mains sciées aux poignets – le reste beaucoup avait eu la chair coupée comme si quelqu’un l’avait coupée pour la manger ».
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Des récits similaires de cannibalisme parmi les membres de l’expédition Franklin ont été recueillis par le lieutenant Frederick Schwatka qui a cherché les équipages perdus sur l’île du Roi-Guillaume en 1879. Selon un récit, un Inuit nommé Ogzeuckjeuwock « a vu des os de jambes et de bras qui semblaient avoir été sciés… La condition des os a mené les Inuits à penser que les hommes blancs s’étaient mangés les uns les autres… Il avait été amené à penser qu’ils s’étaient mangés les uns les autres parce que les os avaient été coupés avec un couteau ou une scie. »
De tels récits ont constitué les seules preuves de cannibalisme au sein de l’expédition jusqu’en 1981 au moment où Beattie a découvert des marques d’incisions sur la diaphyse d’un fémur droit récupéré d’un site Franklin sur la côte sud-est de l’île du Roi-Guillaume (Beattie, 1983). En plus de ces marques, Beattie a trouvé le crâne du même individu qui portait des traces de fractures intentionnelles. Parmi les autres signes de cannibalisme, il y a le fait que la plupart des os récupérés sur le site étaient des membres [inférieurs ou supérieurs], possiblement parce qu’ils constituaient « des provisions portables » (Beattie et Geiger, 1987:62) et que plusieurs étaient dans un amas à l’extérieur d’un cercle de tentes comme s’ils y avaient été déposés intentionnellement (Beattie et Savelle, 1983).
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La disposition des marques d’incisions sur les dépouilles est particulièrement révélatrice. Environ un quart des marques d’incisions sont très proches des surfaces articulaires, ce qui est cohérent avec une désarticulation intentionnelle (Ubelaker, 1989:105).
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La position des marques d’incisions est aussi cohérente avec l’écharnage, ou le retrait des tissus musculaires, spécifiquement du muscle fléchisseur profond du cubitus, du deltoïde et du triceps de l’humérus, des muscles vaste interne et intermédiaire du fémur et du muscle tibial antérieur et postérieur du tibia. Il y aurait peut-être eu décapitation mais les preuves ne sont pas concluantes.
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La fracture des os longs pour faciliter l’extraction de la moelle a été utilisée à titre d’indicateur de cannibalisme (Villa et al., 1986; White, 1992) [...] les fractures sont cohérentes avec les récits inuits voulant que plusieurs des os trouvés sur le site aient été « brisés pour la moelle à l’intérieur » (Collection Hall, livre « B », 1871:137).
CONCLUSIONS
À ce jour, les restes des squelettes de moins des deux tiers des 105 membres d’équipage qui ont abandonné leur navire au printemps de 1848 ont été retrouvés.
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Les niveaux élevés de plomb dans les dépouilles sont compatibles avec les mesures précédentes (Beattie et Geiger, 1987; Kowal et al., 1989) et confirment les conclusions de Beattie et de ses collègues (Beattie et Geiger, 1987; Kowal et al., 1989, 1991) voulant qu’à ce stade les hommes aient été grandement affaiblis par l’empoisonnement au plomb. Les marques d’incisions sur approximativement un quart des dépouilles renforcent les récits inuits du 19e siècle sur le cannibalisme au sein de l’expédition