LA TRAGÉDIE DE BIDDULPH.

La Cour a porté une accusation pertinente hier matin.
Le jury se retire à 11 h 15.
Et à trois heures rend le verdict « Non coupable ».

MERCREDI – LE DERNIER JOUR.

En dépit du froid extrême de la nuit passée – la plus froide de cet hiver extraordinairement froid – le thermomètre ayant descendu aussi bas que 24 degrés sous zéro durant la nuit – pourtant les gens intéressés au procès du prisonnier de Biddulph, Carroll, étaient debout aussi tôt que huit heures et, à huit heures et demie, le mercure marquant 20 degrés sous zéro, la marée vivante a pris d’un pas décidé le chemin du Palais de justice, dont le portail était soigneusement gardé par un détachement de constables. Et les lève-tôt furent avisés que sous aucun prétexte ils ne pourraient être admis à la salle d’audience avant l’heure d’ouverture du tribunal, c.-à-d. 9 h 30 du matin.

[...] EXPOSÉ DU JUGE AU JURY.

Messieurs du jury – Après avoir patiemment assisté à la très longue audience, et la manière très attentive avec laquelle vous avez écouté d’un bout à l’autre les longs et arides détails de cette importante et capitale affaire, il est maintenant de votre devoir, en conclusion, de compiler soigneusement ces preuves, et d’en tirer vos conclusions. Avant que vous arriviez à une conclusion, il est juste de vous présenter, d’une façon aussi concise que possible, les faits saillants de ce procès mémorable, et pour ce faire il sera nécessaire de remonter au moment où le lien a été établi entre le prisonnier Carroll et les personnes et circonstances qui ont finalement mené à sa mise en accusation et à sa présence aujourd’hui au banc des accusés. Lors de la révision des preuves, si des doutes naissent dans votre esprit, la loi jette autour de l’accusé un bouclier protecteur, pour lui garantir le bénéfice du doute. Maintenant que ces considérations ont été exposées, je vais présenter devant vous les preuves déposées par la Couronne et la défense. La Couronne, par ses témoins, montre qu’une société aurait été organisée à Biddulph, connue sous le nom de Comité de vigilance, et dont l’objectif était de punir les crimes, qui, même s’il peut être allégué qu’il n’y avait rien d’illégal dans cette organisation, il semble pourtant qu’il ait existé en un certain endroit dans le canton une autre ramification, qui, je suis désolé de le dire, semble avoir fait preuve d’une attitude malveillante et hostile envers une famille de leur entourage – je fais allusion à la famille Donnelly – et il semble que le prisonnier ait été membre de cette organisation. Si vous êtes prêts à croire la foule de preuves fournies par la Couronne, alors il deviendra évident que ce comité secret était capable de concocter et de mettre à exécution des crimes parmi les plus atroces et abominables que nous ayons dans nos registres. La Couronne tente aussi de démontrer que le prisonnier Carroll a tenu un rôle prédominant et actif dans cette association. Dans ce cas, soutient-elle, et avec véhémence, il s’agit d’un cas de preuves directes, et non pas de simples preuves circonstancielles, contre le prisonnier. Non seulement était-il membre de l’association, mais il y prenait activement part. Pour étayer ces arguments, la Couronne a cité un garçon du nom de John O’Connor, et son témoignage indique que ce garçon était à l’intérieur du domicile des Donnelly le matin fatal du 4 février 1880. Ceci est affirmé avec certitude par le garçon même, et le témoin Whalen affirme aussi qu’il est arrivé chez lui après avoir quitté la scène de la tragédie pieds nus et à demi vêtu. Il est dit dans le témoignage qu’entre une heure et deux heures ce matin-là le garçon a vu le prisonnier, James Carroll, debout dans le cadre de la porte, une chandelle allumée à la main, en conversation avec le vieux Donnelly, et que Carroll était là à titre de constable; qu’il a entendu le vieil homme demander à Tom s’il était menotté, et la réponse : « Oui; il se pense bien malin ». L’accusation contre le prisonnier concerne le meurtre de Judith Donnelly; le garçon a entendu le vieil homme demander à Mme Donnelly de se lever et d’allumer le poêle; il a entendu Tom aller et venir; il a entendu un corps être amené à l’intérieur et jeté sur le plancher. Il a entendu quelqu’un apporter une bêche et lui briser le crâne. Si vous rejetez le témoignage du jeune O’Connor à cet effet, il semble tout de même crédible et raisonnable de croire que le garçon a réellement vu et identifié le prisonnier Carroll alors qu’il était dans l’embrasure de la porte, une chandelle à la main. Le garçon est peut-être dans une situation et un état d’esprit qui font douter de parties de son témoignage. La défense a insinué que la Couronne a tenté de trouver à tout prix un témoignage extraordinaire pour cette affaire. On insinue que John O’Connor a pu être tellement influencé par les gens de l’extérieur que son témoignage ne devrait pas être considéré comme fiable. Sa Seigneurie a ensuite continué en relatant les événements de la tragédie, en faisant référence au garçon qui s’est caché sous le lit et à l’huile de charbon versée sur le lit. Aussi à ce qui a eu lieu chez Whalen, quand le garçon, en réponse à la question qui lui était posée, a parlé d’un certain Carroll qui était là. Il n’a pas dit quel Carroll, et cela est ressorti du témoignage de Whalen. L’un des Whalen dit que le garçon a reconnu Carroll par sa voix. Un autre qu’il l’a reconnu par son parler. Le garçon se retrouve ensuite à discuter avec M. Whalen, de Lucan, qui dans son témoignage, si vous y accordez de la crédibilité, affirme que John O’Connor a parlé d’un grand nombre d’hommes portant des vêtements de femmes, d’hommes au visage noirci, et des Donnelly s’en retournant dans les bois à toutes jambes. Le constable Hodge conseille au garçon de n’en parler à personne. Le père du garçon prend également la précaution de le garder à l’écart, mais pas, cependant, avant que deux personnes aient l’occasion de parler au gamin; je parle ici de M. Fox et M. Stanley, de Lucan. Maintenant, que vous puissiez considérer ce genre de preuves dignes de foi dépend de vous. Ce qui est dit à l’extérieur de la salle d’audience n’est pas une preuve. Les qu’en-dira-t-on ne constituent en aucun cas une preuve substantielle, et ce que John O’Connor a dit hors de la barre des témoins n’est pas une preuve. Et donc si John O’Connor a délibérément menti à l’extérieur du tribunal, et est ensuite venu dire à la barre une histoire différente, c’est ce qu’il dit dans le tribunal que vous devez admettre et non ce qu’il dit à l’extérieur. Il ne fait aucun doute que le témoignage d’une personne peut être invalidé par une conversation antérieure. Maintenant, le garçon n’a pas dit à ces parties qu’il ne connaissait pas ces personnes. Il décrit une personne dans une robe brune. Il décrit aussi deux personnes, John Purtell et Thomas Ryder. La question est, pouvez-vous vous fier sur ce que M. Fox a dit. Vous devez vous rappeler qu’il y avait à ce moment pas mal de bavardage dans le village, et que toutes sortes d’histoires et de rumeurs circulaient. Le témoignage du garçon semble raisonnable, et il a fait son témoignage sous serment ici devant la Cour. Maintenant, le fait que le prisonnier Carroll a donné un coup n’est pas dans le témoignage, mais du point de vue de la loi il demeure qu’ils sont tout aussi coupables d’avoir été sur les lieux cette nuit-là que d’avoir donné le coup fatal. Ils sont tous également coupables du meurtre et de l’incendie criminel. La Couronne soutient aussi, et avec beaucoup de vigueur, que si le garçon s’était livré à un parjure systématique, il n’aurait pas seulement identifié Carroll mais il aurait aussi dit que Carroll avait donné un ou plusieurs coups. Pourquoi le garçon aurait-il inventé l’histoire des menottes? Pourquoi le garçon a-t-il dit avoir vu la fille traverser la cuisine en courant et monter l’escalier, que les hommes sont montés, et qu’il n’a pas vu la fille revenir? Ces gens sont redescendus, mais n’ont pas ramené la fille avec eux. Voilà autant d’arguments que vous devrez étudier. L’avocat du prisonnier dit qu’il doit y avoir falsification, parce que l’endroit où la dépouille de la fille a été découverte était éloigné d’où elle était à l’étage. Cet argument est apparemment assez fort dans la déposition, mais n’est pas établi comme une certitude. Les hommes auraient pu ramener la fille sans que le garçon ne les voit. Sa Seigneurie s’est penchée sur les différents éléments de preuve relatifs à ce qui s’était produit après la tragédie et a dit aux jurés, C’est à vous de juger si les témoins appelés à la barre sont crédibles ou non. La Couronne vous encourage à évaluer le fait que le garçon a été incité par le constable Hodge à ne pas donner d’information. Cela pourrait expliquer pourquoi il n’aurait rien dit de l’affaire, ou qu’il n’aurait révélé qu’une partie de ce qu’il a vu. En parlant de l’animosité et du sentiment du prisonnier envers les Donnelly, le juge a fait référence à l’action de Carroll au procès de Ryan à Lucan; la bataille chez Ryan; le vol de la vache de Thompson; le rassemblement de vingt à cinquante hommes pour chercher la vache; comment Carroll était à la tête de tous ces mouvements. Comment au cours de la fouille de sa propriété, Carroll a dit au vieux Donnelly, « Comment t'aimerais ça, le vieux, recevoir des coups de pieds dans les côtes ». Ensuite Sa Seigneurie a parlé du Comité de vigilance pendant un bon moment. À ce sujet il a dit, nous avons découvert qu’ils n’avaient ni organisation, ni président, ni secrétaire – tout ce qui a pu être obtenu par la foule de témoins, probablement à une exception près, était qu’ils voulaient « démasquer l’injustice et combattre le mal ». Ils n’avaient, apparemment, aucun objectif réel, et pourtant ils avaient une portée redoutable. La Couronne était tenue de les entendre, et vous voyez le genre de témoignages qu’ils ont déposé; et bien que vous puissiez soupçonner qu’ils ne vous ont rien donné qui ressemble à la vérité, vous êtes quand même obligés de considérer leurs témoignages, tels qu’ils sont, et vous n’êtes pas en position d’assumer qu’ils n’ont pas livré un témoignage juste ou véridique. Dans ce cas le prisonnier ne pourrait être rattaché au crime, simplement parce qu’il était membre de ce Comité. Vous pouvez, en fait, le condamner seulement sur le témoignage du jeune O’Connor. Sa Seigneurie est encore revenue sur l’hostilité et l’animosité manifestées par Carroll envers les Donnelly. Que Carroll sachant qu’il manquait de témoignages s’est rendu à St.Thomas pour arrêter Mme Donnelly, et l’a amenée à London et Lucan. Ne trouvant pas de preuves contre eux, ils furent relâchés. Lorsqu’ils furent accusés de l’incendie de la grange de Ryder il y a eu quatre ou cinq ajournements, et tout ce temps, comme cela a été clairement démontré, le prisonnier qui agissait à titre de constable savait qu’il n’y avait pas assez de preuves pour déclarer ces gens coupables. Carroll a écrit à Fewings, à St.Thomas, et selon les termes de cette lettre, il allait forger une accusation d’incendie criminel contre Robert Donnelly, mais l’accusation pour l’incendie de la grange de Ryder allait être abandonnée. Il a été mis en évidence devant vous que les Donnelly avaient annoncé qu’ils intenteraient un procès pour poursuite malveillante. Une autre circonstance, où Carroll a obtenu un mandat pour Donnelly sous accusation d’avoir volé Ed. Ryan. Nous découvrons ici qu’un jour, peu avant le meurtre, Carroll a obtenu un mandat pour Feehely, mais qu’il n’a pas arrêté Feehely, mais a dit à Feehely de fuir les Donnelly et d’adhérer à l’Association; Feehely n’a pas voulu admettre qu’il y avait un arrangement entre lui et Carroll pour le laisser libre. Sa Seigneurie est ensuite passée à la question des menottes, et à la conduite des deux Hodgins, les constables, qui appuyait assez clairement le témoignage qui attestait que Carroll avait des menottes en sa possession. Au sujet de la conduite de l’avocat de la Couronne et des autres officiels, Sa Seigneurie a dit : il était de leur devoir de fouiller au mieux de leur capacité ce crime des plus atroces et abominables, et si je peux me permettre de dire cela de la nature des officiers de la Couronne ici il aurait été impossible pour eux d’agir autrement que d’une façon franche et honorable. Le juge a ensuite passé en revue le témoignage portant sur le séjour de Carroll chez Thompson la nuit du meurtre. Nous savons que non seulement les hommes peuvent sortir des maisons sans faire de bruit, mais qu’ils peuvent également y entrer sans faire de bruit perceptible, sinon nous n’entendrions pas parler d’autant de vols dans le pays. De plus, le chef de police, M. Paine et d’autres ont affirmé quelque chose de différent de ce que M. et Mme Thompson et Carroll avaient déclaré sous serment. William Carroll qui a dit s’être réveillé à une heure et que son frère était dans le lit avec lui, est membre de ce Comité de vigilance. Wm. Thompson en est aussi membre. Ces deux hommes étaient les ennemis des Donnelly. L’ alibi de Ryder a aussi été passé en revue d’une manière très pertinente par Sa Seigneurie, qui a clairement démontré aux jurés que l’histoire de Ryder et le témoignage offert par les constables ne concordaient vraiment pas, et il leur revenait (aux jurés) de trancher entre les témoignages de quatre hommes, qui étaient tous des membres actifs du Comité, et la déposition faite sous serment de la Couronne. J’ai, je pense, exposé tous les faits et les points majeurs qui se sont présentés à mon esprit au cours de cette affaire, pour que vous en jugiez. Il se peut que des circonstances et des détails m’aient échappé, mais ils vous reviendront peut-être au cours de vos délibérations. Si, sur le témoignage de John O’Connor, vous êtes convaincus que le prisonnier, James Carroll, est coupable, il est alors de votre devoir de déposer un verdict en accord avec ces faits. Si, d’autre part, après tout ce que vous avez entendu, et qu’en tant qu’hommes raisonnables et justes vous pensez qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour justifier la condamnation du prisonnier, alors vous déposerez un verdict en accord avec cette interprétation de l’affaire. Vous allez maintenant vous retirer et délibérer pour arriver à un verdict, et quand vous serez arrivés à celui-ci, vous reviendrez au tribunal. Le jury s’est ensuite retiré à onze heures.

[...] Les jurés sont revenus à trois heures huit minutes, et après qu’ils ont eu regagné leur place, le Colonel McBeth leur a demandé, au milieu d’un silence absolu : « Messieurs les membres du jury, vous êtes-vous entendus sur un verdict? »

Le président a répondu :

« Oui. »

Déclarez-vous le prisonnier coupable ou non coupable?

« NON COUPABLE! »

L’annonce a provoqué un tonnerre d’applaudissements, qui s’est prolongé un moment, malgré la voix tonitruante du grand constable qui rugissait « Silence! »

Le juge Cameron a dit que si les constables voyaient quiconque applaudir il le ferait incarcérer, et cela eut pour effet de rétablir l’ordre quelque peu.

Quand Carroll est entré il était blanc comme un drap. La majorité des personnes présentes au tribunal tenait pratiquement pour acquis qu’un verdict défavorable serait rendu, et le prisonnier ressentait sans aucun doute cette urgence.

Le jury constitué pour l’inculpation de Ryder et Purtell fut libéré. Sa Seigneurie ayant annoncé que comme un juré n’avait pas prêté serment le jury pouvait être libéré sans rendre de verdict.

[...] Alors aussitôt qu’on a emmené les prisonniers Carroll, Ryder et Purtell du banc des accusés pour les libérer sous caution, une autre salve d’applaudissements s’est élevée, mais a rapidement été arrêtée par le grand constable Groves.

James Carroll s’est ensuite retrouvé à la barre une fois de plus, afin de recevoir l’avertissement final de la part de Leurs Seigneuries. Le juge Cameron, dans ses remarques de clôture a dit : James Carroll, je suis maintenant en mesure de vous informer qu’après un long procès qui s’est même prolongé, un jury formé par nos propres concitoyens a conclu de rendre un verdict de « non culpabilité » en votre faveur et vous êtes maintenant acquitté de l’accusation du meurtre de Judith Donnelly, mais non de l’accusation pour laquelle vous devrez subir un procès pour le meurtre de Jas. Donnelly, Thos. Donnelly et Bridget Donnelly. Le jury a jugé votre affaire d’un œil favorable, et j’espère que ce point de vue était juste, et j’espère sincèrement que vous n’êtes pas coupable du crime affreux dont vous étiez accusé. Il demeure un point, cependant, sur lequel je veux revenir. Vous James Carroll, êtes au nombre des policiers de votre comté, et vous avez dans l’exercice de vos fonctions en tant que constable affiché une rudesse extrême. D’une manière spéciale il a été clairement démontré que vous tenez particulièrement à poursuivre les Donnelly, et si vous avez souffert un an derrière les barreaux vous ne devez vous en prendre qu’à vous-même. Vous devez considérer cela ainsi que la terreur et le doute continuels qui planent sur votre tête, car vous l’avez, pour ainsi dire, échappé belle, comme un châtiment dans une certaine mesure pour avoir manqué à votre devoir dans l’exercice de vos fonctions en tant que constable. J’ai confiance que vous quitterez la barre meilleur et plus sage.

Source: Unknown, "The Biddulph Tragedy," London Advertiser, février 3, 1881.

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