Louise Henry, lettre à Blodwen Davies, 11 mars 1931
Saskatoon, Sask.
Chère Mlle Davies,
Je voudrais d’abord vous dire à quel point j’ai aimé la brochure sur la vie de mon frère Tom. Aucun autre auteur de ma connaissance n’aurait pu raconter son histoire de façon aussi magnifique et avec autant de sympathie et je l’apprécie plus que je ne puis vous le dire.
[…]
Lorsqu’il était enfant, Tom était fragile et a subi plusieurs crises de congestion et d’inflammation des poumons. Finalement, le docteur a dit à maman de le retirer de l’école pour un an et de le laisser s’aventurer dans les bois avec un fusil de chasse, ce qu’il faisait, coiffé d’un vieux chapeau de feutre qu’il imbibait d’eau, auquel il donnait une forme pointue sur un manche à balai et qu’il décorait avec des queues d’écureuils et des fleurs sauvages. C’est de cette façon qu’il est devenu expert dans l’art de manier le fusil et la carabine de chasse, à sa plus grande joie et au désespoir de notre mère. [...]
Tom, comme les autres garçons des alentours de Leith, était un excellent nageur et je me souviens d’un été, au cours de la saison de camping, où M. Merchant, qui avait un cottage sur le rivage, avait jeté l’ancre de son beau yacht près du quai quand un fort vent s’est levé, entraînant l’ancre et faisant dériver le yacht vers le milieu du lac. Tom et David ont compris la situation et ont nagé jusqu’au yacht, sont montés à bord et l’ont ramené.
C’était un jeune homme qui aimait marcher lorsqu’il était à la maison et je me souviens d’une nuit où il a bravé la tempête et marché dix milles pour se rendre à une fête. Une autre fois, il a marché jusqu’à Meaford, à environ vingt milles, plutôt que de prendre un cheval et un boghei, bien que père l’ait supplié de s’en servir.
Il adorait le sport et était un ardent joueur de football avant de quitter la maison et, lors d’une partie, il s’était cassé un gros orteil mais avait continué de jouer jusqu’à la fin de la partie, bottant le ballon de son pied gauche. De tous les sports d’extérieur, je crois que la pêche était son passe-temps favori. Il s’assoyait patiemment durant des heures à attendre que ça morde, et s’il y avait du poisson, il en attrapait à coup sûr. À une époque, Tom était fier de chasser et je me souviens qu’une fois il nous avait raconté qu’il avait tué un chevreuil, mais ce fut le dernier chevreuil qu’il a tué puisque le regard de la bête était trop humain.
En 1912, mon mari s’est rendu dans l’est avec la dépouille de sa mère pour l’enterrer auprès de son père au cimetière de Leith. Tom venait tout juste de rentrer du Nord depuis quelques jours et il y avait un jeune artiste nommé Broadhead avec lui. Il a raconté à M. Henry quelques histoires très intéressantes qu’ils avaient vécues dans le Nord. Il a racontée que lui et M. Broadhead étaient sortis de justesse de rapides avec leur canot passablement remplis de vivres et de leurs esquisses de la saison. Le canot a heurté une roche submergée et ils ont perdu la majorité de leurs meilleures esquisses, la majeure partie de leurs vivres et ont bien failli y laisser leurs vies. M. Broadhead a dit que si Tom n’avait pas été un tel expert en canotage, ils auraient péri.
Mon mari a demandé à Tom s’il n’avait pas peur si seul dans le bois avec tous ces animaux sauvages errant aux alentours. « Pourquoi, a-t-il répondu, les animaux sont nos amis. J’ai cueilli des framboises d’un côté d’un billot alors qu’un gros ours noir en cueillait de l’autre côté ». Il lui a également parlé d’une fois où il faisait une excursion dans le bois et qu’il avait entendu un animal s’approcher de lui dans les sous-bois et que, à sa grande surprise, il s’agissait d’un gros loup gris, un des plus gros qu’il avait jamais vus, sa tête, son cou et sa poitrine étaient noir de jais et le reste de son corps était du gris habituel. Il a dit que c’était le plus bel animal qu’il avait jamais vu. Le loup s’était approché si près de lui qu’il aurait presque pu le toucher avec sa main. […]
Nous avions une belle bibliothèque à la maison et nous recevions des livres chaque année pour Pâques et Tom était habituellement occupé à lire un livre ou à gratter les cordes de sa mandoline ou à jouer de la guitare lorsqu’il était à la maison le soir. […]
Veuillez agréer, madame, mes sentiments les plus sincères
Louise Henry
P.S. J’ai oublié de vous dire que Tom a tenté de s’enrôler à l’époque de la guerre d’Afrique du Sud mais qu’on l’avait refusé à cause de l’affaissement des arches de ses pieds et de l’état de l’orteil qu’il s’était cassé en jouant au football. Il en avait été agacé puisqu’il pouvait marcher vingt milles sans ressentir de douleur. L.H.