A. Y. Jackson, lettre aux enfants, févr. 1914

B.P. de Mowat, parc Algonquin, Ont.

Mes cheres [sic] enfants[en français dans le texte d’origine],

C’est affreux comme les mois et les années passent vite. J’aurais dû écrire il y a bien longtemps de cela, mais j’attendais d’avoir quelque chose d’excitant à raconter. Aucun artiste n’a encore été dévoré par les loups. Ils hurlent le matin et c’est à peu près la pire chose qui soit arrivée jusqu’à maintenant.

[…]

Vous avez probablement remarqué mon adresse actuelle. Loin de la poussière et du vacarme du mercantilisme. Mowat est un endroit tranquille et sans prétention. On ne s’y éreinte pas pour faire doubler la population tous les deux ans. Et on ne devient pas fou à essayer de vendre des terrains commerciaux. Personne ici ne fait fortune ou ne perd son magot et pourtant tous les gens sont heureux. La population est de huit personnes, incluant moi-même. Peut-être que si je restais ici je pourrais obtenir un emploi comme préposé aux soins de santé. ou comme chef de la brigade de pompiers. Notre seul moyen de nous déplacer est d’utiliser des raquettes. Il n’y a qu’un chemin pour se rendre à la gare située à un mille et il s’arrête là. Quoi qu’il en soit, il est facile de faire de la raquette ici il y a beaucoup de lacs et ils sont tous gelés. Alors on peut marcher pendant des milles sur un terrain plat. Aussitôt qu’on quitte les lacs, on se retrouve dans la forêt qui nous en fait voir de toutes les couleurs avec ses bouleaux et ses épinettes tout enchevêtrés mais qui regorge d’animaux sauvages intéressants. Il y a des pistes d’animaux partout, surtout de chevreuils, de renards, de lièvres et de loups. La chasse est interdite alors ils se retrouvent tous ici. Je compte rester ici jusqu’à la mi-avril, à faire des esquisses hivernales. J’irai très probablement dans l’ouest cet été. Pour le Canadian Northern.

[...]

J’ai un beau studio à Toronto que je partage avec un autre artiste, Thomson, et nous l’arrangeons de belle façon. Je vais rester à Toronto un an. Il semble possible de gagner sa vie là-bas et les gens s’intéressent beaucoup plus à l’art canadien qu’à Montréal.

[...]

Les premières corneilles ne sont pas arrivées, mais le mois de mars est presque commencé et la température douce aussi, lorsque je suis venu ici il y a deux ans il faisait moins quarante-cinq, on ne va pas laisser un petit insecte comme le [Manotick?] avoir le dessus sur nous.

Avec beaucoup d’amour pour chacun de vous
Sincèrement
Alex