DE L’OR EST DÉCOUVERT DANS LE KLONDIKE
Robert Henderson découvre un filon
Henderson arrive au Yukon
Robert D. Henderson est né à Pictou en Nouvelle-Écosse, en 1857. Fils d’un gardien de phare, il est élevé par ses parents à Big Island. Il va pêcher en mer avant même d’atteindre l’adolescence. Il quitte la maison à l’âge de 14 ans pour la Nouvelle-Angleterre, puis se rend à Portland, en Oregon, dans l’intention d’aller en Alaska. Mais Jim Fielding le convainc d’aller plutôt prospecter en Patagonie. Finalement, il n’y va pas et retourne en Nouvelle-Écosse. En 1880, Henderson repart vers l’ouest et se rend au Colorado où il exploitera des gisements pendant 14 ans. En 1894, il se dirige vers l’Alaska et en avril, il arrive à Dyea. Lui et deux compagnons, Kendrick et Snider, transportent son matériel au-delà du col Chilkoot et, le 1er juin, son campement est établi sur le lac Lindeman. Là, il débite quelques arbres et construit un bateau à bord duquel il descendra le fleuve Yukon jusqu’à l’embouchure de la Pelly. Il cherche de l’or avec sa batée et en découvre une quantité qui lui rapportera 54 $. Les provisions diminuant, il part pour Sixtymile.
Henderson rencontre Joe Ladue
À Sixtymile, Henderson s’arrête au poste de traite que dirige Joe Ladue. De descendance canadienne-française, Ladue, qui est né dans le nord de l’État de New York en 1852, arrive en territoire nordique en 1882. Il ne découvre pas de filon payant, alors il part travailler pour Harper et McQuesten. Lorsqu’ils mettent fin à leur association en 1889, Ladue garde contact avec Harper. Le poste de traite de Ladue est l’arrêt de prédilection pour tous les prospecteurs qui descendent le fleuve Yukon et Ladue ne manque jamais de les encourager en leur racontant des histoires de filon-mère qui n’attend qu’à être découvert.
Le poste de traite de Ladue est situé à environ 100 milles en amont de Fortymile. Entre les deux établissements, deux autres rivières se jettent dans le Yukon par l’est : la rivière Indian, environ 30 milles en aval d’Ogilvie, et le Thron-diuck, 30 autres milles plus loin.
Ladue explore la Thron-diuck, mais n’y trouve pas d’indice aurifère. Cependant, il croit que la région entourant la rivière Indian est pleine de potentiel et il recommande vivement à tout prospecteur de tenter sa chance.
Henderson est impressionné par ce qu'il entend. Après avoir fait quelques achats chez Ladue, Henderson part en compagnie de Jack Collins et ils descendent le Yukon jusqu’à la rivière Indian. Henderson est âgé de 37 ans à l’époque. Il est grand et mince, a « le visage hâve d’un aigle, des sourcils sévères et un regard perçant ». Il a d’épaisses moustaches tombantes. Les deux partenaires prospectent la rivière Indian et le ruisseau Quartz et en tirent quelques couleurs. Collins, à l’approche de l’hiver, retourne à Sixty-mile, tandis que Henderson passe l’hiver de 1894-1895 à prospecter les ruisseaux Quartz, Australia et Wounded Moose. Alors qu’il cherche un moyen de descendre la pente de la Thron-diuck avec son matériel jusque dans l’une des vallées, il est frappé de cécité des neiges. Henderson, après avoir reposé ses yeux, cherche à reprendre son chemin en aval. Il tombe sur un troupeau de caribous, en tue deux qu’il dépouille afin d’utiliser les peaux pour se faire un canot.
Le 6 mai 1895, il se blesse à la jambe en tombant sur une branche brisée, qui se plante dans son mollet. Dès qu’il est capable de reprendre la route, il retourne au ruisseau Quartz, où il prospecte pendant deux semaines. Mais sa jambe continue de le faire souffrir, alors il part vers Sixtymile à bord de son canot. Accompagné de William Radford, il est de retour sur le ruisseau Quartz à la mi-juin. Tôt cet automne-là, il part vers Sixtymile afin d’acheter ses provisions pour l’hiver. Il passe l’hiver de 1895-1896 seul sur le ruisseau Quartz. Il allume des feux pour creuser le sol jusqu’au fond rocheux et construit des tunnels à la recherche d’un filon. Durant cette période, il récolte 620 $.
Alors qu’il prospecte la rivière Indian et ses affluents, Henderson aperçoit une montagne en forme de dôme, dont le sommet s’élève au-dessus des autres collines. De nombreux cours d’eau qui se déversent dans la rivière Indian se rejoignent à cette montagne et au printemps de 1896, il escalade le dôme pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. Quand il atteint le sommet, il voit qu’au nord se dresse une multitude de pics enneigés. Dans les autres directions, à perte de vue, se trouvent un labyrinthe de collines et de vallées. Du haut du sommet où il se trouve, Henderson voit les ruisseaux partir de la base du dôme comme autant de rayons partant du moyeu d’une roue. Trois se dirigent vers la rivière Indian et trois autres, du côté opposé, se jettent dans un cours d’eau inconnu. Bien que Henderson l’ignore à ce moment, ces six ruisseaux vont donner, au cours de cette seule année, de formidables quantités d’or.
Après avoir fait ses achats chez Ladue, Henderson charge son canot et descend le Yukon. Comme il ne veut pas risquer d’abîmer son embarcation en remontant la rivière Indian, il décide de remonter à la pagaie la Thron-diuck, dans laquelle il croit que Gold Bottom se jette. À l’embouchure de la Thron-diuck ou Klondike comme on l’appellera bientôt, Henderson aperçoit un campement. Henderson accoste et est accueilli par George W. Carmack.
Carmack, comme Henderson, est un pionnier. Il est né sur un ranch d’élevage de bovins à Costa, en Californie, le 24 septembre 1860. En mars 1885, il quitte San Francisco et arrive à Juneau en avril. Il réunit un groupe de sept hommes avec qui il traverse le col Chilkoot et ils prospectent le cours supérieur du Yukon jusqu’à Miles Canyon. Ils retournent bredouilles à Juneau. Deux ans plus tard, Carmack se joint à l’équipe de l’arpenteur Ogilvie et, comme il a déjà parcouru ce trajet auparavant, il aide à guider le groupe jusqu’au lac Bennett. Cet automne-là, il retourne à Juneau et achète un surplus de marchandises pour les vendre aux Indiens du bassin du Yukon.
À l’embouchure de la Hootalinqua, il prospecte, chasse et trappe avec les Indiens. En compagnie de Skookum Jim et Charley le Tagish, il travaille sur le cours supérieur du Yukon jusqu’en juin 1889, où ils descendent à Fortymile. En 1890, ils découvrent des indices aurifères sur le ruisseau Birch et en juillet 1896, ils établissent, avec leurs femmes, un camp de pêche à l’embouchure de la Thron-diuck, la meilleure rivière à saumon du Yukon. Carmack, sa femme Kate, leur fille Graphie Gracey et ses deux beaux-frères Skookum Jim et Charley le Tagish attrapent et sèchent du saumon. Henderson, conformément au code tacite des mineurs, prend Carmack à part et lui annonce la découverte qu’il vient de faire sur Gold Bottom. Carmack demande à Henderson s’il pourrait y jalonner une concession. Henderson, qui n’apprécie pas les Indiens, jette un coup d’œil à Skookum Jim et Charley le Tagish, qui se trouvent à proximité, et murmure « Toi, tu peux venir, George, mais je veux pas de ces maudits sauvages sur ce ruisseau-là ». Ces mots allaient lui coûter très cher.
Henderson remonte ensuite la Klondike à la perche jusqu’à l’embouchure du ruisseau Gold Run, où il accoste et construit une cache. Il se rend ensuite au camp de découverte sur Gold Bottom.
Carmack découvre un filon
Carmack n’est pas pressé de suivre la suggestion de Henderson et de remonter le cours d’eau pour aller jalonner une concession sur le ruisseau Gold Bottom. Lui et ses beaux-frères sont plus intéressés, à l’époque, à bûcher puis flotter les billots jusqu’au moulin à scie de Fortymile, qui leur rapportent 25 $ par 1000 pieds. Skookum Jim a déjà remonté le ruisseau Rabbit, où il a vu plusieurs bons arbres. Plus important encore, il a plongé sa batée et découvert des couleurs. Il parle de sa découverte à ceux qui sont au camp de pêche, mais soulève peu d’intérêt.
Environ 20 jours après la visite de Henderson, Carmack dit à ses beaux-frères de se préparer à aller trouver Bob. Au lieu de remonter la Klondike jusqu’à l’embouchure du Gold Run, ils décident de passer par la vallée du ruisseau Rabbit, qui mène à la haute crête qui sépare les bassins fluviaux des rivières Klondike et Indian. Ils commencent à remonter le ruisseau Rabbit avec batées, pics, haches et autres outils nécessaires pour un séjour prolongé dans les bois. À une certaine distance de l’endroit où ils allaient faire leur découverte, ils arrêtent se reposer et récoltent une batée d’une valeur de dix cents. Ils s’en réjouissent et décident donc que si Gold Bottom n’est pas meilleur, ils reviendront. Carmack dit aux Indiens de ne pas parler de leur découverte à Henderson jusqu’à ce qu’ils reviennent, « et si alors ils trouvent un bon prospect, ils lui diront peut-être ».
Quand ils arrivent à l’endroit où un cours d’eau, qui sera bientôt baptisé ruisseau Eldorado, se déverse dans le ruisseau Rabbit, ils traversent la vallée et escaladent la crête jusqu’à la ligne de partage des eaux d’amont du ruisseau Rabbit, où ils découvrent le chemin que s’était frayé Henderson. Quand ils arrivent à la rencontre de Henderson, ils sont à court de provisions et de tabac, ce dernier article étant indispensable aux deux Indiens. Henderson refuse de partager, même si Jim et Charley offrent de bien le payer pour ce qu’ils lui prendraient.
Carmack et ses beaux-frères, après avoir parcouru la région, décident que les prospects ont l’air meilleurs sur le ruisseau Rabbit et se préparent à y retourner. Alors qu’ils endossent leurs bagages, Henderson leur crie :
« Carmack, j’avais l’intention de prospecter un peu sur le ruisseau Rabbit cet hiver, mais tu devrais en faire un peu sur le chemin du retour et si tu trouves quelque chose, envoie-moi un des Indiens m’avertir et je le paierai pour être venu m’informer ».
Carmack accepte et se met en route.
Le soir du 14 août 1896, ils campent sur le ruisseau Rabbit, à un demi-mille en aval de l’embranchement. Leurs provisions épuisées, Skookum Jim part chasser et tue un orignal. Pendant qu’il attend l’arrivée des autres, Jim se rend au ruisseau pour boire. Il y découvre de l’or en des quantités qu’il n’a jamais vues auparavant. Après avoir dépouillé l’orignal, il montre l’or à ses collègues. Ils se rendent compte alors qu’une seule batée rapporte un quart d’once, ou environ quatre dollars. Dans un pays où une batée de dix cents est considérée valable, dont on peut se vanter, cette découverte a de quoi les faire crier de joie. Ils restent deux jours sur les lieux, à récolter de l’or à la batée et à tester le gravier en aval et en amont du ruisseau. Après avoir trouvé le meilleur endroit, ils décident d’y jalonner des concessions et de les enregistrer. Ils ont une dispute à savoir qui aura la concession de la découverte, « Jim la réclamant à titre de découvreur et Carmac[k] la réclamant… en faisant valoir qu’on ne permettra pas à un Indien de l’enregistrer. Pour régler le problème, on convient que Carmack jalonne et enregistre la concession de découverte et en accorde la moitié à Jim. Le matin du 17 août 1896, Carmack arrange une petite épinette avec sa hachette et sur le côté donnant sur l’amont, il inscrit au crayon :
« À qui de droit :
En ce jour, je jalonne et revendique, à titre de découvreur, cinq cent pieds en amont du présent avis. Jalonné ce 17e jour d’août 1896. »
Carmack jalonne trois concessions de plus : la No 1 en aval pour lui-même, la No 2 en aval pour Charley le Tagish et la No 1 en amont pour Skookum Jim. Ils mettent l’or qu’ils ont lavé dans une cartouche vide de Winchester et retournent au camp de pêche au saumon à l’embouchure de la Klondike. Là les attend un train de bois prêt à se rendre au moulin de Fortymile. Pendant que Carmack et Charley descendent le ruisseau en flottant les grumes, Jim retourne surveiller les concessions, puisque le pays grouille de gens que Ladue a envoyés à la recherche du camp de Henderson. Le 19 août, Edward Monahan et Greg Stewart jalonnent deux concessions, deux milles en aval de la découverte, alors que le 20, J. Moffat, D. Edwards, D. Robertson et C. Kimball jalonnent d’autres concessions plus en aval. Ces hommes, vu que Carmack n’a pas pu atteindre Fortymile avant le 21, n’ont pu obtenir le tuyau de Carmack et des deux Indiens.
Carmack répand la nouvelle
Quand Carmack et Charley le Tagish arrivent à Fortymile et qu’ils racontent leur découverte en montrant leur or, leur histoire ne suscite pas grand intérêt. Carmack n’a pas fait beaucoup de prospection et son association de longue date avec les Indiens lui a valu des préjugés auprès de la communauté des Blancs. Celle-ci n’admet pas que l’homme marié à une squaw ait pu découvrir un filon. L’on croit que l’or provient du ruisseau Miller et que c’est Joe Ladue qui l’a donné à Carmack pour déclencher une ruée. Quand certains d’entre eux viennent voir William Ogilvie, il souligne que Carmack a bien dû trouver cet or quelque part. Le temps qu’ils enregistrent leurs concessions auprès des autorités, une ruée est commencée.
En moins de trois semaines, la région est envahie de prospecteurs. Avant la fin d’août, une réunion de mineurs a lieu au cours de laquelle on juge que le nom de Rabbit est trop banal, et le ruisseau est désormais nommé ruisseau Bonanza. Joe Ladue ferme son poste de traite à Sixtymile et construit un entrepôt et une cabane sur un terrain qu’il a choisi sur la rive est du fleuve Yukon, juste en aval de l’embouchure de la Klondike. Ladue nomme ce nouveau camp minier Dawson City en l’honneur de George M. Dawson.
Au 31 août, le ruisseau Bonanza est entièrement jalonné, et de nouveaux prospecteurs arrivent chaque jour. Des découvertes exceptionnelles sont maintenant faites sur la fourche sud par Antone Stander, Jay Whipple, Frank Keller, J. J. Clements et Frank Phiscator. Chacune de ces concessions, toutes jalonnées le 31, est destinée à rapporter plus d’un million de dollars en or. Le ruisseau est dès lors connu sous le nom d’Eldorado…
Le destin cruel de Henderson
Plus tôt au cours de l’été, Henderson explore le ruisseau dans lequel se déverse Gold Bottom et découvre un peu d’or qui lui rapporte 35 cents la batée. Il jalonne la concession de découverte mais ne l’enregistre pas. Comme il s’apprête à s’y rendre, Charles Johnson et Andrew Hunker, des prospecteurs d’expérience, remontent le courant. Ils disent rechercher Henderson, mais ont manqué le camp et traversé la crête jusqu’à un autre ruisseau où ils ont trouvé un haut récif de fond rocheux et tiré 25 $ d’or grossier dans leur batée.
« Oui, dit Henderson, j’y suis allé et j’ai trouvé de l’or, j’ai jalonné la concession de découverte. Avez-vous vu mes concessions? J’ai nommé ce ruisseau Gold Run ».
Hunker admet avoir vu les concessions, mais il a lui aussi jalonné des concessions et veut avoir l’honneur de nommer le ruisseau. Après discussion, ils décident de régler la question en tirant à pile ou face. Hunker gagne.
Henderson et ses partenaires continuent de travailler sur la concession et quand ils s’apprêtent à tout laisser pour la saison, ils se divisent leurs avoirs, 750 $, en parts égales. Henderson part ensuite pour Fortymile, où se trouve le bureau d’enregistrement minier le plus proche, pour enregistrer ses concessions. En chemin, il apprend que de nombreuses concessions ont été jalonnées. Quand il atteint l’embouchure du ruisseau Bear, il remonte le courant et jalonne la concession no 12.
Arrivé à Fortymile, Henderson a la certitude qu’il a trois concessions à enregistrer : une sur Gold Bottom, une sur Gold Run et une sur Bear. Mais quand il fait irruption dans le bureau d’enregistrement, on lui dit qu’il n’y a pas de ruisseau Gold Run. Quand il explique où ce ruisseau se situe, le commis lui répond que ce ruisseau se nomme Hunker, nommé en l’honneur d’Andy Hunker, qui a enregistré la concession de la découverte. Il est encore plus déçu d’apprendre que la loi a été modifiée : nul n’a droit à plus d’une concession dans le district minier du Klondike et que cette concession doit être enregistrée 60 jours après avoir été jalonnée. Henderson proteste, en vain, en avançant qu’au moment où il a jalonné ses concessions, la loi permettait de posséder une concession sur chaque ruisseau, et n’imposait pas de délai d’enregistrement. Le commis ne change pas d’idée et Henderson, n’ayant droit qu’à une seule concession, choisit la concession no 3 sur le ruisseau Hunker.
En quittant le bureau, il lance en guise de protestation : « Tout ce que je veux, c’est ce qui me revient de droit et ces découvertes m’appartiennent. Je vais me battre pour les ravoir, en Canadien que je suis, aussi longtemps que je vivrai! »