Biographie de Skookum Jim
Voici le récit de la vie de Skookum Jim. Étant donné les critères que doivent respecter les historiens, ce récit ne saurait être considéré comme une notice biographique et encore moins comme une biographie. Il doit plutôt être considéré comme la description anecdotique des rencontres et des fréquentations qu’a eues Jim dans le monde de l’homme blanc. Né en 1854 ou 1855, Skookum Jim est l’aîné du chef des Indiens Tagish. Entre 1854 et 1887, on ne sait pratiquement rien sur sa vie. Au cours de cette dernière année, William Ogilvie, un arpenteur du gouvernement canadien, engage Jim, son cousin Charley le Tagish et George Washington Carmack pour transporter ses provisions jusqu’au col Chilkoot. Le mot « Skookum », qui évoque la magie chez les Indiens tagish, peut aussi se traduire par « fort ». Jim prouve qu’il est digne de cette deuxième signification en portant 156 livres de bacon pour l’arpenteur dans un seul voyage au-delà du col. Une fois le sommet franchi, Ogilvie retient Jim pour lui confier une multitude de tâches. Il se rappellera plus tard Skookum Jim comme un homme « fiable, honnête et compétent dans tout travail que je lui assignais ». Au cours de la même année, Jim accompagnera William Moore, le fondateur de Skagway, quand ce dernier fera l'arpentage du col White.
Carmack, qui avait dérivé vers le nord en 1885, marie Kate, la sœur de Jim, en 1887. Leur union libre marque le début d’une association qui durera dix ans, pendant laquelle les chemins de Carmack, Kate, Charley le Tagish et Skookum Jim se croiseront sans cesse. Durant les deux années suivantes, ils chassent, prospectent et trappent tous les quatre dans le cours supérieur du Yukon. En juin 1889, ils descendent le fleuve jusqu’à Forty Mile, mais n’y restent pas, se rendant plutôt à Fort Yukon. En 1890, ils prospectent sur le ruisseau Birch, mais sont forcés de retourner à Forty Mile pour se réapprovisionner. Bien qu’ils découvrent de bons filons sur le ruisseau Birch, futur site des excavations de Circle City, ils n’y retournent pas. Entre 1890 et 1894, Carmack tient un poste de traite à Five Finger Rapids. Le peu de renseignements que l’on possède ne permet pas d’attester que Jim est avec Carmack durant cette période. Quoi qu’il en soit, ils se réunissent tous les quatre en 1896 avec plusieurs autres Indiens à l’embouchure de la rivière Klondike. C’est là qu’aura lieu la rencontre fatidique avec Robert Henderson, suivie de la découverte d’or sur le ruisseau Bonanza.
Skookum Jim est pratiquement absent des documents sur la ruée vers l’or. Les danseuses de cabaret, les joueurs, les teneurs de saloons et les mineurs blancs – ceux qui prospéraient, ceux qui vivotaient et ceux qui échouaient –, voilà les personnages qui vont et viennent dans les récits sur la ruée vers l’or. Jim et Charley, les deux Indiens, sont des anomolies [sic] dans ce paysage aussi blanc que la neige du Yukon. Pierre Berton est le seul auteur à avoir retracé le parcours de Jim durant les beaux jours de la ruée. Ce qui ressort, cependant, n’est qu’un portrait exagéré et superficiel. Berton mentionne Jim à deux reprises. La première fois, Jim et Charley sont au relais routier de Belinda Mulroney, vêtus de « chemises de tissu écossais aux couleurs vives et de cravates voyantes, avec des bandes écarlates sur leurs chapeaux noirs de mineurs et de lourdes chaînes de montre à doubles rangées de pépites pendant sur leur ventre». « On les traitait maintenant comme des Blancs », écrit Berton, voulant dire par là qu’ils avaient le droit de boire. Le fait qu’on considérait le droit de boire de l’alcool comme un critère pour entrer dans le monde de l’homme blanc et comme une importante faveur aux autochtones en dit long sur la mentalité prônée au tournant du siècle. La seconde fois que Berton mentionne Jim, c’est lorsqu’il est à Seattle pendant la ruée, faisant les manchettes avec Kate et Charley. [« ]Ils s’étaient soulés de champagne; on les arrêta et leur infligea une amende pour ivresse. Ils faillirent déclencher une émeute en jetant des billets de banque par la fenêtre de l’hôtel… ». La vérité, c’est que Jim n’était pas tellement différent de la plupart des prospecteurs ayant fait fortune dans le Klondike. Son origine amérindienne importe peu quand on compare son comportement à celui de ses comparses blancs.
Après 1900, Jim vend sa concession et retourne sur la terre de ses ancêtres au lac Tagish. Il s’établit à Carcross et y demeurera jusqu’à sa mort en 1916. En juillet 1903, il se marie, mais le mariage est de courte durée, car sa femme le quitte en 1904 ou 1905. Sa fille Daisy, dont il s’occupe avec dévouement, reste avec lui.
Les premières années que passe Jim à Carcross se caractérisent par une série de mauvais investissements dans des propriétés minières. Il finance pour ses amis des voyages de prospection qui ne rapportent pas et est trop généreux avec ses proches. Il se laisse finalement persuader d’investir dans un fonds fiduciaire de vingt mille dollars au nom de sa fille. Par la même occasion, il confie l’administration de ses finances à W.L. Phelps, un avocat de Whitehorse. Cette disposition s’avérera profitable et permettra à Jim de vivre aisément pour le reste de ses jours.
Au déclin de sa vie, Jim poursuit son rêve de faire une importante découverte qui soit bien à lui. Même s’il continue à trapper, chasser et pêcher, la prospection reste son principal intérêt. Il explore les rivières Teslin, Pelly, Macmillan et Stewart à la recherche d’or. Pendant l’hiver de 1915-1916, il prospecte le cours supérieur de la Liard. Mais la grande découverte lui échappe toujours et si ce n’était de son fonds fiduciaire dans lequel il a investi en 1905, il aurait vécu ses derniers jours dans la pauvreté.
En février 1916, une douleur au rein le force à se rendre à l’hôpital. Le traitement est inefficace. Quand les gens comprennent qu’il ne guérira pas, ils commencent à magouiller pour disposer de ses avoirs. Plusieurs Indiens de la région font pression sur Jim pour qu’il les inscrive sur son testament, chose à laquelle son avocat W.L. Phelps s’oppose farouchement. Phelps n’est pas très délicat non plus cependant, affirmant que les Indiens sont un peuple ingrat et qu’il a « peu d’espoir que cet argent soit jamais administré de façon à être profitable pour le bien public ». Pourquoi un Indien aurait-il été tenu, contrairement à un homme blanc, de léguer ses avoirs pour le bien commun? Cette question avait visiblement échappé à Phelps. Dans toute cette histoire, seul Jim conserve sa dignité. Son dernier testament, daté du 4 avril 1916, instaure le « Skookum Jim Indian Fund » destiné à offrir des soins médicaux et une aide financière aux Indiens démunis du Yukon, dans le cas où sa fille mourrait sans descendance.
À l’approche de sa mort, Jim s’occupe des derniers préparatifs. Il achète un nouvel habit, un cercueil « de l’extérieur » et une pierre tombale. Il meurt le 1[?] juillet 1916. Selon le vœu qu’il a longtemps chéri, Skookum Jim est enterré dans le cimetière de Carcross à côté de William Carpenter Bompas, l’ancien évêque anglican du Yukon. Il est plutôt ironique que Jim, qui a partagé les valeurs de l’homme blanc plus que tout autre Indien du Yukon, ait choisi d’avoir sa dernière demeure auprès d’un prêtre qui avait toujours méprisé la plupart des valeurs sociales des Blancs. La mort de Jim ne fit l’objet que d’une brève mention dans le Whitehorse Star. Le Dawson Daily News lui rendit hommage en consacrant sa une à l’annonce de sa mort, mais n’ajouta que très peu d’information aux détails déjà fragmentaires de sa vie.