Après la ruée vers l'or
À l’été de 1899, la découverte d’or sur les plages de Nome, en Alaska, met fin à la ruée vers l’or du Klondike. Parce que peu de gens venus au Yukon après 1897 ont trouvé assez d’or pour que leur voyage en vaille la peine, la population nombreuse et fluctuante de Dawson et d’ailleurs sur le territoire attend avec impatience de participer à une autre ruée. Lorsque se répand la nouvelle de la découverte de Nome, plusieurs de ces personnes quittent pour l’Alaska. D’autres partent vers le sud. Mais cela ne signifie pas que Dawson se transforme en ville fantôme, simplement qu’il n’y a plus d’or pour les nouveaux venus. Ceux qui possèdent déjà de bonnes propriétés continuent de les exploiter. En fait, la meilleure année en termes de production d’or au Yukon est 1900, alors qu’une valeur de plus de 22 millions de dollars est retirée des ruisseaux (ce chiffre était de 2,5 millions $ en 1897 et de 10 millions $ en 1898). Après 1900, la production commence à diminuer, mais très lentement, de sorte qu’à la fin de 1911, une valeur de 140 millions $ en or a été extraite du sol. La population du Yukon passe d’environ trente mille habitants au plus fort de la ruée à la fin de 1898, à un peu plus de quatre mille habitants en 1921, dont près de la moitié sont des autochtones. On retire encore de l’or des ruisseaux plus de soixante ans après la ruée et, avec la montée soudaine du prix de l'or dans les années 1970, on assiste à une recrudescence des activités.
Le changement le plus radical qui s’opère dans l’exploitation aurifère à la fin de la ruée n’est pas la baisse de la population, mais le changement dans les méthodes d’extraction. Il y a une concentration d’or presque incroyable sur certaines concessions où, à ce qu’on dit, des centaines de dollars – soit deux livres d’or ou plus – peuvent être retirées du sol en une seule pelletée. Mais cela ne peut pas durer. Bientôt, la concentration d’or dans le sol commence à décliner, alors il devient peu rentable d’exploiter les concessions de la vieille manière, qui entraîne beaucoup de pertes et requiert une main-d’œuvre importante. Pendant un certain temps, on emploie des méthodes plus efficaces qui aident à réduire le coût de la main-d’œuvre. La méthode qui consiste à faire dégeler le sol à l’aide de feux est supplantée par celle utilisant des tuyaux à pointes à vapeur que l’on insère dans le pergélisol. On instaure ensuite l’abattage hydraulique : l’eau est pompée à travers des tuyaux à haute pression qui sont dirigés vers le bord du ruisseau ou le coteau, ce qui permet de laver de grandes quantités de sable et de gravier en peu de temps.
La dernière phase de transformation de l’exploitation minière est l’invention des dragues. Ces machines géantes sont si efficaces qu’elles permettent de réaliser des profits même en ne récoltant qu’une valeur de quelques cents par mètre cube. La drague est une énorme machine qui flotte; on la met à l’eau, puis elle avance sur le ruisseau, qui a été endigué pour permettre à la drague de flotter, en avalant sable et gravier sur son passage, elle retravaille les concessions (dont une importante proportion d’or avait été gaspillée lorsqu’elles étaient exploitées au moyen de sluices, une technique moins efficace), laissant une piste sinueuse de résidus – comme l’empreinte d’un ver géant – qui sont encore des caractéristiques saisissantes du paysage des environs de Dawson City.
Afin de rendre possible le processus de dragage, les concessions originales doivent être consolidées. Peu après la ruée vers l’or, de grandes compagnies minières sont intéressées à acheter des propriétés aurifères. Clifford Sifton s’oppose d’abord à l’idée de la consolidation, écrivant qu’il n’y a « aucune possibilité qu’une compagnie minière acquière un groupe de concessions. Une telle politique étoufferait simplement tout le pays et mettrait un terme au développement. » Toutefois, dès janvier 1898, il change d’idée et présente de nouveaux règlements permettant aux entreprises le contrôle de larges bandes de terres à potentiel aurifère. Des baux d’une durée de vingt ans, stipulant que le dragage peut s’étendre jusqu’à cinq milles le long des ruisseaux, sont maintenant autorisés. Certaines concessions sont rachetées à leurs propriétaires qui n'en tirent plus de profits ou qui souhaitent liquider leurs dettes, et plusieurs sont acquises du gouvernement territorial après avoir été abandonnées. Plusieurs grandes sociétés, ou « concessions » comme on les appelle – comme la Treadgold et la Guggenheim – en viennent à dominer l’économie du Yukon et le travail journalier commence à remplacer la prospection commanditée sur les ruisseaux. Bien sûr, la prospection continue, comme elle se poursuit encore aujourd’hui, sur des centaines de ruisseaux à la grandeur du territoire; mais près de Dawson, où se trouve la majorité de l’or, l’entreprise capitaliste remplace l’individualisme de l’époque minière. C’est lorsque cela se produit que l’on peut dire que la ruée est réellement terminée.
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La ruée vers l’or du Klondike est trop payante, trop frénétique, pour durer longtemps; il n’y a pas assez d’or sur terre, encore moins au Yukon, pour satisfaire la soif de richesse des dizaines de milliers de personnes qui se sont précipitées dans le nord pour l’assouvir. Au départ, il y a de l’or en trop, même assez pour le gaspiller. Extraites de la terre et lavées par des méthodes rudimentaires et inefficaces, des quantités d’or valant des milliers de dollars sont perdues dans les ruisseaux et les rivières du Yukon. Bien entendu, l’or ne disparaît jamais complètement et on l’extrait en réalisant des profits raisonnables au cours des six décennies suivantes – on continue de l’extraire lorsque sa valeur mondiale monte assez pour en justifier les coûts d’exploitation – mais un an ou deux plus tard, c’en est fini des extractions payantes. Il y a encore du travail à Dawson même et dans ses environs, mais l’époque où des hommes armés de pics et de pelles peuvent faire fortune est révolue, et l’époque des machines commence.
Le Yukon ne s’éteint pas après la ruée, mais dès la fin de l’année 1898, sa population commence à diminuer alors que les hommes partent à la recherche d’importants filons ailleurs. Cette année-là, la découverte d’or à Atlin, en Colombie-Britannique, juste de l’autre côté de la frontière sud du Yukon, attire quelques mineurs… Mais Atlin n’est qu’une distraction; le premier coup porté au Klondike vient de l’Alaska, où on découvre à l’hiver de 1898 de l’or en quantités rentables sur les plages de Nome. À Dawson, une ville qui déborde de prospecteurs sans emploi, dont plusieurs sont venus de loin pour ne découvrir que bien peu d’or, la nouvelle ravive l’excitation passée. Même si la police prévient les mineurs des dangers qu’ils encourent en voyageant en plein hiver, des centaines partent sur le fleuve Yukon alors gelé en espérant faire une découverte avant les autres prospecteurs et ne pas arriver deuxièmes cette fois encore. Au printemps, le Yukon dégèle et les prospecteurs qui arrivaient de Dawson au compte-goutte affluent maintenant par torrents. Les premiers vapeurs à quitter la ville sont remplis de prospecteurs; le fleuve est à nouveau envahi de radeaux de fortune, mais cette fois, ils quittent Dawson plutôt que d’y venir. Des milliers de personnes délaissent Dawson; la ruée vers l’or, qui ne s’éternise jamais au même endroit, s’est une fois de plus déplacée…
À l’été de 1904, la situation est critique à Dawson. La ville n’est plus le meilleur espoir du nord-ouest et plusieurs des premiers habitants de Dawson sont partis vers de nouveaux gisements. Les mineurs d’expérience qui arrivent au Klondike se rendent compte que les dépôts aurifères de grande qualité ont déjà été exploités et que de nouvelles techniques d’exploitation sont nécessaires pour continuer l’extraction de l’or. Devant la dure réalité et les coûts exorbitants de la modernisation, plusieurs vendent simplement aux sociétés qui consolident les concessions du Klondike avant de partir vers Fairbanks, où l’on raconte que les simples prospecteurs ont encore une chance. Dawson connaît alors des changements sociaux et économiques. La communauté animée et turbulente des premières années de la ruée vers l’or devient « civilisée ». Dawson prend un air respectable, alors que les efforts de réforme déployés par les résidants de la classe moyenne, particulièrement le Comité de vigilance des femmes, s’opposent aux maisons de jeu, aux maisons closes et aux salles de danse qui avaient jadis fait de la ville un endroit de perdition. Toutefois, la nouvelle moralité de Dawson est due autant à la dépopulation de la ville qu’aux croisades morales puisqu’en 1901, la ville ne compte plus que la moitié des habitants qui s’y trouvaient au plus fort de la ruée. Si moins de péchés y sont commis, c’est donc en partie parce qu’il y a moins de pécheurs…
Les chiffres révèlent une triste histoire. On n’avait pas effectué de recensement au Yukon lors de son apogée en 1898, puisque le prochain recensement régulier devait s’effectuer en 1901; la meilleure estimation du nombre maximal d’habitants présents sur le territoire se chiffre à quarante mille. Ce nombre diminue à un peu plus de vingt-sept mille habitants en 1901, dont neuf mille habitent Dawson City, et la majorité des autres près des ruisseaux du Klondike. Dix ans plus tard, le Yukon ne compte plus que huit mille cinq cents personnes, dont plus du tiers habitent Dawson. L’effondrement de la ville se poursuit et, en 1921, on y compte à peine mille habitants. Dawson City est incapable de retrouver l’énergie et l’excitation de l’époque de la ruée vers l’or et elle ne jouira plus jamais du prestige et de l’autorité dont elle bénéficiait au début du vingtième siècle.