Les derniers jours de Skookum Jim
Alors le premier hiver ils ont creusé, le sol là-bas, c’est un sol toujours gelé et il devait allumer un feu pour faire dégeler le sol. La nuit venue, il allumait un bon feu là et le lendemain matin il enlevait les charbons et tout, il creusait et deux ou trois pieds étaient dégelés puis il enlevait les saletés. Bien sûr, il lavait chaque fois tout ça à la batée pour voir si c’était un sol riche et avec l’or lavé, eh bien il faisait un tas sur le gravier, un tas de résidus parce que c’est au printemps qu’ils lavent ça, vous voyez, dans des sluices parce qu’on ne peut pas laver en hiver parce que tout gèle. Puis plus tard un autre homme blanc est arrivé, il était marié avec une autochtone, cette autochtone venait de la région de Tagish et s’appelait Jenny. L’homme blanc s’appelait Cook. Puis ce M. Cook est devenu très ami avec Skookum Jim, c’était probablement l’été suivant, ce serait en 1897, puis ils ont entendu parler d’une ruée, qu’il y avait des nouveaux placers en Alaska, dans la région de Fairbanks alors Skookum Jim a dit à M. Cook : « Je vais te donner 50 000 $ pour aller là-bas voir ce qui se passe », c’était en or et un peu de monnaie d’or. Ça faisait 20 $ en pièces d’or à l’époque je me souviens, il pouvait y avoir des billets, je ne sais pas. En tout cas, M. Cook est allé à Fairbanks avec les 50 000 $ et M. Cook n’a pas donné signe de vie après.
Anita : Avait-il emmené sa femme avec lui?
Johnny : Non, il n’a pas emmené sa femme. Sa femme n’a jamais revu M. Cook et Skookum Jim n’a jamais revu M. Cook, n’a plus jamais entendu parler de lui, alors je ne sais pas, il est probablement parti tout simplement, il ne s’est probablement même pas rendu. On l’a plus revu. Ça c’est une des histoires que je connais.
Eh bien, après avoir travaillé tout l’hiver sur le ruisseau Bonanza, l’hiver de 96-97, le printemps est arrivé puis ils ont lavé beaucoup d’or, tous les résidus qu’ils avaient mis en tas ils les ont lavés, ils allaient chercher à Forty Mile un peu d’équipement pour travailler et ensuite ils ont passé l’hiver de 97-98 là-bas. Ils commençaient à avoir pas mal d’or à ce moment-là, pas mal d’argent, tous les trois, Dawson Charlie, Skookum Jim, George Carmack ils étaient tous ensemble là-bas de toute façon, très près les uns des autres. Finalement, pendant l’été de '98, Skookum Jim a vendu sa part et je ne sais pas le nom de l’acheteur, Patsy ne m’a pas expliqué cette partie mais il a tout vendu, je ne sais pas combien il l’a vendue ni comment il s’y est pris, mais il a vendu puis vers la fin de l’été ils avaient fini, Skookum Jim, George Carmack, Dawson Charlie, Skookum Jim avait sa femme, Dawson Charlie avait sa femme, George Carmack avait sa femme. Patsy Henderson était jeune, il n’était pas marié puis ils sont tous montés à bord d’un vapeur sur le fleuve Yukon. Il n’y avait pas encore de bateaux vapeur [?] Dawson pas de transport la seule façon était de passer par l’embouchure du fleuve Yukon jusqu’à St. Michael, une petite ville. De St. Michael, dans ce temps-là, ces bateaux-là venaient directement de Seattle en haute mer et pas par la route qui existe aujourd’hui, par le passage à l’intérieur, comme ils l’appellent, la route était sur la côte ouest de l’île de Vancouver, alors de Point Barrow et des environs [?] veux dire que de St. Michael et des environs c’était un trajet direct vers Seattle. Puis les bateaux n’étaient pas très rapides à l’époque, apparemment, et l’eau était très agitée, pendant des jours on ne voyait pas la terre, Skookum Jim bien sûr il était à demi conscient ça ne le dérangeait pas trop, mais le reste de l’équipage était bien inquiet, mais il était inquiet aussi, alors il a dit à Dawson Charlie, Patsy Henderson, il a dit : « Remarque la direction qu’on prend, sers-toi du soleil comme repère, la nuit fie-toi aux étoiles, tu sais sur quelles étoiles on doit se guider » […]
Mais entre-temps, Skookum Jim et les autres avaient délimité une concession et quand ils ont eu terminé ils ont pris un petit congé, un petit voyage puis ils ont visité les environs de Seattle un bon bout de temps et George Carmack leur a montré le monde de l’homme blanc là-bas. Puis Patsy Henderson m’a dit quelque chose d’autre. Il était à Seattle, dans un gros hôtel et il était quelque part au deuxième étage et il voit toute cette foule dans la rue chaque fois qu’il regarde par la fenêtre puis comme il avait pas mal d’or sur lui, il lance par la fenêtre un peu d’or et beaucoup de monnaie d’argent et quelques billets et les gens dans la rue se battaient presque pour les attraper et peu après ils sont tous devenus fous et le personnel de l’hôtel a appelé la police et a demandé aux policiers d’empêcher Skookum Jim de jeter de l’or et de l’argent par la fenêtre, il s’est assis là-haut et s’est mis à rire et s’amusait bien de tout ça. Puis ils se sont rendus au marché et Kate Carmack était avec eux ce jour-là et elle n’en pouvait plus de manger au restaurant, de la nourriture de Blancs, eh bien elle a vu toute cette viande, la moitié d’un bœuf suspendue chez le boucher ici et là, puis elle a dit au boucher qu’elle voulait la moitié d’un flanc en côtes levées, tout un côté du bœuf en côtelettes, elle trouvait que ça avait l’air bon, parfait, ils ont emballé ça pour elle, lui ont livré à l’hôtel, puis elle l’a emmené dehors, elle avait pensé à tout, à l’arrière de l’hôtel, elle a empilé des boîtes là, des morceaux de bois et tout, puis elle a défait quelques boîtes et a allumé un gros feu, elle a fait grillé la partie de côtes et a décidé de faire rôtir la partie de côtes avec un gros bâton ou un bout de bois, ou quelque chose planté près du feu, elle a fait un bon rôti au-dessus du feu de camp, elle avait envie d’un rôti au-dessus d’un feu de camp. Mais il a fallu que quelqu’un voie le gros feu et qu’il appelle les pompiers, les pompiers sont arrivés et elle était là, bien tranquille, à faire rôtir ses côtes, alors ils n’ont pas eu le cœur d’éteindre son feu, alors ils sont restés là jusqu’à ce que les côtes soient cuites et elle est retournée dans l’hôtel.
Puis une autre fois ils ont emmené Skookum Jim voir ces spectacles, voyez-vous, il y avait beaucoup de spectacles, et ils regardaient tous le spectacle et il y avait une grosse femme sur la scène, voyez-vous, qui faisait des blagues, elle devait peser environ 600 livres et puis j’imagine que quelqu’un lui avait parlé de Skookum Jim parce qu’un de ses tours était de descendre les rangées et d’attraper un homme au hasard pour lui donner un gros câlin et l’embrasser. Alors cette femme a quitté la scène et a descendu l’allée en se dandinant jusqu’à Skookum Jim et a voulu l’enlacer et l’embrasser, Skookum Jim a eu peur de cette grosse femme et a dit « oh non non non, touchez-moi pas s’il vous plaît, s’il vous plaît touchez-moi pas, j’ai une femme, je suis marié, ma femme va s’en rendre compte, non non je veux pas de bec, je veux pas de bec ». Toute la salle s’est esclaffée.
Ils ont fini par partir de Seattle, George Carmack devait l’emmener à San Francisco. Puis, bien sûr, ils ont pris tout ce qu’ils voyaient et tout ce qu’il est possible d’acheter, puis à peu près à ce moment-là, Skookum Jim s’est mis à s’ennuyer de son pays, le sud du Yukon. Carcross qu’ils l’appelaient au début, puis l’homme blanc l’a baptisé Caribou Crossing, puis ils ont changé ça pour Carcross quand l’homme blanc a construit le pont, mais le nom amérindien, c’était Na-tas-a-heeni, mais en tout cas, ils sont repartis, voyez-vous ils ont voyagé par bateau, parce que dans ce temps-là, il y avait pas de routes ou d’autoroutes comme aujourd’hui alors ils sont arrivés à Seattle par bateau, puis sont finalement arrivés à Vancouver et ça, ça devait être au début de 98-99 à peu près, selon ce que Patsy Henderson m’a dit. À Vancouver, ils ont entendu dire qu’il y avait un chemin de fer qui reliait Skagway à Whitehorse, le White Pass and Yukon Railway, puis Skookum Jim a acheté plein de matériaux de construction parce qu’il prévoyait de bâtir une maison à Dyea, il connaissait tout le monde à Dyea, plusieurs de ses amis avaient l’habitude de s’y rendre et de d’y rester un bout de temps, puis il a pensé bâtir une autre maison à Carcross au Yukon, alors il a pris tous ses matériaux, ses meubles, tout ce qu’il avait à Vancouver et l’a fait transporter par bateau jusqu’à Skagway parce que le chemin de fer partait de là. Et après bien sûr du bois a été apporté à Dyea et il a bâti une maison à Dyea, Dyea était le premier village de la région. C’est là qu’il a construit une maison et qu’il recevait ses amis, le peuple de sa femme.
Bien sûr c’était un gros bonnet et on l’admirait. Il n’a jamais joué les m’as-tu-vu ou quelque chose du genre c’était un homme simple et humble. Et il a bâti sa maison à Dyea et a donné des réceptions pendant un bout de temps. Finalement, en 1899, le chemin de fer a atteint Bennett, alors il a décidé de revenir s’installer à Carcross. Alors tout son bois de construction a été transporté à Bennett par le White Pass Railroad. C’est là que se terminait la voie ferrée, mais ils travaillaient le long du lac Bennett et ils travaillaient entre Carcross et Whitehorse parce que quand le chemin de fer a atteint Bennett, ils ont fait traverser le lac aux chevaux et au reste à bord des barges de la White Pass et puis ils ont travaillé de Carcross à Whitehorse. Et ensuite ils ont travaillé de Carcross à Bennett alors ils travaillaient dans les deux directions. Alors entre-temps, il ne pouvait par aucun moyen faire transporter son bois de Bennett à Carcross alors il a engagé de jeunes Indiens là-bas et ils ont coupé plein de billots secs aux alentours et ont fabriqué un gros radeau, puis ils ont mis tous les matériaux de construction sur le radeau et ont traversé le lac Bennett jusqu’à Caribou Crossing, il y a une personne qui vit encore aujourd’hui qui a travaillé sur ce radeau et ce Billy Johnson il est le seul survivant qui a participé à la construction. Puis il était heureux de revenir à Carcross, puis il a commencé à bâtir sa maison à Carcross et tout son bois était du sapin, tous les ornements, les moulures de fantaisie et tout, à cette époque, c’était très cher. De bons meubles, de gros lits de laiton, je me rappelle quand je me couchais, en grandissant, je voyais les grands lits de laiton, les beaux meubles sculptés et tout. Alors naturellement, à ce qu’on m’a dit, il a fait un gros potlatch pour célébrer son retour à la maison. […]
Après avoir construit sa maison à Carcross il a fait pas mal de prospection aux alentours de la rivière Wheaten. Puis lui et Skookum Jim ont acheté des chevaux de luxe de l’extérieur, pas de simples chevaux de selle, mais de vrais chevaux de course dressés.
Anita : Skookum et qui?
Johnny : Dawson Charlie. Je m’en souviens très bien.
Ces chevaux étaient vraiment trop nerveux alors ils ont fini par les vendre et ont choisi des chevaux d’une race plus lente pour prospecter dans la région des rivières Wheaten et Watson et autour d’ici. Puis il dépensait beaucoup d’argent dans toutes ces choses-là et il était entre autres impliqué, pas seulement lui mais je pense qu’il a mis de l’argent plus que quiconque là-dedans, c’était aux environs de 1912 il a donné son dernier gros potlatch à Carcross, a invité les gens de Champagne, d’Aishiak, de Whitehorse, de Marsh Lake et ils sont venus. Ils ont pris le chemin traditionnel et bien sûr le chemin de fer s’y rendait déjà et ces gens avaient de l’argent pour prendre le White Pass Railroad mais ils se sont compliqué la vie, ils ont fait le trajet à pied, pris le chemin qu’ils avaient l’habitude de prendre, ils sont venus de Whitehorse, les squaws […] et tout le monde marchait, marchait sur la voie ferrée. Je m’en souviens bien parce que j’avais environ 14 ans à l’époque. Puis bon dieu, quand ils étaient à près de deux milles de Carcross ils ont commencé à tirer des coups de carabines, comme si une guerre avait éclaté là-bas. Il devait y avoir environ 75 autochtones, voyez-vous et ils tiraient dans la partie de Carcross où se trouvait l’homme blanc, directement de l’autre côté du pont et il y avait un policier là, il ne pouvait pas les arrêter. Ils tiraient en l’air et fonçaient directement sur eux, les squaws, les enfants, tout le monde. Ils sont descendus au village indien par la rivière et ils étaient les invités des habitants de Carcross, la tribu du Loup les a accueillis. Ils s’occupaient d’eux dans la grande maison de Dawson Charlie et la grande maison de Skookum Jim. Et ce potlatch a duré deux semaines, ils ont donné à manger à tous ces gens pendant deux semaines, déjeuner, dîner et souper […]
Eh bien, il a fait un autre voyage, ça je le sais parce que j’étais assez vieux à l’époque. Ça fait un bout de temps. 1914. C’était un nomade, entre-temps lui et sa femme s’étaient séparés et alors il était seul ça fait qu’il est parti en direction du ruisseau Telegraph et le seul moyen de s’y rendre à l’époque, c’était d’aller à Atlin par bateau, j’imagine que c’est comme ça qu’il y est allé puis d’Atlin en Colombie-Britannique, ensuite il devait marcher 220 milles jusqu’au ruisseau Telegraph et moi-même je suis passé par ce chemin-là pour acheter des fourrures quelques années plus tard, c’est juste un sentier, une ligne télégraphique, une ligne individuelle, la première ligne installée au Yukon, cette ligne-là a été installée au Yukon en 1898, ça a commencé en 1898, c’est entré à peu près à ce moment-là. Donc il a parcouru la région du ruisseau Telegraph, il a entendu les histoires d’or et tout et tout, c’était pas qu’il voulait nécessairement l’or, mais il aimait vivre comme ça et il savait un peu comment s’y prendre, il avait appris. Eh bien dans la région du ruisseau Telegraph il a prospecté plusieurs ruisseaux, bien sûr il est devenu ami avec les autochtones là-bas et ils ont tous un vague lien de parenté alors tous les Indiens étaient sympathiques, ils vous appellent mon frère peu importe d’où vous venez.
Eh bien il est resté presque deux ans dans la région, puis il est reparti vers le nord-est à peu près, vers le lac Dease par la rivière Dease est finalement arrivé à Lower Post en Colombie-Britannique, c’était l’ancienne route des Indiens, la route des marchands de fourrures, puis du lac Dease, pendant l’hiver de 1915 et 1916 il a eu un gros chien qu’il appelait Dan, c’était son seul compagnon et ce gros chien tirait son toboggan derrière lui et lui était devant en raquette, retournant à sa ville natale, Carcross, mais il était malade pendant ce voyage, il continuait son chemin, bien sûr les sentiers des trappeurs l’aidaient. Les gens l’aidaient ici et là le long du sentier. Il est finalement arrivé dans la région de Teslin, il a voyagé tout l’hiver, faisait halte ici et là. Quand il est arrivé à Teslin, bien sûr les habitants de Teslin le connaissaient tous alors Smart Sidney l’a mené à Teslin avec un gros attelage de chiens, un attelage avec de nombreux chiens, il était vraiment malade alors l’autre n’a pas demandé à être payé ils le font pour t’aider, ils sont heureux de le faire alors ils l’ont amené à Tagish. C’est comme ça que c’est arrivé, j’avais 18 ans et il était content de voir mon père, ils étaient cousins. « Je suis content d’être revenu, qu’il a dit, je suis malade et je veux mourir dans ma ville natale, Carcross, Na-tas-a-heeni, c’est ici que je veux mourir. » Eh bien, on lui a offert de l’amener tout de suite à Carcross, à Whitehorse, de l’envoyer tout de suite à l’hôpital, mais il a dit « Non, je veux être ici, je vais rester ici deux semaines avec toi », mon père et ma mère, on restait là tout l’hiver, on avait beaucoup de nourriture et tout et j’allais trapper. Mon père m’aidait un petit peu, il n’était plus jeune, alors je faisais le gros du travail et je me souviens d’avoir utilisé son fusil, c’était un .25-35 avec une mire cerclée d’or et je pouvais faire sauter la tête des grouses avec ce fusil-là.
Anita : Le fusil de Skookum.
Johnny : Oui, le fusil de Skookum il a dit « tout ce que j’ai tu peux l’utiliser mon gars » qu’il m’a dit, voyez-vous. Alors il est resté avec nous pendant deux semaines et on a fini par le convaincre de l’amener à l’hôpital. D’accord, alors j’ai attelé mes chiens et il a laissé son gros chien, qui s’appelait Dan, j’ai une photo de lui quelque part avec mes autres photos. Il a appelé son chien Dan, un beau gros chien, un chien noir avec un collier blanc. Il l’a donné à mon père en disant : « J’aurai plus besoin de ce chien-là. » Alors je l’ai couché sur le traîneau, l’ai attaché solidement et on a traversé le lac Tagish, traversé Windy Arm, je l’ai amené à Carcross. Bien sûr, je ne pouvais pas le faire monter à bord du train jusqu’à Whitehorse tout de suite, il voulait rendre visite à quelques personnes. Kate Carmack vivait là, sa sœur, alors il voulait aller la voir et aussi ses autres amis de Carcross, il a dit « Je vais rester ici un mois ». D’accord, alors je l’ai ramené à Carcross. Puis j’imagine qu’environ un mois plus tard, vu que c’était en avril je pense, c’est en mai que je suis revenu à Carcross en mai et il était encore là et je […] l’ai fait monter dans le train de voyageurs White Pass and Yukon et il est allé à l’hôpital général de Whitehorse. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant […]